- Le rôle des amis dans la découverte du magazine.

Nous avons montré qu’il existe une communauté de lecteurs fondée autour des taux de circulation élevés des magazines de la nouvelle presse masculine. Outre son rôle d’espace de communication entre les lecteurs à propos des magazines, elle est aussi un espace de découverte de ces derniers. En effet, les rares indications données par les épistoliers sur les circonstances de la première rencontre avec le titre auquel ils s’adressent, évoquent le rôle joué par les amis dans ce moment fatidique. C’est chez FHM que les communautés de lecteurs semblent les plus actives et notamment, en ce qui concerne la rubrique «la lune» à laquelle une part des lettres est adressée suite à un pari entre copains. Ce sont donc bien souvent les amis qui font découvrir les nouveaux magazines : «un copain m’a fait découvrir votre magazine il n’y a pas si longtemps que ça et je dois avouer que j’y prends goût»,  «je me dévoue corps et âme pour faire l’apologie de votre excellent magazine autour de moi»,«je l’ai découvert sur recommandation d’un ami», «il anime parfois nos conversations entre pôtes» et les nouveaux lecteurs qui prennent à leur tour un rôle d’initiateurs de nouveaux lecteurs: «même ma femme se plaît à vous lire». C’est donc une communauté mixte, même si les femmes ne représentent qu’environ un tiers des lecteurs des magazines, que forment les lecteurs de la nouvelle presse masculine et qui, au fil des mois, s’agrandit en initiant de nouveaux «adeptes».

Hors cette communauté, c’est un article, une couverture, une publicité qui amènent de nouveaux lecteurs vers les titres. C’est aussi le hasard d’un passage en kiosque «je suis tombé par hasard sur votre magazine», «attiré dans une librairie par la couverture de votre magazine qui titrait «Mon sexe, j’en prends soin», et ne connaissant pas votre publication, j’ai voulu en savoir plus» qui engendre l’acte d’achat puis son renouvellement, les lecteurs-scripteurs insistent sur leur impatience chaque mois à se rendre sur leur lieu habituel d’achat du magazine : c’est ainsi que deux lecteurs de M Magazine ont décrit leur achat : «chaque mois, je me précipite chez mon marchand de journaux pour vite l’acheter».

Les lecteurs laissent peu d’indications sur les conditions de la lecture : un lecteur de FHM met en avant le temps-libre laissé par la vie étudiante : «la vie étudiante permet de découvrir votre fabuleux magazine. Vous lire après une journée de cours bien chiante est un régal», un autre chez M Magazine sa condition de chômeur qui lui permet de suivre les exercices du magazine, chez FHM un cadre qui écrit de son lieu de travail et qui demande à la rédaction de fabriquer au magazine une couverture avec un intitulé de dossier de droit : «que serait ma nouvelle vie de fonctionnaire sans votre magazine ? Je vous écris d’ailleurs du bureau où les différents textes de loi que j’ai à étudier me laissent beaucoup plus perplexe que la plastique quasi parfaite de vos modèles (…) Travaillant dans un bureau avec en moyenne 7 personnes aux alentours, il faudrait que vous m’inventiez un FHM spécial bureau : une fausse couverture avec pour titre un truc du style : «Les régies d’avance dans l’administration française depuis 1974» ainsi que des pages imprimées sur du vulgaire papier format A4 qui ne manqueront pas de faire croire aux autres que l’on est en train de potasser un bon vieux dossier poussiéreux» 859 . Un épistolier de M Magazine situe sa lecture dans une laverie : «j’étais dans une laverie quand j’ai lu ça, je me suis fendu la poire, mort de rire», renvoyant au magazine à la fois l’image d’une lecture divertissante mais aussi d’une lecture associée à certains lieux attachés à la lecture des produits populaires : la lecture chez le coiffeur, chez le dentiste, dans la salle d’attente du docteur, à la laverie… Enfin, deux colocataires envoyant un mail à M Magazine expliquent qu’ils ne connaissent pas les raisons de leur lecture : «nous apprécions le magazine, sans tout de fois savoir si nous l’achetons par habitude, pour les sujets abordés ou bien encore pour vos couvertures, si attractives». Cette lecture devenue mensuelle n’est-elle pas le produit d’une habitude qui s’est installée au fil des numéros lus pour devenir au moment de l’envoi de ce mail (le 27 octobre 1999, soit un an et demi après la naissance du magazine) un habitus ancré dans leur quotidien et qui devient alors un rituel sans qu’ils ne connaissent plus les véritables raisons de cet achat ?

Sur les 1742 lettres dépouillées, une écrite par un épistolier lecteur de M Magazine retrace en détail les différentes étapes qui l’ont conduit, à l’achat du magazine puis à sa lecture régulière : «Août 1988. Il fait chaud et je n’ai pas grand chose à faire ; tiens ! me dis-je, il y a un bureau de tabac pas loin, je vais y faire un saut, histoire d’occuper le reste de mon après-midi. Là je tombe sur le numéro 5 de M Magazine. Ah oui ! C’est le fameux Cosmopolitan pour hommes, sûrement le même tissu d’articles creux et insipides, entrecoupés de pubs récurrentes, le même ramassis de niaiseries pour émasculés notoires… Bon pour m’en amuser, je l’achète, savourant à l’avance les commentaires acerbes dont je vais pouvoir inonder chaque page. Je le feuillette une première fois : tiens, pas trop de pub, ça va, un article sur l’alambic solaire, cool ! Je reviens au début du magazine et le décortique page à page» Après avoir commenté tout ce que le magazine compte d’articles auxquels il ne s’attendait pas, il énonce sa demande. Il est le seul à avoir évoquer précisément sa rencontre avec un des magazines de la nouvelle presse masculine.

C’est donc une rencontre souvent hasardeuse que les épistoliers énoncent dans leurs courriers, soit par le biais d’amis attachés au magazine et qui le leur présentent, soit un intérêt particulier pour un article, pour la nouveauté et qui au fil des numéros achetés, se transforme en une habitude mensuelle et en un attachement plus profond chaque mois. Comment les lecteurs décrivent-ils, au début de leur lettre, ces magazines auxquels ils écrivent ? Quels qualificatifs leur attribuent-ils ?

Notes
859.

C’est par l’évocation de la honte de la lecture que la rédaction a répondu dans son numéro 28 de novembre 2001 et lui conseillant de fabriquer lui-même sa couverture à partir de Science et Vie ou de L’essentiel du management.