a) Des magazines confidents.

Les lettres à consonance sexuelles ou corporelles relèvent pour la plupart d’entre elles de la confidence. Abordant des sujets tabous, qu’ils n’arrivent pas à évoquer avec leurs entourages, ni avec les représentants de l’institution médicale, les épistoliers n’ont recours qu’à l’écriture, établissant par ce biais une relation médiatée avec les magazines leur permettant via la distance, d’énoncer une parole intime enfouie et ce, sous le sceau de la confidence. Témoignant d’un sentiment fort de confiance en les publications, les lettres en portent d’ailleurs les marques : tutoiement, «petits noms» donnés aux rédactions, emploi des pronoms possessifs pour marquer s’approprier le magazine («mon magazine»), emploi de locutions à caractère amoureux («FHM, mon chéri»)… Si les épistoliers écrivent aux publications, c’est d’une part parce que le support épistolaire implique une distance et non un tête-à-tête facilitant la prise de parole, et d’autre part que cette parole est adressée à un magazine certes auquel l’épistolier est lié mais avec lequel il peut contrôler la suite donnée par le magazine à la confidence, en imposant des marques d’anonymat, de non-publication. L’épistolier reste donc le maître de sa confidence, par le choix de interlocuteur, et le choix du mode de réponse. C’est donc un système d’interaction choisi par l’épistolier avec un interlocuteur dont il connaît les règles de fonctionnement de la réponse et du respect des demandes relatives à cette dernière, effectuées par le lecteur. C’est donc une parole intime et singulière, qui peut être vouée à la publication et ainsi entrer dans l’espace public et collectif, mais qui, dans le cadre de nos corpus, comme nous l’avons montré, se révèle être une parole intime dont les locuteurs demandent à ce qu’elle le reste, notamment par le biais de la non-publication.

Pour Claire Bidart, la confidence est «justement fondée sur la non-publication de cette parole, sur son caractère «réservé». Les propos « de confidence» sont des propos normalement non-dits… Or, ils sont dits ; mais cela en quelque sorte exceptionnellement, et à peu de personnes. Il serait choquant, donc relevant de la transgression des règles sociales, d’étendre cette communication à des personnes non sélectionnées. En distillant l’information à de rares destinataires, on cherche à minimiser cette transgression, comme si elle était moins grave du fait d’être peu dite, ou dite à peu. Les personnes susceptibles d’entrer dans la confidence non seulement sont rares, mais aussi distinctes du «public» en ce sens qu’elles font l’objet d’une sélection. On ne se confie pas à tout le monde, ni à n’importe qui. La confidence apparaît comme une sorte d’exception reconnue et normée : ce caractère un peu paradoxal la situe à la frontière entre le social et l’individuel, renforçant ainsi son objet en tant qu’objet sociologique» 884 . C’est donc avant tout un mode de parole choisi par les épistoliers et qui est fondé sur la relation étroite entretenue avec le magazine (qui passe par une lecture de celui-ci depuis plusieurs numéros et une connaissance des modes de réponse qu’il utilise) et la nécessité d’énoncer des thèmes encore jugés tabous. Ce sont donc la nature des thèmes abordés qui imposent aux épistoliers la confidence. C’est pourquoi les lettres envoyées à «la lune» n’utilisent pas ce mode de parole, mais un mode plus direct, avec demande de publication qui est le moyen d’authentifier aux autres la réussite du challenge et qui est fondé sur la flatterie.

Cette forme de relation sociale confidentielle permet donc l’énonciation des thèmes difficiles à énoncer dans une relation sociale intersubjective et la demande d’un engagement plus étroit de l’interlocuteur dans la réponse fournie. C’est ainsi que les épistoliers demandent aux magazines d’intervenir en leur nom dans la réponse, en donnant leur avis, des conseils… mais aussi, plus simplement et c’est cette fonction-là du magazine que les épistoliers viennent utiliser en premier, de leur fournir une information précise. C’est donc au magazine comme informateur que les épistoliers adressent leurs questions.

Notes
884.

BIDART C., «Parler de l’intime : les relations de confidence», op. cit, p. 20.