Hugues fait ses premières études à l’abbaye de Saint-Chef avant d’arriver à Paris (vraisemblablement entre 1210 et 1215 10 ) où il restera jusqu’en 1244. Le 30 novembre 1225, on le retrouve docteur en droit canonique 11 et bachelier en théologie; 12 quelques mois plus tard - le 25 février 1226 - il prend l’habit chez les frères Prêcheurs au Couvent Saint-Jacques 13 et devient bientôt maître régent de l’Université. C’est cette carrière universitaire brillante - étalée sur une période allant de 1210-15 à 1236 - que nous allons tenter à présent de retracer. 14
Après son arrivée à Paris, Hugues dut accomplir une vingtaine d’années d’études avant de devenir maître en théologie: il lui fallut tout d’abord obtenir le grade de maître ès arts exigé préalablement à l’entreprise de toute étude en théologie. Le règlement du légat Robert de Courçon en vigueur depuis 1215 et fixant la durée de ces études à 8 ans a dû s’appliquer dans le cas de Hugues, même si entre-temps ce dernier prit l’habit dominicain. Notons ici que de toute évidence le grade de bachelier ne fut établi qu’après l’institution de l’examen permettant d’y accéder. Or, ces determinationes, appelées principia à la faculté de théologie, ne furent adoptées qu’à partir du milieu du XIIIe siècle. 15 De même, les trois types de bacheliers – baccalarii biblici ou cursores, baccalarii sententiarii et baccalarii formati – ne sont clairement distingués que vers la fin du XIIIe siècle voire au début du XIVe siècle. 16 Ainsi, il serait anachronique d'appliquer à Hugues une règle plus tardive et d'affirmer qu'après avoir été bachelier biblique pendant un an - titre qu’il portait à son entrée dans l’Ordre, en 1225 17 - il aurait été promu au titre de bachelier sententiaire (celui-ci avait pour tâche de lire les Sentences de Pierre Lombard) pendant au moins deux ans. 18 En effet, les informations concernant la lecture des sentences sont très incertaines. Nous nous contenterons juste de signaler que - à en croire Ignatus Brady - Alexandre de Halès fut le premier à prendre les Sentences comme texte de base de son enseignement entre 1223 et 1227, et qu’il introduisit dans le livre des divisions en distinctions, chapitres et articles. 19 Notons également qu'en tant que lecteur des Sentences à l’Université de Paris, Hugues avait pour maîtres des personnes d’une grande notoriété, comme Guillaume d’Auvergne et Guillaume d’Auxerre. En 1229-30 environ, il rédigea ses travaux sur les sentences, intitulés Super libros I-IV. Sententiarum.
Comme le nombre des chaires d’Université était limité, chaque maître ne pouvait pas être régent, c’est-à-dire maître en exercice. Selon la bulle d’Innocent III datée du 14 novembre 1207 et encore en vigueur en 1230, l’Université possède huit chaires. 20 Les Frères Prêcheurs en occupent une à partir de 1229 en la personne de Roland de Crémone, premier dominicain promu au grade de maître en théologie. Quant à Hugues, son obligation de travailler pendant plusieurs années - en principe quatre ans - sous la tutelle d’un maître en tant que bachelier formé ou licencié fut probablement écourtée, car dès 1230 il est promu maître en théologie. Son cas semble exceptionnel, car maître de fraîche date, il se voit tout de suite confier la seule chaire occupée par les dominicains, celle de Roland de Crémone; autrement dit Hugues de Saint-Cher fut le deuxième dominicain enseignant à l’Université, entre 1230 et 1235. Notons au passage que le 22 septembre 1230 lorsque Jean de Saint-Gilles, déjà maître en théologie, entrera dans l’Ordre, il apportera aux dominicains une deuxième chaire universitaire. 21
Remarquons que, les réguliers n’apparaissant à l’Université qu’à partir de 1215-20, Hugues faisait donc partie despremiers à la date de son entrée dans l’Ordre, en 1226. Avec l’importance grandissante des dominicains à l’Université, il dut faire face en tant que maître régent à l’attaque des maîtres séculiers, qui voulaient contrecarrer l’expansion des frères au sein de l’Université. Il n’est donc pas étonnant de voir quelque vingt ans plus tard - entre 1252 et 1257 - Hugues participer activement, en tant que cardinal, à la querelle des séculiers et des réguliers, alors qu’à cette même date il n’est plus en contact permanent ni avec ses confrères ni avec l’Université.
