-Des simples félicitations aux propositions d’aménagements pour la perfection du magazine.

Les lecteurs écrivent aux magazines parfois, dans le simple but, de le féliciter d’un article et de le remercier du plaisir engendré par la lecture. C’est ainsi que M Magazine a reçu 30 lettres de seules félicitations, 27 pour Men’s Health et une dizaine chez FHM pendant notre stage. Ces lettres peuvent être très courtes : «merci pour l’article sur les crèmes de soins du visage pour homme»ou très longues, énonçant toutes les qualités du magazine : «Alléluia, alléluia ! Il est enfin apparu le magazine destiné à la gent masculine. Si je m’empare de ma plume ce jour, chose qui est rare, c’est pour vous exprimer mes plus sincères félicitations et remerciements pour ce que vous réalisez à chaque parution. Pendant des années, je l’ai cherché sans vraiment le savoir, grappillant ici et là dans différents magazines soit sur la muscu et la forme, soit sur la vie quotidienne, la mode… Et là tout y est, je vous en remercie vraiment». Les épistoliers de la «lune» écrivent quant à eux, pour remercier quant ils ont été soit choisis et récompensés, soit quant ils ont fait l’objet d’une recherche, même si celle-ci n’a pu aboutir.

Les lettres d’apologie des magazines s’accompagnent souvent d’évocations des souhaits de transformation de certaines rubriques, de disparition d’autres ; les épistoliers proposent eux-mêmes les changements qu’ils aimeraient voir dans le magazine. Ces lettres proposent donc une inversion des rôles ; les lecteurs fournissant les idées d’innovation à apporter aux magazines, donnant ainsi un conseil au magazine quand au quotidien, c’est le magazine qui conseille le lecteur. Par cette ingérence dans la construction du magazine, les lecteurs cherchent à voir créer le magazine, pour eux, idéal et multiplient donc les souhaits : «j’aimerais une page sexuelle pour adolescent», voire parfois, comme pour le lecteur qui écrit tous les mois à FHM pour donner son avis, rubrique après rubrique, sur le nouveau numéro, des lecteurs qui refont le magazine dans son ensemble. M Magazine a reçu en décembre 1998, une lettre de lecteur qui propose : «la rubrique «quoi de neuf, docteur» doit être supprimée car sans intérêt et décalée, c’est le style d’articles typiques que l’on trouve dans la presse féminine et qui lui donne une image intellectuellement débile, la rubrique «Messieurs, il faut qu’on en parle» est une excellente idée qui pourrait être enrichie par le regard de 4 types de femmes différentes…».

Pourquoi écrire à un magazine quand on n’a aucun grief à lui énoncer ? Il semble, au regard des lettres de félicitations envoyées aux rédactions, que les lecteurs éprouvent le besoin de les remercier d’avoir instaurer un espace de communication et de parole dans lequel ils peuvent énoncer des problèmes jusqu’alors enfouis et donc non résolus. La libération de la parole, facilitée par les nouveaux magazines masculins, induit pour les lecteurs un tel changement dans leur vie qu’ils l’expriment en remerciant les magazines pour leurs articles, leurs contenus, leur aide… Cette écriture apologétique est ainsi la marque d’un attachement important aux magazines pour des lecteurs qui ont longtemps vécu sans magazine pour eux, c’est ainsi qu’ils encouragent les magazines à continuer, et en leur énonçant leurs espoirs de thèmes et de rubriques nouvelles, espèrent contribuer à l’amélioration et au perfectionnement du magazine dont ils sont des lecteurs assidus.

Les lettres envoyées à la nouvelle presse masculine ont donc pour objet l’énonciation d’un problème, d’une difficulté dont les conséquences sur la vie sociale et personnelle de l’épistolier sont chaque jour plus insupportables ; le caractère tabou de ces problèmes intimes ne facilitant pas leur évocation, les lecteurs ont recours aux magazines pour exprimer, sous la forme de la confidence épistolaire, leur mal-être... Quels sont donc ces thèmes que les épistoliers ne peuvent exprimer que sous une forme écrite, parfois anonyme et dans une relation médiatée par le support de la lettre, dont l’importance de la réponse apportée par les magazines est sous-entendue par les multiples marques d’attachement énoncées au cours des courriers ? Quels sont donc ainsi les difficultés masculines que les hommes ne parviennent pas à évoquer, en ce début de siècle, dans une communication intersubjective avec un membre de l’institution médicale ou avec son entourage ? Les lettres envoyées par des femmes laissent-elles apparaître une différenciation sexuelle des demandes, autant aux rubriques sexuelles ou liées au soin du corps que dans les centres d’intérêts abordés via les cadeaux de «la lune» ? C’est donc par une analyse des thèmes abordés dans les lettres reçues par les rédactions de la nouvelle presse masculine que la seconde phase d’analyse du courrier va s’achever.