I. Présentation générale des sermons de Hugues de Saint-Cher

a) Sermons modèles

Lorsqu’on entame l’examen d’une série de sermons, il convient de préciser certaines règles fondamentales se rapportant à ce genre oratoire. Notons dès l’abord que la collection de Hugues est essentiellement un texte écrit et non pas une collection de sermons réellement prononcés, comme pourraient l’être les reportationes. Les sermons de Hugues de Saint-Cher sont de véritables sermons modèles ; on peut donc affirmer qu’ils n’ont point été prêchés tels qu’ils se présentent sous forme rédigée. Sermons modèles, ils se trouvent – selon l’expression de Michel Zink – ‘en amont’ de la prédication, contrairement aux reportations qui se situent ‘en aval’ de l’acte duprêche. 254 Néanmoins, ces deux notions - en amont, en aval - ne sont pas forcément exclusives, comme l’a noté le Père Bataillon, car « l’auteur d’un recueil de sermons modèles a naturellement tendance à réutiliser, au service de ses confrères, des sermons qu’il a lui-même prononcés auparavant et dont il a été satisfait. » 255 Cela a pu se produire dans le cas de Hugues de Saint-Cher, qui a très probablement réutilisé ses sermons antérieurs lors de la confection de son sermonnaire à l’usage d’autres prédicateurs.

En partant de l’hypothèse qu’en rédigeant sa collection Hugues a utilisé ses anciens sermons de prédilection, nous pouvons envisager deux cas de figures. Premièrement, les sermons rédigés peuvent refléter fidèlement l’activité pastorale de Hugues durant une année, mais cela suppose un travail de rédaction systématique ainsi qu’une volonté délibérée de constituer un sermonnaire totius anni en amont de la prédication. Deuxièmement, le sermonnaire de Hugues peut être le fruit d’une ré-élaboration de sermons prêchés au cours d’une période plus au moins longue de la carrière du prédicateur. Pour ce qui est de Hugues, ce dernier cas de figure est le plus probable, car en général plusieurs   sermons sont proposés pour un même dimanche. Néanmoins, il est aussi fort  possible que les sermons modèles proviennent - du moins en partie - de la pratique oratoire de Hugues. 256

Un autre problème réside dans le caractère concis, souvent squelettique des sermons. Comment peut-on les considérer comme des bribes de sermons effectivement prononcés quand souvent ils «manquent de vie» ? En effet, les références à la vie du XIIIe siècle sont très rares dans les sermons. Tout porte à croire que cette production oratoire ne dépend pas directement de sermons réellement prononcés de Hugues et qu’il est inutile de chercher à l’origine de chaque sermon un discours antérieur. L’influence que les sermons prononcés exercèrent sur la collection définitive se réalise plutôt au niveau des réminiscences : Hugues puisa probablement dans l’ensemble de son activité oratoire.

Notons dès à présent que la brièveté des sermons va de pair avec l'usage massif d'une technique exégétique : la distinction. Cette technique est importante pour différentes raisons. D'une part, sa présence massive dans les sermons la place avant toute autre forme homilétique - d'autant plus que les sermons sont souvent très abrégés. D'autre part, elle détermine la structure même des sermons qui sont cadencés selon la forme de la distinction. Ce n'est pas par hasard si les sermons de Hugues de Saint-Cher sont souvent désignés sous le nom de «distinctiones». Nous examinerons en détail le rapport entre cette technique exégétique et la forme des sermons au chapitre 4.

Quant au succès des sermons, on peut supposer qu’ils jouirent d’une audience durable aux XIIIe et XIVe siècles, à en croire le grand nombre de manuscrits conservés que nous présenterons avant l'édition du texte.

Notes
254.

M. Zink, La prédication en langue romane avant 1300, Paris, Champion, 1976, p. 204-210.

255.

L.-J. Bataillon, Les problèmes de l’édition des sermons et des ouvrages pour prédicateurs au XIIIe siècle, In. M. Asztalos (éd.), The Editing of Theological and Philosophical Textes from the Middle Ages. Acts of the Conference arranged by the Departement of Classical Language, University of Stockholm, 29-31 august 1984, (Acta Universitatis Stockholmiensis, XXX) Stockholm, 1986, p. 105-120, p. 109.

256.

Jacques Guy Bougerol a aboutit à la même conclusion en étudiant les sermons de Saint Bonaventure. Voir : J. G. Bougerol, Sancti Bonaventurae Sermones Dominicales, Grottaferrata, 1977, p. 8-9.