-Le poids, le muscle, les poils, la peau, le sexe : les éléments d’une masculinité en quête de normalité.

C’est autour d’une opposition entre «trop» et «pas assez» que les épistoliers expriment leur mal-être. Nous avons classé les cinq catégories dominantes en sous-catégories fondées à partir de ce système d’opposition afin de connaître quelle norme les épistoliers désirent atteindre en matière de sexe, de pilosité, de poids…

  trop pas assez Pas assez érection acte trop court éjaculation précoce
sexe          
M Magazine 1 (1.4%) 27 (38%) 7 (9.8%) 7 (9.8%) 7 (9.8%)
Men's Health / 20 (14.8%) / / 11 (8.1%)
FHM 2 (0.4%) 14 (6.4%) 1 (0.4%) / 26 (12%)
poils      
M Magazine 32 (59.2%) 13 (24%)  
Men's Health 18 (64.2%) 5 (17.8%)  
FHM 6 (85.7%) /  
       
cheveux      
M Magazine / 16 (80%)  
Men's Health / 4 (30.7%)  
FHM / /  
       
muscle      
M Magazine / 15 (29.4%)  
Men's Health / 8 (88.8%)  
FHM / /  
       
poids      
M Magazine 10 (47.6%) 6 (28.5%)  
Men's Health 18 (62%) 7 (24.1%)  
FHM / /  

C’est donc moins de poils, plus de cheveux, plus de muscles, moins de poids et surtout plus de sexe que les épistoliers désirent. Ils cherchent à remédier à une calvitie, à une hyperpilosité, à une obésité ou à un excès de poids, pour lequel ils réclament des régimes, des conseils alimentaires mais surtout des exercices pour transformer leur surpoids en muscles.

Ce que les hommes recherchent, ce sont les arguments physiques extérieurs, symboliques de la masculinité : les cheveux (même si quelques lettres évoquent l’image virile des hommes à la tête rasée), les muscles, et les corps imberbes, désormais synonymes de la virilité masculine, au même titre que les poils il y a quelques années. Ces arguments visibles et donc ostentatoires de la virilité sont complétés par la notion de performance sexuelle que les épistoliers fondent autant sur le pénis que sur l’acte sexuel lui-même. Ainsi, ils veulent «plus de» pénis : taille (grosseur, longueur) mais aussi dans l’utilisation qui en est faite : «plus de» positions, «plus d’» érections, «plus de» durée de l’acte… C’est dans le sexe comme une performance que les épistoliers évoquent dans leurs lettres, décrivant leur pénis sous la forme de mesures, de degré d’inclinaison … Ils multiplient ainsi les indications pour justifier de leur performance. Outre l’apparence extérieure du sexe qui est un des arguments de la masculinité 874 , les hommes questionnent sur la technique à employer pour faire de leur sexe, un «bon sexe». C’est donc une prouesse, une performance que les hommes veulent atteindre, et s’adressent aux magazines pour éviter ou éliminer la défaillance : car, pour les épistoliers, l’homme ne doit être défaillant ; c’est pourquoi les épistoliers demandent aux magazines ce qu’est la norme, la moyenne en matière de rapports sexuels (combien de fois, à quel âge, quelle longueur… ?) et s’ils correspondent aux statistiques. Nous avons comptabilisé parmi les lettres portant des demandes relatives au corps, le nombre de celles portant une référence à la norme :

  M Magazine Men's Health FHM -sexo
rapport à la norme 12 (3.3%) 25 (7.2%) 42 (14.2%)
suis-je normal ? 2 8 12
est-ce normal ? 10 17 30

Si tous les corpus portent des marques de l’importance de la référence à la norme dans la construction masculine, les lettres envoyées à FHM par des lecteurs plus jeunes que chez les autres magazines, sont de l’ordre de la recherche d’éducation sentimentale et sexuelle ; les jeunes épistoliers y cherchent des techniques, des méthodes, des «recettes» pour appréhender l’acte sexuel ou pour le perfectionner, c’est pourquoi ils multiplient les demandes sur la

normalité de telle situation, mais aussi sur eux-mêmes : «suis-je normal ?» est un des

questionnements récurrents chez l’adolescent. Etre anomique est alors synonyme de différence et pour les jeunes hommes en devenir, de défaillance. En revanche, «est-ce normal ?», ne renvoie pas directement à l’individu, mais à son problème, et est utilisé principalement dans deux catégories : les demandes relatives au sexe «est-ce normal qu’il soit petit ? tordu ?…» et aux poils «est-ce normal d’avoir du poil à cet endroit ?», lesquelles catégories sont deux des plus représentatives de ce qui constitue la masculinité.

A quelle norme les épistoliers veulent-ils répondre ? Désireux de correspondre à la figure de l’homme viril : performant, sûr de lui (c’est pourquoi ils cherchent une «réassurance» auprès des magazines), possédant tous les aspects physiques extérieurs symbolisant, aujourd’hui, la figure masculine, les épistoliers évoquent à travers leurs lettres deux modèles incarnant la figure idéale de l’homme, vers lesquels ils veulent tendre. C’est donc en prenant pour modèle la figure de l’acteur pornographique et de celle du mannequin que les épistoliers adressent aux magazines leurs demandes de performance, leur volonté de voir leur corps glabre et sculpté par des exercices de musculation et ainsi pouvoir correspondre à l’image de l’homme véhiculée par la nouvelle presse masculine.

Notes
874.

Nous avons vu dans la première partie que les mesures du sexe effectuées sous la forme de concours dans les vestiaires, les douches… sont présentées par Daniel Welzer-Lang comme une des initiations à la masculinité.