- Quand les lecteurs ne se reconnaissent plus dans le magazine et que les conseils donnés sont erronés.

Les lettres de mécontentement ne représentent que 8.7% du total du corpus de M Magazine, 8.1% de celui de Men’s Health et 5.7% de FHM-sexo. Très rares sont les lettres de mécontentements arrivant à la rubrique «la lune» qui ne soient pas porteuses d’une demande ; en effet, quand les lecteurs ne sont pas contents d’une absence de réponse, ils l’écrivent au magazine, tout en réitérant leur demande. C’est pourquoi, dans le tableau de répartition thématique des lettres critiques, nous n’avons pas pris en compte le corpus de FHM-Lune.

  M Magazine Men's Health FHM -sexo
erreurs dans articles 6 13 15
produits trop chers 4 3 1
récurrence des articles 6 2 /
erreur de positionnement 2 4 /
points de vue non partagés 3 6 1
magazine qui ne s'adresse pas à ses vrais lecteurs 14 3 1
produits ou réponse sans effets 1 / 3
trop proche de la concurrence 1 1 /
divers 2 2 3
total 39 34 24

Les lecteurs s’adressent aux magazines pour évoquer principalement deux sources de mécontentements : les erreurs dans le contenu des articles, des dossiers mais aussi dans les conseils donnés et dont les effets annoncés se sont révélés minces, voire inexistants d’une part et le sentiment ressenti à la lecture des magazines de ne pas appartenir au lectorat pour lequel ceux-ci sont produits d’autre part.

Les lecteurs écrivent pour une erreur dans une recette, pour une publicité dont le produit vanté est inefficace, pour un restaurant annoncé comme «très bon» et qui se révèle, pour l’épistolier, décevant... En repérant les erreurs des magazines, les épistoliers se posent dans leurs lettres en experts de la question et offrent au magazine les informations nécessaires à la correction ; ils se présentent alors soit sous leur fonction sociale (médecin…), soit comme ayant été confrontés au thème du sujet erroné et donnent leurs connaissances et expériences. La plupart des lettres envoyées pour dénoncer une erreur du magazine ne sont pas virulentes, les lecteurs les envoyant pour aider le magazine à offrir les meilleures informations possibles. C’est pourquoi les lettres évoquant les erreurs sont porteuses, dans leur majorité, des marques d’attachement au magazine, de félicitations et l’énonciation de l’erreur et de la volonté des lecteurs de voir celle-ci corrigée entre dans l’espoir de voir le magazine être le plus parfait possible.

En revanche, les lettres dans lesquelles les lecteurs dénoncent les difficultés qu’ils éprouvent à se reconnaître dans les articles et produits proposés par les magazines, sont plus virulentes ; les lecteurs allant parfois jusqu’à dénoncer la lecture de ces magazines écrits pour un public autre que son public réel. Ce sont des critiques sur la cherté des produits et vêtements proposés, sur l’absence de certaines franges de la population masculine (seniors, homosexuels) et sur la présentation à travers les magazines d’une figure masculine idéale éloignée de celle de la rue, et de la présence importante des stéréotypes sur les hommes et particulièrement sur les femmes : «je viens d’acheter votre magazine et je suis complètement révolté. En effet, vous n’avez pas échappé à cette mode qui envahit les pubs et donc l’ensemble des médias et qui consiste à montrer des hommes déshabillés que dans la mesure où leur torse demeure entièrement imberbe. Cessez de nous représenter, nous les hommes, avec ces jeunots dont le torse ressemble plus à celui des bébés qu’à celui d’un homme. Vive les torses poilus des hommes virils».Ainsi, les lettres sur l’absence de la présence d’homosexuels dans les pages de la nouvelle presse masculine fait l’objet de multiples lettres, particulièrement chez Men’s Health, tout comme les lettres homophobes reçues dans chaque rédaction. Les épistoliers écrivent quand ils ne se sentent être le lecteur pour lequel le magazine est écrit : c’est ainsi que les lecteurs provinciaux écrivent pour se plaindre du «parisianisme» des magazines masculins.

Enfin, certaines critiques montrent l’assiduité et l’observation des lecteurs qui dissèquent les numéros et critiquent les erreurs et manipulations journalistiques. Ainsi, un lecteur de Men’s Health écrit en août 1999 «je suis surpris de voir que vous avez des lecteurs avant de sortir votre premier numéro. Que faut-il en déduire ? Que vos rubriques sont inventées de toutes pièces ! Changez alors d’en-tête : Men’s Health, 100% nouveau, 100 % conneries». Chaque petit détail du magazine, symbolisant ainsi le degré d’observation dont le magazine est l’objet par les lecteurs, peut devenir la cible d’une critique : une photo des tours du World Trade Center dans le numéro d’octobre de FHM fut à l’origine de plusieurs lettres dont une dénonçant le non-respect du magazine pour les victimes, un mannequin portant de la fourrure chez M Magazine a engendré des lettres sur la protection des animaux, dont une envoyée à M Magazine et dont le contenu est acerbe : «Vous présentez le prégage comme un loisir touristique, c’est comme si vous déclariez sereinement d’aller faire un stage chez un bourreau nazi pour apprendre à torturer. Et ce n’est pas du tout exagéré. Franchement un journaliste qui est mal informé sur le sujet de son reportage, ça ne fait vraiment pas sérieux. (…) Pour revenir à la fourrure, vous avez à nouveau confirmé votre erreur dans le numéro 9 en proposant comme idée de cadeau. Pour rester poli, je n’écrirai pas ce que je pense d’un homme qui peut en offrir ou d’une femme qui en accepte».

Les épistoliers se montrent donc critiques face aux erreurs de la nouvelle presse masculine, en énonçant leur mécontentement et les changements qu’ils espèrent voir apporter, suite à leur lettre. Ce sont donc des critiques constructives que les lecteurs envoient aux rédactions, peu d’entre eux, en effet évoquant l’arrêt de la lecture du magazine. Ils se montrent ainsi comme concernés par les informations données et évoquent par-là même l’attachement qu’ils portent au magazine dans son ensemble, mais aussi aux réponses et conseils donnés dont l’inefficacité reste une des sources majeures de mécontentement. C’est donc dans le but de se voir offrir un magazine parfait, répondant à leurs aspirations, à leurs centres d’intérêt, à leur sexualité, à leur âge… que les lecteurs envoient des critiques dès que le magazine déroge à l’image qu’ils aimeraient qu’il ait. Or, même si les magazines tiennent compte de ces critiques, répondent à certaines d’entre elles via leurs espaces de discussion et de réponse au courrier, ils ne peuvent adopter des positionnements ambivalents : traiter de l’homosexualité et répondre favorablement aux lettres homophobes, posséder un portefeuille publicitaire composé des grandes marques et proposer des produits et vêtements de bas de gamme…

Ces critiques montrent donc un lecteur actif, concerné par le positionnement et l’évolution du magazine auquel il est habitué, et à laquelle évolution il contribue en envoyant des propositions de changements, de nouvelles rubriques, d’aménagements du contrat de lecture, ce qu’il fait sous la forme de lettres apologétiques dont le but est de rendre le magazine le plus proche possible de ses aspirations.