d) Des magazines détenteurs de la vérité médicale et sexuelle.

Nous avons montré dans l’étude des pièces jointes accompagnant les lettres que les épistoliers n’hésitent pas à envoyer des copies de diagnostics médicaux, voire même des radiographies. Ils demandent ainsi aux magazines de confirmer ou d’infirmer la parole médicale énoncée par un spécialiste ou par leur médecin traitant, laissant apparaître un poids supérieur accordé à la parole de magazine qu’à celle de l’institution médicale traditionnelle. C’est ainsi qu’un lecteur de Men’s Health questionnant le magazine sur «la médecine est-elle une science exacte ?» interroge le magazine sur la caution à apporter ou non aux charlatans et aux médecines parallèles qui, nous l’avons vu, apparaissent chez de nombreux lecteurs déçus de l’inefficacité des traitements apportés par les médecins traditionnels, comme une alternative efficace à cette médecine traditionnelle. Or, les lettres sont traitées par des médecins généralistes et spécialistes, représentant l’institution médicale et qui, d’ailleurs, dans leurs réponses, confirment plus qu’ils n’infirment les conclusions et diagnostics de leurs confrères consultés en vis-à-vis, seule la rubrique Sex Questions chez FHM est confiée à des journalistes de la rédaction qui ne sont en rien spécialisés dans la médecine, les épistoliers étant informés de la présence de ces spécialistes comme en attestent les en-têtes adressés aux dermatologues, andrologues….

Les lecteurs que nous avons décrits comme étant très informés, parfois experts de leur problème, multipliant les sources d’informations, se retrouvent ainsi à la tête de multiples données, parfois contradictoires et qu’ils exposent aux magazines dans le but de voir ce dernier trancher le vrai et le faux de ces données. Ainsi, les lecteurs écrivent pour demander si tel médicament est bien celui qui soigne la calvitie, si tel antidépresseur fait bien perdre quelques kilos… Ils évoquent ainsi les traitements et produits vantés à travers les médias, à travers la publicité et notamment dans celles des magazines masculins : «le shampooing contre les pellicules dans votre dernier numéro est-il si efficace ?», mais aussi les rumeurs, on-dit sur les traitements à suivre pour tel mal  et ses conséquences: «est-il vrai que se faire épiler au laser est cancérigène ?». Le magazine doit ainsi confirmer, infirmer et arbitrer certaines rumeurs, certaines données que les épistoliers n’hésiteraient pas à mettre en pratique pour solutionner un mal persistant, c’est pourquoi les lecteurs demandent une réponse ferme (oui ou non) à toutes les informations dont ils disposent.

Outre l’apport de l’avis du magazine sur un premier diagnostic et la recherche de la vérité sur une foule de données médicales contradictoires, et qu’aux yeux des épistoliers, seuls les magazines sont en mesure de fournir cette vérité, les épistoliers y recherchent, comme nous l’avons montré, une confirmation de leur normalité, le magazine étant pour les épistoliers spécialiste de l’homme idéal et capable de fournir toutes les mesures qui font d’un homme, un homme comme les autres. C’est pourquoi les hommes multiplient les demandes de comparaison avec cette figure idéale à des magazines qui ont fait de celle-ci, leur figure masculine.

Le magazine est censé pouvoir répondre à toutes les questions que se posent les épistoliers, des plus importantes aux plus farfelues, confirmer les plus vraies, infirmer les plus erronées, justifier et éclairer les diagnostics effectués par les médecins traditionnels… Pour les épistoliers, les magazines sont donc les détenteurs de toutes les connaissances et de toutes les vérités médicales, sexuelles, corporelles et apparaissent ainsi comme les médiateurs entre les individus et l’institution médicale dont les magazines accueillent en leur sein des représentants. C’est donc un pouvoir colossal que les épistoliers accordent aux magazines, celui du savoir médical illimité leur permettant d’intervenir sur tous les sujets.

Les magazines de la nouvelle presse masculine répondant aux questions relatives au corps et à la sexualité sont donc des magazines pratiques, fournissant de multiples informations pratiques sur la vie au quotidien, mais aussi des informations plus personnelles qui, demandées sous le sceau de la confidence et de l’intervention active du magazine, prennent la forme de conseils, d’avis, de vérité, d’aide… et interviennent comme l’étape ultime de la résolution du problème. Les épistoliers font donc des magazines masculins auxquels ils s’adressent, des espaces d’échange avec des représentants invisibles de l’institution médicale auxquels ils peuvent évoquer les thèmes sexuels et liés au corps dans un rapport médiaté, via la feuille de papier et le magazine. C’est donc parce que la communication est médiatée que les épistoliers osent évoquer leur problème. La nouvelle presse masculine offre ainsi, grâce au support de presse qu’elle est et à l’écriture épistolaire qu’elle permet, un des espaces de confidence des hommes aujourd’hui. Mais la presse masculine n’est pas qu’une presse pour homme en recherche d’une amélioration corporelle, anatomique, d’une guérison, d’une aide extérieure…, elle est aussi un espace de divertissement, de plaisir auquel les épistoliers n’hésitent pas à envoyer leurs félicitations.