d) Une présentation de soi concise et minimale.

Sur les 1742 lettres dépouillées, seules 522 (soit 30%) 864 portent l’âge de l’épistolier. Or, cette indication peut être, notamment pour les questions relatives à la santé, importante dans l’élaboration du diagnostic. C’est dans le corpus de «la lune» chez FHM que les lettres sont les plus nombreuses à porter l’âge des lecteurs (32.5%), au regard des 18 ans requis pour de nombreux cadeaux. En revanche, les épistolières insistent dès les premiers mots sur leur sexe féminin, parce qu’elles appartiennent à une minorité de lecteurs et d’épistoliers : 6 % chez M Magazine, 3.6 % chez Men’s Health, 8.6 % chez FHM-sexo et 11 % chez FHM-lune. En effet, et nous le verrons dans la différence des thèmes abordés en fonction du sexe des épistoliers, les épistolières ne demandent pas les mêmes requêtes que les hommes et préparent le magazine à cette divergence. Ainsi, certaines lectrices commencent leur lettre par «ciel, une lectrice», mettant en avant la rareté de l’écriture féminine.

Les rares indications sur leur identité données par les épistoliers ont un rôle distinctif, qui leur permet de se positionner et de donner un poids à leur demande ou à leur lettre. Ce sont les épistoliers de Men’s Health qui mettent en avant le plus souvent leur profession ou leur statut. 8 lettres sont porteuses de la profession de leur scripteur, professions qui viennent justifier de la teneur de la remarque, de la critique : 2 sont attachés commerciaux et doivent faire bonne figure devant leurs clients, un étudiant en doctorat en sciences des télécoms écrit pour évoquer l’écriture de certains articles, un cuisinier à la recherche de recettes light, 3 médecins (un généraliste, deux spécialistes : podologue et rhumatologue) et un «délégué à l’information médicale de cardiopneumologie», de surcroît «chevalier de la légion d’honneur». Les épistoliers mettent ainsi en avant leur fonction ou leur statut pour se présenter soit comme spécialiste d’une question, soit au nom d’une institution, d’une association (un épistolier de M Magazine se réclame de la ligue de protection des animaux et écrit pour s’insurger contre l’usage de la fourrure dans les pages de mode, un autre écrit sous le titre «président de l’association des naturistes»), apportant ainsi une caution supplémentaire à leur courrier. Ce sont des marques d’importance dans la hiérarchie sociale que les épistoliers indiquent pour donner une assise à leur écrit. Ces épistoliers relèvent, pour Luc Boltanski dans son étude des lettres de dénonciation envoyées au Service des Informations générales du journal Le Monde entre 1979 et 1981, de l’» individu autorisé» qui «parle en son nom mais en signalant qu’il est un peu plus que lui-même, par exemple en se réclamant d’une profession, comme celle de médecin, de prêtre, de sociologue, d’avocat, etc., qui autorise à parler pour les autres ou en faisant valoir des liens entretenus avec d’autres (eg. en écrivant sur le papier à en-tête d’une entreprise, d’une administration, d’un club) même si la dénonciation n’est pas explicitement opérée en leur nom» 865 . Ils parlent ainsi au nom d’une cause défendue par l’association présente dans la lettre sous la plume de l’épistolier qui la représente. Les épistoliers de FHM ne citent jamais de profession (ils sont souvent trop jeunes pour travailler) et évoquent rapidement leur condition d’étudiant, de lycéens «je vais au lycée et FHM est une vraie récréation» 

La majorité des lettres ne porte aucune indication et commence directement par le lien entretenu avec le magazine, les lecteurs s’y présentant non pas sous un prénom, mais sous leur statut de «lecteur fidèle» ou «simple lecteur» et enchaîne avec les félicitations au magazine puis avec les raisons de l’écriture. La signature est alors le seul lieu d’expression de l’identité. Les épistoliers, par cette absence d’indication, ne donnent au magazine que le minimum nécessaire à la bonne compréhension du problème qu’ils vont énoncer. C’est notamment pour cette raison que les lettres envoyées à la nouvelle presse masculine sont dans l’ensemble courtes, d’autant plus quand ce sont des mails.

Quelques rares lecteurs, en revanche, envoient aux magazines, des lettres dans lesquelles ils retracent leur vie ; ce sont notamment les lettres porteuses d’une grande détresse par lesquelles ils cherchent dans le magazine un confident et le moyen de tisser un lien social. Ainsi cette lettre envoyée par un lecteur de FHM, emprisonné et qui énonce sur 4 pages sa vie et les raisons de son emprisonnement. Il demande une aide qui passe uniquement par la publication de sa lettre comme d’un témoignage. Ce sont principalement ces lettres qui sont longues et porteuses de multiples indications sur le locuteur : ainsi un lecteur a envoyé un mail à FHM pour raconter sur 2 pages comment il a participé avec ses amis à une «tournante» décrivant dans les moindres détails, leur expérience, sans aucune demande, avec pour seul argument de l’écriture de la lettre : «je ne sais pas si ce que je vais vous raconter est banal, mais ça ne m’est arrivé qu’une seule fois».

Si les épistoliers s’adressant à la nouvelle presse masculine donnent peu à lire de détails sur leur vie sociale, leur vie personnelle et ce, notamment pour ne pas être reconnus, ils donnent le strict nécessaire à l’élaboration d’un diagnostic : leur poids, leur âge (c’est notamment pour ces deux indications qu’ils réécrivent une seconde fois, suite à leur oubli dans la première missive) et quand ils énoncent des indications précises, c’est le caractère distinctif de ces dernières (statut, sexe…) qu’ils mettent en avant pour cautionner et donner un poids à leur future demande. Ce n’est donc pas sur eux-mêmes qu’ils communiquent mais sur le problème qu’ils rencontrent et sur les effets induits sur leur personne et sur leur quotidien.

Notes
864.

30.2% des lettres du corpus de M Magazine portent l’âge de l’épistolier, 24.8% dans celui de Men’s Health et 31.8% dans celui de FHM-sexo.

865.

BOLTANSKI L., «La dénonciation», in Les Actes de la Recherche en Sciences sociales, n° 51, 1984, p .7.