b) Le passage de l’américain Rodale au groupe allemand Axel Springer.

En avril 2001, le rédacteur en chef de Men’s Health, Christian Monguérou laisse son siège à Jean-Pierre Saccani et part à la rédaction en chef de l’hebdomadaire VSD. C’est avec

une équipe en partie renouvelée que le nouveau rédacteur en chef gère ce magazine dont les ventes sont passées sous la barre des 100 000 exemplaires mensuels 905 . Au moment de notre passage dans la rédaction, en novembre 2001, les rumeurs de rachat ne font que s’amplifier, d’autant plus que sortant de deux mois de stage chez FHM intéressé par la vie de ses concurrents, même les moins directs, nous avions entendu de multiples bruits sur un éventuel rachat de Men’s Health par le groupe Emap détenteur de FHM. Interrogeant l’équipe de Men’s Health sur le possible rachat, aucun membre n’a voulu confirmer, en ce mois de novembre, un changement rapide de groupe.

Or, celui-ci eut bien lieu, en début d’année 2002, passant du giron du groupe Rodale à celui du groupe allemand Axel Spinger. Ce rachat se fit par le biais d’un rachat de licence, permettant ainsi au groupe allemand d’implanter le marché français dont il était jusqu’alors absent (il n’existait pas de groupe Axel Springer France, mais Axel Springer détenait 50% d’Auto Plus avec Emap) et de lancer des titres tels que le récent Bien dans ma vie. Qu’a entraîné ce changement de groupe pour la rédaction du titre, outre le déménagement de la rédaction dans le cœur de Paris ?

Pour le second rédacteur en chef du magazine, Men’s Health a gagné par le changement un sentiment d’appartenance à un groupe, fondé sur la proximité du pôle éditorial : «pour la première fois, on a un vrai éditeur présent en France, parce que les éditeurs de Rodale sont aux Etats-Unis. C’est donc une chance parce qu’on peut profiter d’une logique de groupe, on est moins isolé que quand on était à Rodale» 906 . Avoir été racheté par Axel Springer ne signifie pas pour autant ne plus avoir de lien avec le groupe Rodale; en effet, le titre Men’s Health leur appartient toujours et à ce titre, Axel Springer se doit de conformer le magazine à la charte Rodale : «il y a une ligne du journal à respecter, une charte, ça se fait très tranquillement, eux, en fait ils ont un savoir-faire, ils connaissent leur journal, ils connaissent très bien le fond de ce qu’est Men’s health donc c’est du conseil, si on a besoin d’infos, ils ont une banque de recherche, ça fait partie du deal, sinon il n’y a pas de pressions au quotidien, on a une lattitude pour faire le journal. Il faut respecter la charte sinon autant faire un autre journal» 907 . C’est ainsi que le groupe Axel Springer a décidé de sortir une nouvelle version en juin 2001, plus colorée (les couvertures sont rouges…), utilisant des personnalités pour témoigner, pour illustrer des articles…, et de restructurer le magazine autour de quatre grandes rubriques : zapping (psycho, cuisine, santé, shopping et stress), enquêtes (nutrition, relations, stratégie et prévention), lifestyle ( mode, moteurs, voyage, outdoor et fast food) et sport et fitness (glisse, men’s challenge et exercices). C’est donc un magazine qui a conservé sa formule originelle fondée sur la santé-forme mais qui l’a enrichi de rubriques plus générales comme le voyage, afin d’écarter l’idée de redondance mise en avant par les lecteurs, dans l’enquête effectuée par la rédaction avant de réaménager le magazine.

Selon le rédacteur en chef, cette nouvelle formule aurait une conséquence bénéfique sur les ventes : «au moment du rachat, l’année dernière, l’OJD était de 87000. Là depuis le rachat, depuis la nouvelle formule, on est en hausse de grosso mode 30%, pas tout à fait et après il y a les chiffres par rapport au marché, parce que le marché des masculins est en baisse, et nous on est en hausse, on doit avoir 5-7 % de hausse sur ce marché» 908 . Or, les chiffres de diffusion OJD 2001-2002 de Men’s Health font état de 81 024 exemplaires mensuels en moyenne. C’est donc un tableau optimiste que dresse le rédacteur en chef de Men’s Health pour l’avenir de son titre qui, plus de trois ans après sa naissance, et après avoir évincé son unique concurrent, est le magazine spécialisé dans la forme et la santé des hommes même si la formule originelle a dû être repensée pour résoudre un problème de récurrence des sujets, des dossiers, des couvertures… de plus en plus pénalisant en terme de ventes.

La nouvelle presse masculine spécialisée dans la santé-forme au masculin n’est donc pas la formule gagnante sur le marché de la nouvelle presse masculine. Sujette à répétition, inadaptée aux attentes des hommes, inadaptée à la culture française, présentant des figures iconiques masculines éloignées de la réalité de l’homme de la rue, elle n’attire qu’une franche limitée de lecteurs. En effet, que représentent les 81 000 acheteurs de Men’s Health par rapport à la population masculine ? Si cette presse a connu une émergence fulgurante et triomphale, son succès s’est rapidement érodé, faisant connaître aux deux magazines la composant des histoires parallèles passant par un rachat et la création d’une nouvelle formule. C’est donc vers un renouvellement de sa formule originelle que tend la rédaction de Men’s Health, espérant redonner ainsi un second souffle au magazine et échapper au sort de M Magazine. Tandis que la presse spécialisée rencontre des difficultés liées à sa formule certes innovatrice au début mais finalement rapidement rébarbative, la presse généraliste à tendance charme rencontre un succès important.

Notes
905.

Selon le rédacteur en chef, les chiffres OJD de l’année 2001 faisaient état de 85 000 numéros vendus en moyenne.

906.

Propos tenus par le rédacteur en chef de Men’s Health lors de l’entretien du 28 août 2002.

907.

Ibid.

908.

Ibid.