Si la datation des sermons pose de sérieux problèmes, c'est que - à la différence des reportationes où parfois les dates et les lieux de la rédaction figurent sur les manuscrits originaux ou sur les copies - les sermons modèles créés en amont de la prédication ne gardent aucune trace de leur utilisation ultérieure. Ces sermons modèles ont donc quelque chose d’» atemporel », car lors de la compilation ils ne sont munis d’aucune référence de lieu ni de temps : ils ne peuvent être rattachés à aucune date précise. Quant à leur utilisation ultérieure effective, elle reste à jamais occultée et nous devons nous contenter de conjectures quant à la fréquence de leur usage. Cet usage est principalement déterminé par le nombre de manuscrits conservés, indice qui – nous le savons – peut se révéler trompeur.
L’absence d’indication directe de datation ne devrait pas en principe nous décourager, car des analyses textuelles permettent parfois de déduire la date de la création d’une œuvre. L’allusion à un événement ou à un fait de culture connu permet en effet de déterminer une date comme terminus post quem. Malheureusement, les indices de ce genre ne sont pas monnaies courantes dans les sermons de Hugues de Saint-Cher. Les références à des faits concrets sont d’une rareté déconcertante, à tel point qu’on aurait tendance à suspecter l'auteur de vouloir taire toute allusion aux faits réels de son temps. Doit-on pour autant parler d'une volonté d’éviter toute actualisation des sermons afin de leur donner une valeur atemporelle et générale ? Ne pouvant guère confirmer cette hypothèse, nous nous bornerons seulement à constater le fait suivant : l’absence frappante de ces points de repère tout au long des sermons.
En effet, en cherchant un faible indice de temps, nous trouvons dans le sermon pour le dimanche des Rameaux une mention des «deux ordres des prédicateurs» (duos ordines predicatorum). L’auteur rappelle que Jésus a envoyé deux de ses disciples - c’est-à-dire les deux «ordres des prédicateurs» - aux pécheurs pour les délier de leur péché. 83 On pourrait imaginer qu'il est question des deux ordres mendiants, mais ce texte figure déjà dans la glose interlinéaire de Matthieu 21, elle est donc antérieure à la fondation des ordres mendiants. Par ailleurs, la preuvre que les sermons ont été écrits après la création des deux ordres mendiants aurait peu d’utilité, car Hugues ne prit l’habit qu’en 1225 ; la rédaction des sermons est donc forcément postérieure à cette date.
D’autres événements pourraient nous guider dans notre recherche : la prise de position de Hugues - sous forme de disputatio - sur la question des bénéfices ecclésiastiques pourrait avoir des échos dans les sermons, indiquant d'emblée une composition postérieure à 1231. Or, hormis quelques diatribes fougueuses contre les prélats avides de biens temporels, nous ne trouvons aucune allusion à cette idée chère de Hugues, à savoir interdire la possession de plusieurs bénéfices ecclésiastiques. 84 Bien entendu, l’absence de références à cette question de grande importance – laquelle a sérieusement préoccupé Hugues – ne nous fournit aucune preuve quant à l’antériorité ou la postériorité des sermons par rapport à ce débat, surtout si l’on considère que Hugues se gardait bien de débattre dans ses sermons des questions polémiques de son époque et privilégiait l’exposition de la doctrine aux différentes prises de position. On constate, par ailleurs, la même carence concernant les autres événements importants de l’époque - telle la querelle entre mendiants et séculiers -, sans pour autant pouvoir déduire quoi que ce soit de cette absence.
Un outil inestimable pour la datation des sermons pourrait être fourni par la comparaison des sermons et des Postilles. Si les correspondances - bien que sporadiques - entre ces deux œuvres de Hugues sont vraisemblables (comme nous le démontrerons plus loin), la difficulté réside dans l’impossibilité d’affirmer clairement dans quel sens ont été effectués les emprunts. Comme nous connaissons la date approximative de composition des Postilles - entre 1231 et 1236 - il serait aisé de la transformer en terminus post quem pour la compilation des sermons. Pourtant, rien ne permet d’affirmer que les éléments communs aux deux œuvres ont bien pour point de départ les Postilles.
Au bout de ce parcours, nous sommes contraint de constater que les tentatives de délimiter la date de compilation des sermons sont toutes restées infructueuses. Les références intra-textuelles ne nous ont pas permis d’établir de datation - ne fût-ce qu'approximative - à l'intérieur de la période d’activité de Hugues. En conséquence, les soupçons selon lesquels les sermons pourraient avoir été écrits dans les années trente ou quarante ou qu’ils proviendraient avec moins de probabilité des années cinquante (période de la légation allemande de l’auteur) ne peuvent être prouvés, surtout si l'on se rappelle que la plupart des prélats contemporains de Hugues ont rédigé leurs sermons modèles vers la fin de leur carrière ecclésiastique. Aussi, au lieu d'énoncer une hypothèse fragile, nous contenterons-nous de signaler la fourchette - certes large - qui va de 1230 à 1263. Notons toutefois que David d’Avray penche plutôt pour la période parisienne de l’auteur sans pour autant exclure le temps du cardinalat, tout en estimant que, dans ce cas, les textes reflèteraient une pratique antérieure de la prédication, correspondant à la période parisienne.
« Ad hanc solvendam misit duos discipulos, id est duos ordines predicatorum : unum ad gentiles, alios ad Iudeos. » (42,2)
Citons tout de même une harangue de l’auteur contre les prélats : « Certe qui eloquentiam habent et sapientiam ad hoc tendunt ut, facti superiores, aliorum sint devoratores, ut patet in prelatis Ecclesiarum. » (77,2) Pourtant, dans ce jugement général il serait vain de chercher les traces de la position de Hugues, exprimée dans sa disputatio de 1231.