c) M Magazine  : un gouffre financier à l’image trop populaire pour les investisseurs.

Nous avons interrogé le rédacteur en chef de M Magazine au moment de quitter la rédaction. Le premier argument donné par le groupe pour justifier de la disparition du titre fut l’érosion de la diffusion : le premier numéro de la nouvelle version s’étant vendu à 45 000 exemplaires et le second laissant augurer des ventes plus proches de 30 000 que de 40 000 exemplaires. La seconde version de M Magazine était donc un échec commercial. Le magazine n’a jamais été rentable 899 , mais la chute continuelle des ventes l’a propulsé vers les difficultés financières.

Qu’est-ce qui a déçu les lecteurs dans la formule de M Magazine ? Au regard de la baisse des ventes de M Magazine et de la hausse de celles de Men’s Health, au printemps 1999, il semble que la version originale ait attiré les lecteurs et ce, grâce à sa formule rodée, à une mise en page plus moderne… Or, rapidement, il est apparu que les ventes de Men’s Health, même si elles sont supérieures à celles de M Magazine, ont lourdement chuté. C’est donc dans la formule spécialisée en santé-forme que réside une des sources des difficultés de M Magazine. La récurrence des articles, des thèmes, les couvertures montrant des hommes idéaux dans lesquelles certains lecteurs ne se reconnaissant pas… ont entraîné une désaffection des lecteurs pour ces formules. Nous verrons dans l’analyse des raisons générales à la perte de vitesse du marché de la nouvelle presse masculine que l’euphorie du début sur l’évolution des hommes s’est rapidement révélé être dans notre société un emballement trop précoce.

La chute des ventes de M Magazine, assortie d’un lectorat populaire, a provoqué le retrait des publicitaires. Si les publicités proposées dans M Magazine étaient en accord avec les moyens des lecteurs ( Nivéa, Décathlon, Stella Artois…), les annonceurs ne trouvaient pas le magazine assez haut de gamme et lui accordaient une image de “ vulgarité ”. En transformant le magazine vers une nouvelle formule se voulant plus haut de gamme, dans le but d’attirer de nouveaux publicitaires, le magazine voulait échapper à cette image-là. Si la nouvelle version semblait avoir attiré quelques publicitaires nouveaux, elle ne se révéla pas assez attirante : “ ça fait deux mois seulement qu’elle a été lancée et les annonceurs semblent adhérer verbalement, la régie publicitaire nous dit que quand la nouvelle formule a été présentée aux principaux annonceurs, ils ont émis un avis positif, que ça va dans le bon sens, dans la direction qu’ils souhaitaient, même si on ne travaille pas exclusivement pour le marché publicitaire, mais c’était un accueil positif, mais malheureusement les bons de commande, le carnet de commande n’a pas été conclu. Et on est, à peu près, à 50% de nos objectifs, car on tablait sur une trentaine de pages et ce mois-ci, enfin le numéro qui devait sortir, on était à 14-15, ce qui est dramatique. Les diffusions ne décollant pas, les annonceurs sont séduits mais ne passent pas à l’acte  900 . Ce sont donc les deux sources principales de revenus du titre qui se sont envolées, créant une situation financière difficile, que le groupe Edipress est venu aggraver en évoquant son envie de mettre fin à la fusion avec Excelsior. Tous les apports financiers au magazine étant amoindris ou en passe de disparaître, l’avenir du titre était sombre. Pour le rédacteur en chef, l’arrêt de M Magazine est comparable au débranchement d’un grand malade dans le coma : “ il y a eu un changement brutal et peut-être trop brutal, mais d’un côté quand tu as un coma léger, la solution c’est soit tu tentes en traitement de cheval avec une chance qu’il marche. Ce n’est pas qu’il n’a pas marché, il est interrompu, en fait on a débranché la machine. Ils ont choisi, plutôt que souffrir financièrement, ils préfèrent en passer par-là (…) Ce sont des financiers et il y a un moment où ils en ont ras le bol de perdre de l’argent et plutôt que de continuer cet espèce de toboggan qui les mènent à des pertes importantes, il fait arrêter les frais à un moment donné. Et en plus, avec un avenir où il n’y a pas un seul rayon de soleil à l’horizon. Je crois que quand la décision est prise dans les têtes, il fait arrêter et arrêter tout de suite. C’est de l’argent en moins que l’on va perdre car même si on le sort, il ne va pas marcher donc…  901 . C’est ainsi que le 29 mai 2001, avec trois ans d’existence, une place de leader du marché de la presse spécialisée puis une place de challenger, le magazine M Magazine a disparu subitement du marché de la nouvelle presse masculine qu’il avait relancé au printemps 1998.

Que change la disparition de M Magazine au sous-marché de la presse spécialisée dans le pôle santé-forme ? Men’s Health, leader depuis sa naissance française, voit-il les lecteurs fidèles à M Magazine se reporter sur lui ? Men’s Health a-t-il réussi à imposer en France une formule qui a été fatale à M Magazine ?

Notes
899.

Ceci n’est en rien étonnant, les magazines mettent plusieurs années à le devenir.

900.

Propos tenus par le rédacteur en chef de M Magazine lors de l’entretien du 31 mai 2001.

901.

Ibid.