CONCLUSION DE LA TROISIEME PARTIE

En écrivant en 1999, ces quelques lignes page 136 de son ouvrage intitulé Nicolas Page : «l’américain me voulait aux normes internationales, ça fait partie du deal. Sans bide, avec cinq ou six kilos de muscles en plus, le nez refait, les oreilles recollées, les poils non-conformes exterminés au laser. Il y en avait bien pour deux ans», l’écrivain Guillaume Dustan évoque cette construction idéale de la masculinité après laquelle courent les hommes adressant leur courrier à la nouvelle presse masculine française. Héritière des versions anglo-saxonnes, elle distille des images masculines idéales fondées sur une accentuation des caractéristiques constituants la virilité, à des hommes aux corps éloignés de ceux des éphèbes présentés dans les pages et en couverture. Venant y chercher des conseils, des recettes pour améliorer leur condition physique, pour régler aussi certains problèmes anatomiques, mais rarement psychologiques et sentimentaux, les hommes veulent continuer à présenter une masculinité emprunte de performance, de force, exemptée de toute forme de défaillance, s’apparentant à la masculinité traditionnelle et moins à l’image de l’homme plus féminin, prenant soin de sa peau, de sa famille…. Les lettres adressées à la nouvelle presse masculine spécialisée donnent à voir l’image d’un homme hypernarcissique, égocentrique, à la recherche de la construction d’un corps viril comme d’un instrument de séduction et de plaisir ; elles donnent aussi à voir des hommes sur lesquels les images masculines véhiculées par les campagnes publicitaires, médiatiques, les magazines masculins… ont une influence importante sur une partie d’entre eux, les plus vulnérables, les plus touchés par un problème physique les handicapant dans leur vie quotidienne et pour lesquels le recours à l’écriture aux nouvelles publications est le seul moyen d’aborder des thèmes intimes qu’ils ne peuvent évoquer dans une communication intersubjective. La confidence que permet la nouvelle presse masculine par le biais de l’interactivité sur laquelle elle fonde une partie de ses pages et de la médiation de la lettre est ainsi un lien social que tissent ces épistoliers avec un des lieux de parole ouverts aux hommes. La parole longtemps enfouie est déversée sous la forme de lettres évoquant en une structure récurrente l’attachement étroit au magazine, les attentes importantes investies dans la réponse donnée pour enfin échapper au regard persistant des autres… et ce, dans une communication épistolaire écrite avec les «moyens du bord» : avec une maîtrise parfois difficile de la langue, un mélange entre les différents registres de langage, entre différents dialectes, en s’appropriant des termes récurrents du magazine mais en les restituant de manière erronée, avec une méconnaissance des codes épistoliers classiques qui, avec l’utilisation grandissante au fil des mois de l’Internet au détriment de la lettre manuscrite, disparaissent complètement des courriers… ; ces lettres apparaissent comme des lettres expiatoires.

La nouvelle presse masculine en oscillant entre des formules didactiques et pratiques pour les magazines de presse spécialisée dans le pôle santé-forme et des formules de divertissement, aux contenus ludiques engendre ainsi des courriers des lecteurs aux teneurs opposées. Si les lettres à caractère sexuel et liées au fonctionnement du corps sont empruntes de gravité, à la recherche d’une aide de la part des publications, les lettres envoyées à la rédaction de FHM, dans le cadre de la rubrique «la lune» laissent quant à elles voir des centres d’intérêt en matière de divertissement masculin qui, tout en restant fondé sur les valeurs sûres du loisir des hommes (sport, voiture, filles…), s’ouvrent vers des domaines moins connotés comme étant spécifiquement masculins en partageant avec la gent féminine un attrait croissant pour le monde de la célébrité que les épistoliers viennent un peu chercher par le biais du cadeau offert, synonyme de passage dans le magazine, et de distinction par rapport aux lecteurs non récompensés.

C’est donc une masculinité non assurée mais pas en crise que portent les lettres mais en quête d’assurance, que les hommes viennent chercher dans la nouvelle presse masculine, confirmant ainsi son statut autoproclamé de presse pratique aidant les hommes à franchir certains caps de leur vie, tout en présentant un côté divertissant auquel les lecteurs montrent, à travers leur écriture, leur attachement.