- »   Tu es le meilleur de tous les masculins»

Certains lecteurs évoquent leur vision des magazines masculins concurrents de celui auquel ils s’adressent pour énoncer leur fidélité. C’est dans le corpus de M Magazine qui fut le premier magazine masculin de la nouvelle vague à s’implanter en France et donc le plus touché par les arrivées successives de titres que se trouvent le plus grand nombre de lettres (17) évoquant la concurrence et particulièrement le magazine Men’s Health ( qui intenta un procès à M Magazine pour plagiat et dont il fut débouté ). Les épistoliers se décrivent comme connaisseurs de tous les titres de la presse masculine et adressent leur comparaison et leur préférence à celui auquel ils écrivent. Ainsi, les scripteurs à M Magazine dénoncent les filles dénudées de FHM (le magazine présente un contenu si différent de M Magazine qu’il n’en est pas un rival) mais surtout s’attaquent à Men’s Health et à la ressemblance de ce dernier face à M Magazine. Il est, pour les lecteurs, un «clône», «ersatz», «un M bis»… de M Magazine qui reste, pour eux, le plus attrayant, le plus marrant, celui qui dispose des couvertures les plus intéressantes ; M Magazine est donc, pour ses épistoliers le «meilleur du genre», «celui qui reste le meilleur de sa catégorie»

Les épistoliers de M Magazine se sont ainsi appropriés des codes distillés par le rédacteur en chef du magazine via les éditoriaux et ont ainsi pris la défense, dans leur courrier, de leur magazine attaqué, lui prouvant leur attachement.

Ceux de Men’s Health ne sont pas, en revanche, intervenus, via leurs lettres, sur ce conflit. En effet, parmi les 415 lettres du corpus de Men’s Health, une seule évoque le marché de la presse masculine française et sans parler de M Magazine. Il y déplore la pauvreté du marché 863 et se présente comme connaisseur de la version américaine de Men’s Health et déclare y trouver «moins de nouveautés sur les nouveaux parfums, les eaux de toilette… que dans les magazines féminins, hallucinant, non ?». Enfin, chez FHM, les épistoliers évoquent là aussi peu les concurrents, les lecteurs abordent la nouveauté du titre et la surprise engendrée : «je croyais à un nième magazine sur les ragnagnas des femmes version homme» et le positionnement particulier et novateur du titre : «c’est un journal qui s’investit réellement dans les problèmes de ses lecteurs». Cette lectrice s’adresse à FHM pour montrer qu’elle trouve dans ce magazine masculin des conseils pour les femmes qu’elle ne trouve pas dans les magazines féminins : «en lisant FHM Madame, c’était la première fois que je sentais que les sujets des articles me concernaient».

Les lettres envoyées à la nouvelle presse masculine débutent sur des louanges, des remerciements, sur une énonciation de la découverte et de l’apport de la lecture des magazines et sur l’attachement profond qui lie le lecteur au contenu du magazine. En se présentant, via un système de classement hiérarchique des lecteurs et des magazines, comme le plus fidèle et le plus ancien des lecteurs du meilleur des magazines de la presse masculine française, le lecteur «flatte» ainsi l’ego du magazine, notamment en louant les qualités des journalistes lisant le courrier. Dès les premières lignes de sa lettre, le lecteur dresse son portrait comme étant le lecteur-idéal que la rédaction, dont il vante les mérites et pouvoirs surnaturels dans le cadre de «la lune» et les connaissances dans celui des rubriques sexuelles, se doit de «récompenser» de sa fidélité en répondant à sa demande. C’est ainsi que les lecteurs «enrobent» leur future demande de flatteries. Si le lecteur communique sur les rapports étroits qu’il entretient avec le magazine auquel il écrit, en revanche, il communique très peu sur lui-même. Nous avons vu que peu les lettres portent d’indications sur les circonstances temporelles, spatiales et historiques de la lecture des magazines, elles portent peu d’indications aussi sur la situation personnelle du locuteur qui, dans des lettres pourtant très intimes, ne dévoilent que peu de choses sur son identité et sur sa vie au quotidien.

Notes
863.

Cette lettre ayant été écrite en avril 1999, le marché de la presse masculine française ne comptait pas encore ni FHM ni Maximal.