-Le défi lancé à la rédaction de FHM de trouver la « perle rare».

Les lecteurs s’adressant à «la lune» évoquent l’objet de la demande sous les qualificatifs de «rêves» (66 occurrences soit 15% du total des lettres), de «requêtes» (15), de «souhaits» (10), de «défi» (10), de «service» (7), de «vœux», de «faveur»… en les caractérisant d’adjectifs et de superlatifs : «mon rêve inaccessible», «mon vœu le plus cher», «mon désir profond quasi orgasmique»… , en insistant sur l’impossibilité pour eux, simples lecteurs de parvenir à obtenir ces objets : ils énoncent alors l’absence de pouvoir du «petit-débutant par rapport à vous» qui multiplient les requêtes auprès des fournisseurs et qui, faute de réponse, s’adressent au magazine.

L’objet de la demande est alors soigneusement décrit, dans ses moindres détails : circonstances de la découverte : les lecteurs évoquent le film, l’émission de télé, le match de football… dans lequel ils ont vu pour la première fois l’objet désiré, font l’éloge d’une ville ou d’un pays quand ils désirent un voyage… Ils donnent alors la couleur désirée, la taille, la pointure quand il s’agit d’un vêtement ou de chaussures, les dates souhaitées pour le séjour, l’attachement ressenti vis-à-vis de la star qu’ils veulent rencontrer… Ainsi, ce lecteur écrivant à FHM dans le but de se voir offrir «la panoplie d’un docteur dans Urgence : avec le pyjama vert (veste et pantalon), la blouse blanche longue écrit DR J.X.MD et le stéthoscope ( et une jolie infirmière dans la mesure du possible).

Les demandes effectuées auprès de la «lune» ont-elles un lien avec l’actualité ? Les lecteurs citent en effet le dernier film sorti mais la plupart des demandes reste intemporelle, les lettres de notre corpus (septembre-octobre 2001) portent les mêmes demandes que les lettres d’avant : essayer une voiture, rencontrer telle star ; avoir un maillot de football… Si certains lecteurs rêvent de rencontrer X ou Y parce qu’ils sont à l’affiche du dernier film, viennent de sortir un album ou sont champions du monde, peu «surfent» sur de véritables événements soit médiatiques, soit politiques. Ainsi, sur 464 lettres, 3 lettres seulement évoquent des demandes concernant «Loft Story» : l’un veut récupérer la bâche extérieure du «Loft», l’autre veut un tête-à-tête avec Laure, l’une des candidates et enfin, un troisième demande l’intégrale des cassettes vidéos. Mais l’événement majeur de ce stage, fut le 11 septembre 2001. Trois lecteurs ont évoqué ces attentats pour justifier leurs demandes : la première lettre arrive à la rédaction le 27 septembre, est porteuse de la volonté exprimée de l’épistolier de rendre hommage aux pompiers et pour cela, il demande «une combinaison complète d’un pompier new-yorkais comportant : le casque, la veste d’intervention, le tee-shirt, la salopette, les bottes ainsi que les gants» 870 , quant au second, il réclame un morceau du World Trace Center et le troisième veut un aller retour-Paris/Boston afin d’y rejoindre son amie dont il imagine la peur au quotidien. L’actualité est la base de quelques lettres seulement, ce sont plutôt des rêves anciens qui sont évoqués via les demandes.

