b) Une masculinité en construction à travers la consommation de la nouvelle presse masculine.

C’est une masculinité en fabrication, une masculinité incertaine que présentent les épistoliers de la nouvelle presse masculine et à travers laquelle ils puisent et viennent chercher des éléments pour la constituer et la conforter 889 . Or, ces éléments recherchés sont peu novateurs, à l’image des publications qui elles-mêmes sous couvert de formules novatrices en France, véhiculent au travers de leurs articles et de leurs photographies notamment féminines des éléments constitutifs de la masculinité traditionnelle. C’est cette masculinité-là que les hommes recherchent dans leurs lettres, abordant peu le soin du corps, la cosmétique, la beauté masculine, les vêtements qui sont pourtant les éléments sur lesquels a été basée la communication de ces magazines sur le changement d’habitude de consommation des hommes. Ces derniers ne demandent pas à avoir une peau plus éclatante, plus protégée…, ils réclament une augmentation de tous les indices constitutifs de la virilité exacerbée. Ils consomment ainsi les conseils et articles de la nouvelle presse masculine au même titre qu’ils consomment la médecine sous les formes parallèles à l’institution médicale ; en s’autodocumentant et s’autosoignant, les épistoliers consomment du soin, de la santé (les médecins parlent aujourd’hui non plus de patients, mais d’une «patientèle», contraction de «patient» et de «clientèle).

Vivant dans une société où le poids des apparences pour reprendre ici le titre de l’ouvrage de J-F Amadieu 890 régit les rapports sociaux (professionnels, amoureux, amicaux…), les hommes tentent ainsi de mettre le maximum d’atouts de leur côté en faisant appel à ces magazines leur prodiguant des conseils. Pour Amadieu, «l’apparence d’un individu et son pouvoir de séduction sont donc améliorables. Les consommateurs, hommes ou femmes, s’en doutent qui sont de plus en plus friands de conseils de beauté et de règles de régimes. Les magazines l’ont compris qui sont en pleine expansion, tout comme le marché de l’esthétique qui est très florissant» 891 . Mais cette amélioration ne passe pas par des changements radicaux en matière de modèles d’inspiration et d’habitudes corporelles ; les hommes continuent, à travers leurs lettres, à considérer que l’homme viril est le modèle dominant, qu’il se doit d’être porteur des indices visibles et représentatifs de la virilité (seuls le fait d’être imberbe est venu changer la donne), qu’il doit être performant dans tous les domaines et particulièrement dans ceux liés au corps (sport, sexe, apparence). C’est donc une masculinité certes en construction que donnent à voir les épistoliers, mais une masculinité qui se construit autour de ses éléments traditionnels où quelques rares éléments novateurs viennent s’immiscer. C’est ainsi que les magazines masculins continuent à véhiculer une représentation traditionnelle de l’homme et de la femme, mais aussi des centres d’intérêts purement masculins dont les demandes de «la lune» attestent de leur reproduction assortie de loisirs plus novateurs, et que les pages consacrées aux nouvelles pratiques des hommes sont restreintes dans la nouvelle presse masculine : les pages soins du corps (cosmétiques, produits de soin du corps) restent très limitées, quand celles des exercices de musculation peuvent tenir une dizaine de pages par numéro.

A travers les conseils et informations pratiques distillés par les nouvelles publications de la presse masculine française, les hommes tentent de se fabriquer une masculinité en accord avec les images véhiculées par la mode, par les mannequins, par les hommes de la publicité mais qui, restant des figures masculines idéales, imposent aux lecteurs des efforts à fournir dans l’espoir (souvent chimérique) de pouvoir un jour leur ressembler mais aussi des difficultés à vivre leur anormalité face à ces modèles dominants. La nouvelle presse masculine tente alors de les conseiller, de leur fournir certaines recettes à appliquer mais elle tente aussi de les assurer de la normalité de leur corps tel qu’il est, en leur rappelant notamment que le mannequin de couverture peut aussi avoir été retouché par la technique, et que vouloir changer radicalement la forme de son corps n’est pas automatiquement synonyme de bonheur et de plaisir. En cherchant à se créer un corps idéal, instrument de plaisir et de séduction, les épistoliers renvoient ainsi à une masculinité rêvée. En cherchant à éliminer d’eux-mêmes toutes formes de défaillance, les épistoliers visent une figure utopique dont l’échec ne peut qu’accentuer leur mal. 

Notes
889.

Pour David Gauntlet, dans Média, Gender and Identity, an Introduction, les hommes ne sont pas en «crise», la presse masculine est pour les hommes qui ont trouvé une place pour eux dans le monde moderne et cette presse, via l’humour, traite des éléments qui constituent la masculinité car «we all know that masculinity is a socially constructed performance anyway».

890.

AMADIEU J-F., Le Poids des Apparences. Beauté, Amour et Gloire. Paris, O. Jacob, 2002, 215 p.

891.

AMADIEU J-F., Le Poids des Apparences. Beauté, Amour et Gloire, ibid, p. 208.