Enfin, notons parmi les activités universitaires de Hugues sa prise de position - à l’image de son maître, Guillaume d’Auvergne - contre la pluralité des bénéfices, une première fois en 1235 puis une seconde en 1238, et dont témoigne une de ses questiones, que nous examinerons plus tard. 22
Cette date est encore une hypothèse formulée par Jacques Verger lors du colloque international sur Hugues de Saint-Cher, organisé en mars 2000. (Voir supra.)
Notons que selon Charles Miramon, Hugues n’était pas docteur en droit canonique. Voir : l’exposé de Charles Miramon au colloque international sur Hugues de Saint-Cher (voir infra).
Gérard de Frachet nous raconte dans sa ‘Vitae fratrum’ la scène où Humbert de Romans demande le soutien de Hugues, alors maître en droit et bachelier en théologie : « Interim autem locutus est Hugoni, qui factus est postea cardinalis, qui fuerat magister suus, et revelavit ei propositum suum, confidens quod eum non impediret, quia bonus homo erat et bachelarius iam in theologia. Quo audito ipse gracias Deo agens confortavit eum dicens : ‘Sciatis, magister, quod ego hoc idem proposui, sed non possum statim intrare, quia habeo expedire quedam negocia (domini mei Wilhelmi de Sabaudia, cum quo sum nunc, sicut scitis add.), sed intrate secure, et sitis certus, quod ego vos sequar.’ » (Gerardus de Fracheto, Vitae fratrum, In. Monumenta Ordinis Fratrum Praedicatorum Historica, Louvain, 1896, p. 173.)
Quant à cette date, la chronique de Gérard de Frachet ne s’accorde pas avec la position de A. Mortier qui écrit : « Humbert pris l’habit le 30 novembre 1224, en la fête de Saint André ; Hugues, le jour de la Chaire de saint Pierre, au Carême suivant (22 février 1225). » (A.. Mortier, Histoire des maîtres généraux de l’Ordre des Frères Prêcheurs, t. I. 1170-1263, Paris, 1903, p. 418-19.)
Voir : J. Verger, Universités françaises au Moyen Age, Paris, 1995.
Olga Weijers écrit : « A partir du moment où un examen règle l’entrée au baccalauréat, c’est-à-dire en 1245 lorsque apparaît la determinatio, on peut parler d’une catégorie distincte d’étudiant. Peut-être déjà en 1252, lorsque les statuts précisent les conditions d’admission, et en tout cas en 1275, quand on distinguera les bacheliers licenciés des autres, le baccalauréat peut être considéré comme un grade universitaire. » (O. Weijers, Terminologie des Universités au XIIIe siècle, Rome, 1987, p. 174.)
Voir : O. Weijers, Terminologie des universités au XIIIe siècle, op. cit. p. 175-76.
Quant au nombre des années d’études en théologie à Paris, nous renvoyons au décret de Robert de Courçon : « Circa statum theologorum statuimus, quod nullus Parisius legat citra tricesimum quintum etatis sue annum, et nisi studuerit per octo annos ad minus, et libros fideliter et in scolis audierit, et quinque annis audiat theologiam, antequam privatas lectiones legat publice, et illorum nullus legat ante tertiam in diebus, quando magistri legunt. » (H. Denifle, Chartularium Universitatis Parisiensis, op. cit. t. I. 20., p. 79.)
En s'appuyant sur des documents tardifs, Monseigneur P. Glorieux a affirmé que la durée de la lecture des Sentences ne fut limitée au bénéfice des lectures bibliques que plus tard. (P. Glorieux, Répertoire des maîtres en théologie de Paris au XIIIe siècle, Paris, 1933, p. 22.)
I. Brady, Pierre Lombard, In. Dictionnaire de Spiritualité XII/2, c. 1607 ; Voir aussi : Idem, Prolegomena, l’édition critique des Sentences, Grottaferrata, 2 vol., 1971-1981.
Ainsi, une lettre d’Innocent III., adressée à l'évêque de Paris, stipule : « […] Haec igitur consideratione prudenter inducti auctoritate presentium firmiter inhibemus, ut Parisius magistrorum theologie numerus octonarium non transcendat, nisi forte multa necessitas vel utilitas hoc exposcat. » In. H. Denifle, Chartularium Universitatis Parisiensis, tome I., Paris, 1889, p. 65. n. 5. ; Voir aussi : P. Glorieux, Répertoire des maîtres en théologie, op. cit., 1933, p. 23.
P. Glorieux, Répertoire, op. cit. p. 36.
Hugues de Saint-Cher, Questio de beneficiis ecclesiasticis. Ed. F. Stegmüller, Die neugefundene Pariser Benefizien-Disputation des Kardinals Hugo von St.Cher. O.P Historisches Jahrbuch 72 (1953), p. 184 –202