Nous avons montré que dans les formes de signatures utilisées pour conclure les lettres, certains lecteurs utilisant des pseudos signent de «Rocco», référence à l’acteur pornographique Rocco Siffredi. S’il est l’emblème de nombreux lecteurs, tout l’univers pornographique semblent les fasciner et leur sert d’une part d’éducation sexuelle et d’autre part de modèle de référence pour leurs questions aux publications. Ainsi, de nombreux lecteurs évoquent telle situation d’un film précis dont leur but est de la reproduire, en questionnant les magazines sur les techniques à employer. C’est pourquoi les jeunes épistoliers de FHM énoncent des questions très documentées et précises, évoquant des situations relevant d’une expérience déjà ancienne de la sexualité en désaccord avec leur inexpérience : de nombreux lecteurs énoncent leur volonté pour leur première expérience sexuelle de procéder à des fellations, sodomie… et veulent des techniques, argumentant ceci par le dernier film pornographique visionné. Ainsi, un des lecteurs de FHM explique qu’il utilise ces films pour solutionner certains de ses problèmes.
Les lecteurs retiennent des acteurs de films pornographiques l’image de l’homme performant, enchaînant les actions sans s’arrêter et veulent imiter cette performante, sans imaginer que les films ont pu être réalisés avec diverses prises accolées au montage. C’est ainsi qu’un lecteur de FHM demande au magazine comment faire pour produire une quantité aussi importante de sperme que l’acteur pornographique. Outre les performances physiques de l’acteur, les épistoliers lui envient son mode de vie : il n’est donc pas qu’un simple modèle de référence, il est pour beaucoup un modèle envié, et dont ils aimeraient, notamment avec l’aide des magazines, partager le quotidien. Un lecteur de Men’s Health écrit ainsi : «je pense au sexe 24/24 heures. Je me demande si je ne devrais pas faire des films pornos pour assouvir cette envie et ce besoin qui grandit sans cesse» ; c’est en effet un des rêves que les lecteurs demandent à la rédaction de FHM de réaliser, dans le cadre de la «lune». En effet, 10 demandes sont relatives à l’univers du film pornographique : 4 lecteurs désirant tourner un film, et 6 voulant rencontrer une star du X 875 et c’est en grande partie pour les jeunes starlettes dénudées que les lecteurs achètent FHM.
Dans leurs lettres, les lecteurs s’autoqualifient de «chaud-lapin», «bel animal», donnent des noms à leur sexe : «mon patrimoine», «la bête», «l’outil», «mon objet»… et vantent leurs prouesses, tels des acteurs porno. Un lecteur de Men’s health s’attribue le
«nouveau record du monde d’éjaculation», un autre évoque «toutes les femmes que j’ai honorées», «toutes les femmes avec qui je suis sorti m’ont dit que j’étais bien membré»…, certains témoignant auprès des rédactions de leurs exploits 876 …
L’acteur pornographique est le modèle de la performance sexuelle tandis que le mannequin des couvertures de Men’s Health et de M Magazine est, quant à lui, le modèle de l’idéal physique masculin. Les hommes font en effet référence à ses muscles : «c’est une vraie sculpture», à ses abdominaux qu’ils désignent en s’appropriant les codes des magazines, ils évoquent les «tablettes de chocolat», «ils ont des muscles, ils ressemblent à quelque chose», son ventre plat et sa poitrine imberbe ; en revanche, ils évoquent rarement la beauté du visage, ni de son élégance. C’est avant tout la carrure qui semble intéresser les épistoliers, renvoyant ainsi à l’image de l’homme grand et fort, les épistoliers demandant aux rédactions des exercices de musculations (ils envoient leurs photographies) et non des séances de relookage. C’est pour ces attributs de la prestance physique que les épistoliers citent en modèle les gogodancers, et les stripteasers qui associent le physique des mannequins et l’érotisme des acteurs pornographiques.
Vers quelle image de l’homme les épistoliers souhaitent-ils tendre en prenant pour modèle ces idéaux masculins ? Dans leurs lettres, ils donnent quelques indications sur ce qui fait la virilité : une voix grave, un torse bombé et dessiné, des muscles apparents restent les archétypes de l’homme fort ; en revanche, la pilosité reste, à travers les lettres, un des points sur lequel l’image de la virilité diverge entre conservatisme de l’image de l’homme poilu et acceptation de l’homme imberbe comme nouvelle image de l’homme fort et viril. Le courrier des lecteurs de la nouvelle presse masculine laisse voir une conservation des traits constitutifs de la masculinité fondée sur la performance sexuelle, sur la force…, renvoyant à l’idée ancestrale du corps-machine, et que les épistoliers énoncent en terme de quantité (de sexe, de poils, de cheveux, de muscle…) aux publications devant les aider à fabriquer. Nous verrons à travers les fonctions investies par les épistoliers dans les publications qu’ils y énoncent une masculinité en formation, avec l’aide de ces derniers. Tandis qu’une importante partie des lettres concerne une recherche de la force masculine en accord avec ce qu’est la norme masculine d’aujourd’hui supposée par les lecteurs, une autre partie concerne en revanche l’homme en proie à la douleur physique du mal, aux difficultés des douleurs psychologiques et sentimentales qui, parce qu’invisibles, restent de l’ordre de l’intime et viennent contrecarrer l’image de l’homme fort.
La rédaction a ainsi organisé dans le cadre du salon de l’érotisme à Paris, en octobre 2001, une rencontre entre des lecteurs et Clara Morgane, jeune star du X français. Or, peu de lecteurs ont finalement répondu présent à l’invitation, de peur d’être reconnus dans le magazine.
Ainsi, cette lettre envoyée à M Magazine et qui ne porte aucune demande : «je pratique un jeu sexuel avec ma femme en la faisant jouir le plus grand nombre de fois. Je me permets donc de donner un conseil aux autres hommes pour profiter des possibilités de leurs partenaires(…)» Il multiplie alors les conseils et se pose ainsi en spécialiste de la performance sexuelle.