f) La phrase d’énonciation de la demande.

La phrase d’énonciation de la demande se présente soit sous la forme d’une question ouverte ou fermée, soit sous la forme d’une phrase indirecte : «je me demande si…». Mais c’est la phrase interrogative, que les épistoliers utilisent, en majorité, pour énoncer leur demande aux rédactions. Souvent courte, elle vient couronner et conclure la présentation de l’objet de la lettre et évoque les attentes des lecteurs envers les magazines : les demandes sont porteuses du type de réponse souhaité, énoncé sous la forme d’une préférence, d’un souhait. En effet, les lecteurs indiquent ainsi: «j’aimerais que vous me donniez un conseil», «j’aimerais connaître les meilleurs moyens de s’épiler le torse»…

C’est au travers de ces questions et de ces phrases indirectes que les lecteurs dressent des hypothèses, proposent des solutions potentielles, énonçant ainsi, sous le couvert du questionnement, une ébauche de réponse au magazine : «cela vient-il du fait que les poils sont trop durs ? La solution X serait-elle efficace ?». Ils se posent ainsi en connaisseurs de leurs problèmes et des diverses solutions qui se présentent à eux, mais cherchent à travers la parole du magazine une confirmation ou une infirmation de la solution possible qu’ils viennent d’énoncer. Les questions posées aux diverses rédactions sont donc pour beaucoup d’entre elles des espaces de présentation d’une solution qui ne demande que l’aval du magazine. Elles sont aussi l’énonciation d’une volonté de l’épistolier de connaître s’il existe ou non une solution au problème précédemment présenté afin d’être définitivement fixé sur l’avenir.

L’énonciation de la demande étant un des lieux principaux de visibilité du sens investi par les lecteurs dans les magazines auxquels ils adressent les lettres et des attentes qu’ils mettent dans ces magazines, nous avons choisi de ne pas traiter ici, mais dans la dernière partie de cette analyse de la forme et du contenu des lettres, les diverses fonctions dont les demandes sont porteuses, donnant ainsi aux magazines traitant des questions sexuelles, sentimentales et corporelles un statut d’» améliorateur de la vie quotidienne» par le biais de la réponse fournie.

En effet, les lecteurs multiplient souvent les demandes dans une même lettre, soit sur un seul sujet, les questions s’enchaînant pour aboutir à une réponse la plus précise possible : un lecteur écrivant à M Magazine au sujet d’une hyperpilosité du dos demande : «n’existe-t-il donc aucun produit, aucun traitement fiable à 100% sur le marché actuel ? N’y a-t-il aucun moyen de régler ce problème que je considère comme une maladie ?», soit en accumulant des demandes concernant des sujets ne possédant aucun rapport entre eux. C’est notamment le cas d’un épistolier adressant 4 demandes à M Magazine dans une seule lettre : la première sur comment faire des photos de nu, une seconde sur l’augmentation de la taille de son sexe, la troisième sur les vêtements adéquats à la piscine et enfin une dernière concernant un problème dermatologique. La multiplication des demandes dans une même lettre renforce l’idée que nous avons déjà émise sur le magazine comme espace de libération d’une parole enfouie. En effet, les épistoliers profitent de leur écriture de la lettre pour y évoquer tous leurs questionnements et soucis, cette lettre étant la seule qu’ils enverront ; cette unicité de la lettre pour l’épistolier (la majorité des lecteurs n’écrivent qu’une fois, même si nous avons montré que certains épistoliers sont particulièrement prolifiques, leur frénésie d’écriture relevant parfois de la pathologie) les invite à y énoncer, une fois pour toute, toutes leurs demandes, les plus diverses soient-elles.

Ces demandes diverses sont aussi présentes chez FHM dans la rubrique «la lune» : ainsi un lecteur demande un premier cadeau : une photo dédicacée d’une star porno des années 80 et en second cadeau, la cassette vidéo de la finale de tennis du tournoi de Wimbledon 1980 opposant Mac Enroe à Borg. Ils multiplient ainsi les propositions de cadeaux dans l’espoir d’en voir un retenu. Pour cela, certains établissent même une hiérarchie qu’ils fondent autour du degré de faisabilité de la recherche. Ainsi, la multiplicité des demandes dans une même lettre de «la lune» ne fonctionne pas uniquement sur l’énonciation d’une demande inaccessible pour le magazine et qui sert à amoindrir la difficulté à obtenir la seconde énoncée, la présence de deux demandes d’objets différents dans une seule lettre s’articule autour de l’argument de la solution de repli, pour la seconde. En effet, les épistoliers évoquent une première demande tout en énonçant une seconde, au cas où la première ne pourrait être obtenue. Ainsi, un lecteur demande à FHM de réaliser son plus grand rêve : «mon rêve serait de pouvoir espérer conduire un bolide, plus particulièrement une Lamborghini Diablo, enfin je ne veux pas passer en plus pour un difficile, mais si cela n’est pas possible, au moins avoir la chance d’être à côté du conducteur pour se rendre compte des sensations».

Au travers des demandes énoncées aux magazines auxquels ils s’adressent, via le courrier, les lecteurs donnent à voir d’une part la teneur des problèmes auxquels ils sont confrontés, les centres d’intérêt qu’ils espèrent voir enrichi d’un cadeau offert par FHM, ainsi que la teneur de la réponse apportée par le magazine, augurant ainsi de la fonction accordée, via les demandes, aux différents magazines, en fonction notamment des rubriques auxquelles le courrier s'adresse. L’énonciation de la demande est le maillon final de la présentation de l’objet de la demande qui ,présenté auparavant, se conclut sous la forme d’une question très brève, souvent fermée, dans le but d’amener de la part du magazine à une réponse précise et définitive qui viendra mettre fin à un long questionnement. Une fois cette dernière étape incorporant l’objet de la lettre énoncé, comment les épistoliers mettent-ils fin à leur communication avec les magazines ? Nous avons montré que la communication débute soit, par une adresse au magazine lui-même, soit par une adresse aux membres fabricant celui-ci et que les en-têtes oscillent entre le classicisme des formules de politesse pour les lettres sexuelles et des formules plus légères, qui relèvent de la tradition épistolaire amicale. Comment, les lecteurs signent-ils des lettres dans lesquelles ils ont multiplié les marques d’attachement et les demandes ?