-Des sujets qui remettent en cause la masculinité.

Les 27 lettres anonymes se répartissent entre 7 sujets qui sont : la chirurgie esthétique pour homme, la perte des cheveux, l’homosexualité, l’adultère, les échecs sentimentaux, la petite taille du sexe, l’éjaculation précoce et la solitude. Ce sont des sujets qui portent des connotations fortes liées soit aux sentiments, soit à l’atteinte à la virilité et qui évoquent l’homme en proie à des difficultés, difficultés dont il a longtemps été, dans l’image collectif, épargné.

Les lettres sont avant tout des questionnements, les hommes cherchant, par le biais du magazine qui leur offre des solutions sans qu’il n’y ait ni rencontre, ni consultation 853 , ni même connaissance d’une identité. Enoncer des sujets encore tabous pour les hommes reste donc difficile à surmonter ; c’est admettre que l’on est défaillant, que le problème n’a pu être solutionné rapidement et sans aide extérieure et que seule cette dernière peut y remédier. Nous avons vu dans la partie consacrée aux théories sur la masculinité que les hommes ont tendance, face à un problème bouleversant leur quotidien, à se réfugier dans le silence ou dans des dérivatifs (alcool, drogue, violence…) plutôt que d’évoquer par la parole ou par l’écriture ces difficultés. Il semble donc que la nouvelle presse masculine est un des espaces où les hommes commencent à se dévoiler et qu’ils utilisent pour se décharger d’un poids pesant, parfois ancien. Nous verrons que d’une part, les lecteurs énoncent la durée depuis laquelle ils supportent le problème (souvent des années) et d’autre part évoquent les conséquences sur eux-mêmes de ces problèmes, les effets étant devenus insupportables, les poussent à la confidence.

Ces thèmes qui sortent les hommes de leur silence, sans tout de fois être encore assumés en pleine lumière, sont les thèmes typiques de la confidence. Claire Bidart dans son enquête sur la manière de parler d’intimité, publiée sous le titre Parler de l’intime : les relations de confidence 854 , évoque les thèmes récurrents de la confidence : le couple déchiré (les ruptures), la solitude et le regard d’autrui pour les célibataires, les récits d’expériences initiatiques pour les jeunes alors que la confidence sexuelle arriverait bien plus tard, suite à un événement extérieur mais positif. Ce sont en effet ces thèmes que l’on retrouve dans le courrier envoyé à la nouvelle presse masculine, et notamment sous la forme de lettres anonymes, mais la question sexuelle reste la première cause d’écriture et sans que l’origine de cette écriture soit positive : les effets énoncés par les lecteurs sont, au contraire, emprunts de douleur, de mal de vivre.

Ces thèmes, qui feront l’objet d’une analyse plus ample puisqu’ils sont les thèmes principaux des lettres des trois corpus sexuels, laissent entrevoir une persistance dans les esprits masculins, de la nécessité de la force (mentale, sexuelle…) de l’homme, de sa grandeur et de l’importance d’être à la hauteur de cette représentation. C’est pourquoi, la défaillance reste du côté du caché, de la confidence et qu’elle est énoncée sous le prisme de l’anonymat. Si les lettres anonymes sont, pour la plupart, des lettres de délivrance pour laquelle l’absence d’identité sert de protection contre autrui, une seule lettre dans le corpus de Men’s Health montre l’autre face de l’usage de l’anonymat : cette lettre homophobe et vulgaire envoyée à la rédaction utilise l’anonymat pour déverser critiques et idéologies négatives, mais non assumées à «visage découvert».

L’anonymat total du courrier n’est pas autant répandu que le sont les demandes de l’anonymat des réponses ; en effet, de nombreux lecteurs choisissent de se dévoiler entièrement aux magazines, mais à la condition expresse que la réponse ne soit pas publique, ou du moins qu’en cas de publication, la lettre devienne anonyme. C’est ainsi que les lecteurs laissent voir la confiance investie dans le magazine et que ce dernier, en réponse à cette marque de confiance, accède à la demande, formulée dans bon nombre de lettres sous la forme d’une phrase mise à part, la rendant plus visible.

Notes
853.

Nous verrons que les épistoliers expriment leur recours au magazine plutôt qu’à un médecin d’une part par défaut de confiance envers l’institution médicale et d’autre part, par souci d’anonymat du problème et par difficultés certaines rencontrées s’ils devaient énoncer le problème dans le cadre d’une interaction en face à face.

854.

BIDART C., «Parler de l’intime : les relations de confidence», MANA, n°3, 1er semestre 1997, pp. 19-55.