Les épistoliers sont donc exigeants mais pour amoindrir l’apparente difficulté revêtue par l’objet de la demande, certains lecteurs énoncent un premier objet, puis en énoncent un second, instaurant ainsi une hiérarchie dans la faisabilité des demandes, la seconde paraissant moins inaccessible que la première. Pour exemple, un lecteur à la recherche d’une cassette vidéo écrit : «je ne vous demande pas de sortir avec Claudia Schiffer, je ne vous demande pas non plus de voyager à bord de la navette spatiale, je ne vous demande pas non plus de vous offrir une Ferrari, je ne vous demande pas non plus de piloter le Concorde, je ne vous demande pas non plus de rencontrer Madonna ou Mickael Jackson, je ne vous demande pas non plus de me trouver du travail… C’est beaucoup plus simple que ça». Ils créent ainsi une hiérarchie des demandes pour minimiser leur véritable rêve qui, avant d’être exposé, fait l’objet d’une présentation et d’une qualification en termes d’efforts à fournir par la rédaction pour se les procurer. Pour les lecteurs, le magazine étant investi de «pouvoirs surnaturels», d’un réseau illimité pour réaliser les rêves, ils évoquent la simplicité par rapport aux demandes déjà réalisées, le petit coût financier, la «débrouillardise» de la rédaction… de leurs futures demandes ; ils lancent ainsi des défis à FHM sous la forme de reprise du slogan de la guerre des étoiles «FHM, La force est en toi» ou celui de Mission Impossible «Pour FHM, rien n’est impossible», évoquant pour certains la difficulté que le magazine risque de rencontrer pour obtenir le cadeau «c’est quasi impossible mais il n’y a peut-être que FHM qui pourrait réaliser ce rêve», d’autres lançant directement un défi au magazine : «voici un défi impossible dont vous rêvez la nuit», comme d’un test des véritables capacités et du pouvoir du magazine, la réussite du défi étant récompensée par la lecture éternelle : un lecteur voulant rencontrer Virginie Ledoyen écrit : «si vous y arrivez, je vous jure que je lirai votre magazine jusqu’à ce que je meures ou devienne aveugle».

Insistant aussi sur la joie extrême que ce cadeau leur procurera, sur l’effet produit par ce cadeau sur l’entourage du lecteur, effet qui par ricochet sera rapporté à FHM, les épistoliers tentent de mettre au défi le magazine, soit en vantant ses mérites et en minimisant, au regard des demandes antérieures, les difficultés pour se procurer l’objet rêvé, soit en déclarant la recherche plus difficile que d’accoutumée et un moyen de tester les limites du pouvoir de la rédaction.

Les lettres envoyées aux rédactions de la nouvelle presse masculine oscillent entre légèreté quand il s’agit de «la lune» qui prend la forme d’un jeu, d’un défi, même si certains lecteurs semblent y investir un espoir important, et une gravité parfois extrême dans les lettres sexuelles et relatives au corps. Si les premières sont synonymes de joie, les secondes sont pour la plupart douloureuses et sont porteuses d’un espoir investissant le magazine d’un rôle prépondérant sur la vie future des épistoliers. Quand les premières sont porteuses d’une recherche de démarcation vis-à-vis d’autrui et notamment des amis, les secondes sont, quant à elles, à la recherche d’une solution permettant une réintégration dans la vie sociale et notamment parmi les amis. Or, au regard des formules de réponses souhaitées que nous avons étudiées plus en avant, ce sont les premières (celles de «la lune») qui sont porteuses des formules les plus virulentes, les épistoliers n’hésitant pas à relancer la rédaction, à l’appeler pour connaître l’avancée des recherches, quand les épistoliers atteints d’un mal handicapant sont peu nombreux à revenir à la charge en cas de non-réponse. Il existerait donc ainsi un décalage entre la teneur de la future demande et les attentes et sentiments investis par les lecteurs dans les magazines et qui sont énoncés à ces derniers avant l’énonciation de la demande, elle-même. Cette dernière intervient donc à la suite d’une énonciation des attaches liant l’épistolier au magazine, une description souvent sommaire du mal, les conditions de la vie quotidienne au moment de l’énonciation et les espérances de son changement par la réponse du magazine à la question formulée et qui dévoile alors les attentes et fonctions investies dans les magazines de la nouvelle presse masculine par les épistoliers.

Notes
870.

L’épistolier amène ainsi sa demande : «après les terribles attentats terroristes survenus aux Etats-Unis le mardi 11 septembre 2001, une date restant dans les mémoires de tous les américains comme dans les mémoires du monde entier et après le travail des secouristes en particulier les pompiers de New-York dont les mots ne sont pas assez forts pour qualifier ce travail durant encore, j’aurais voulu savoir si mon souhait pouvait être réalisé. (…) Cela serait pour moi un moyen à ma manière de leur rendre hommage après leur travail, après les 300 pompiers ensevelis dans les 2 tours, après l’hommage rendu par les présidents américains et français à ces pompiers et enfin après les nombreux new-yorkais, même si je me trouve à des milliers de kms d’eux».