c) La concordance dite de Saint-Jacques

Dans les pages suivantes, nous examinerons le rôle de Hugues de Saint-Cher dans la composition de la première concordance biblique.

1. Hugues de Saint-Cher, initiateur de la première concordance verbale

Un autre instrument de travail devenu indispensable au XIIIe siècle est la concordance ce qui était - selon Richard et Mary Rouse - une « solution, créée délibérément, aux besoins des théologiens latins [qui] cherchaient un dispositif qui leur permît de disposer sous une même vedette tous les usages d’un mot ou d’une expression dans les Ecritures. » 116

Parmi les trois concordances verbales latines existant au Moyen Age, la première fut composée à Paris, au couvent dominicain Saint-Jacques. 117 Les manuscrits conservés, copies postérieures, montrent que cette concordance était rédigée sur cinq colonnes dans des livres d’un format portatif, manifestement pour l’usage des Frères Prêcheurs. Hugues a contribué à la mise en place de cet outil permettant une meilleure consultation de la Bible. La rédaction de cette concordance dite « de Saint-Jacques » - achevé vers 1240 - a été probablement dirigée par Hugues, même si le témoignage de Tholomée de Lucques vers 1315 – qui écrit que Hugues « a conçu, avec ses frères, la première concordance de la Bible » - ne permet pas de déterminer si Hugues était un simple instigateur du projet ou s’il y avait effectivement participé. 118 Quoi qu’il en soit, la concordance faite sous l’égide de Hugues était une production collective gigantesque, car elle demandait une grande concentration des frères dominicains sur la Bible et exigeait une organisation parfaite de la main-d’œuvre disponible. Selon la tradition, cinq cent religieux dominicains auraient travaillé sous les ordres de Hugues. 119 Même si le chiffre évoqué paraît exagéré, il est clairque l’on a affaire à une des entreprises les plus ambitieuses du Moyen Age.

La datation de cette première concordance ne soulève pas de problème insoluble. Hugues, qui était maître en théologie depuis 1230, a occupé une des deux chaires de théologie à Saint-Jacques entre 1230-36. Pendant cette période, il dirigeait des travaux bibliques importants comme les Postilles - que nous étudierons plus loin - et la concordance. Il est probable qu’une grande partie des concordances fût terminée avant la fin de cette période de six ans, et on peut supposer que l’œuvre entière fût achevée avant 1240.

L’importance de ce travail exégétique réside avant tout dans le fait que, dirigés par Hugues, les frères de Saint-Jacques ont réussi à produire, pour la première fois, une véritable concordance verbale de la Bible, car avant ce travail énorme il n’existait que des concordances « réelles », c’est-à-dire, par sujet. Au-delà de ce constat, le mérite des frères dominicains était d’avoir créé un système de référence permettant d’identifier la place exacte de chaque mot ou expression figurant dans la Bible. Pour cela, d’une part, ils ont adopté la capitulation due à Etienne Langton, d’autre part, ils ont utilisé - comme nous l'avons décrit plus haut - un système original en subdivisant mentalement les chapitres en sept parties, afin de faciliter la localisation de chaque mot. L’autre mérite des Dominicains de Paris est en rapport avec leur capacité d’organisation. Par chance, des ébauches de cette première concordance - qui servaient de reliure pour des livres du XVe siècle - ont été retrouvées et elles permettent des conjectures sur le processus de composition. Selon Richard H. et Mary A. Rouse, le copiste devait d’abord extraire les mots et les annotations chaque fois qu’un mot réapparaissait et les enregistrer sur des feuilles volantes, ensuite chaque compilateur devait classer par ordre alphabétique les mots-vedettes appartenant à une partie de l’alphabet, finalement, après avoir rangé par ordre alphabétique les différents cahiers, il fallait en faire une copie définitive et soignée. 120

Remarquons que si les mérites de cette concordance étaient nombreux, elle avait aussi des défauts : elle ne contenait que des mots dépourvus de leur contexte ne permettant pas de définir leurs champs sémantiques.

Notes
116.

R. H. et M. A. Rouse, La concordance verbale des Ecritures, In. Pierre Riché et Guy Lobrichon, Le Moyen Age et la Bible, Paris, 1984. p. 115-122, p. 115.

117.

Elle commence par A, a, a. Je. I. c., XIIII. d., Eze. IIII. f…, et se termine par Zorobabel… Luc. III. f. Voir : M. A. et R. H. _Rouse, La concordance, art. cit. p. 116.

118.

Voir : M. A. et R. H. Rouse, La concordance, op. cit. 116.

119.

Abbé Varnet, Saint Theudère et son abbaye de Saint-Chef, op. cit. p. 154-155.

120.

M. A. et R. H. Rouse, La concordance, op. cit. p. 118.