Dans les sermons de Hugues de Saint-Cher, le savoir théologique et les questions morales apparaissent souvent dans les distinctions sous forme de topoi. Ces formules figées sont consacrées par le discours théologique dans lequel elles sont profondément ancrées et Hugues semble parfaitement les connaître. Ainsi - et toujours en rapport avec les péchés - le topos «le monde, la chair, le diable» est souvent utilisé pour désigner les trois tentations auxquelles l'homme doit résister. 524 L'homme peut se prémunir contre ces tentations en rejetant le monde (conculcare, abicere), en châtiant son corps (castigare, macerare, domare), et en résistant au diable (resistere, vilipendere). 525 Ces trois tentations sont mises en parallèle avec les trois péchés les plus fustigés. Ainsi, Hugues rappelle que les orgueilleux sont les disciples du diable, les avares sont les adeptes du monde, tandis que les hommes luxurieux (deliciosus) sont soumis à la chair. 526 Or, il existe trois remèdes contre ces tentations, à savoir la chasteté (contre la chair), la pauvreté (contre le monde) et l'humilité (contre le diable). 527
Un topos très fréquent précise les rapports fondamentaux de l'homme envers soi-même, Dieu et son prochain (erga se, erga Deum, erga proximum). Hugues ramène en effet une multitude de sujets à ce système de références qui régit toute relation humaine au Moyen Âge. Ainsi, les trois péchés récurrents sont mis en relation avec ces rapports fondamentaux : l'homme commet des péchés contre Dieu (par orgueil), contre soi-même (par luxure) et contre son prochain (par avarice). 528 Hugues ajoute que chacun devrait chercher la paix avec ces trois partenaires. 529 La paix ainsi établie est triple : temporelle, intérieure et éternelle (temporalis, pectoralis, eternalis), et elle met fin aux trois péchés que sont l’avaritia, la luxuria et la superbia. 530
Hugues saisit en effet toute occasion pour rappeler cette relation ternaire universelle. Il utilise ainsi ce topos largement répandu pour désigner les trois objets de l'amour de chaque homme. 531 De la même façon, les biens temporels doivent être au service d'eux mêmes, de leur prochain et de Dieu. 532 En traitant de l'offrande présentée à la divinité, Hugues affirme que cet acte est nécessaire pour honorer Dieu, pour éclairer son prochain et bénéficier de la vie éternelle en guise de récompense. 533 Semblablement, le Seigneur qui monte au ciel avec joie fait dire à Hugues que l'homme doit agir de même (sic et tu), et cela pour ne pas murmurer contre Dieu, détester son prochain et avoir de la tristesse au fond du cœur. 534 Les nombreuses occurrences de ces deux topoi permettent de conclure d'ores et déjà à la préférence de Hugues pour ce type de distinction.
Le topos in corde, in ore, in opere fournit régulièrement la base des distinctions traitant de la pénitence. Hugues rappelle en permanence que les trois étapes de la pénitence sont la contrition du cœur, la confession par la bouche, ainsi que l'accomplissement des bonnes actions (cordis contrictio, oris confessio operis satisfactio), conditions élémentaires de la conversion. 535 Notons que ces trois éléments sont souvent complétés par d'autres ; ainsi on enregistre une multitude de variantes, toutes précisant les différentes phases de la pénitence. 536 Certaines distinctions désignent les composants des bonnes actions. Ainsi, pour persévérer dans l'accomplissement de celles-ci, Hugues propose d'augmenter les vertus par la pensée sainte, la prière fervente et l'aumône. 537 Si les trois types d'œuvres de miséricorde sont en général désignés par trois parties du corps - le cœur, la bouche et la main -, celles-ci peuvent également se rapporter à l'annonce de la Parole. En effet, Hugues affirme qu'il faut garder la Parole dans le cœur, l’annoncer avec la bouche et accomplir de bonnes œuvres avec les mains. 538
Notons enfin que Hugues se sert de ce topos pour désigner d'autres distinctions. Ainsi, l'auteur affirme que l'homme doit croire en Dieu avec son cœur, sa bouche et ses actes ; il précise que tout être humain doit aimer son prochain de ces trois manières, ou encore, annonce que les disciples prièrent Dieu «corde, ore et opere». 539
Notons pour résumer que Hugues semble affectionner les topoi pour la composition des distinctions. Des topoi comme corde, ore, opere, ou in se, in Deum, in proximum, ou encore contra mundum, contra carnem contra diabolum furent largement utilisés dans les sermons modèles de Hugues de Saint-Cher, où leur application à des sujets divers montre une grande variété.
Sur ces trois tentations de l'homme, voir: S. Wenzel, The Three Enemies of Man, In. Mediaeval Studies, 29, 1967, p. 47-66.
(43, 1), (51, 2), (59, 1). Voir aussi: (73, 3), (22, 5) et (13, 3). Signalons également deux variantes: Selon la première, la tentation vient de quatre personnes: alius, diabolus, se ipse, Deus (32, 3). Selon la seconde, pour avoir la vie éternelle, il faut accomplir de bonnes œuvres, résister au diable, observer les commandements et se disculper des péchés (bona operare, resistere diabolo, servare mandata, excusare peccata) (15, 8).
Discipulus diaboli - superbus, discipulus mundi - avarus, discipulus carnis - deliciosus (22, 5).
Castitas - superare carnem, paupertas - superare mundum, humilitas - superare diabolum (13, 3). Voir aussi: (43, 1).
(11, 2), (41/C, 2) et (44, 3). D’après une variante, les larmes sont amères, chaudes ou douces, selon qu'elles sont versées pour ses propres péchés, pour les péchés des autres, ou pour le désir du royaume de Dieu. (Set sciendum quod lacrimarum sunt: - Alie amare, scilicet que pro peccatis propriis funduntur. - Alie sunt calide. Ille scilicet que pro peccatis proximorum funduntur. - Alie sunt dulces. Ille videlicet que pro desiderio celestis patrie funduntur, 50, 2). Notons une autre occurrence du même topos, bien que implicite: Selon Hugues, il faut cesser de pécher pour trois raisons: pour ne pas retomber dans le péché, pour ne pas induire au péché son prochain et pour éviter d'être objet de haine [pour Dieu?]. (ne sustinere recidivationem, ne corrumpere proximum, ne incurrere in odium, 100, 2).
Vel exierunt obviam Christo cum ramis. Hoc facit quilibet nostrum, si hanc pacem habeamus: - Cum Deo […], cum se ipso […] cum proximo. (43, 2).
(47, 3).
Triplex caritas: Erga Deum. - Erga proximum. - Erga se ipsum. (108, 2). Nous lisons ailleurs que l'homme est redevable envers Dieu, son prohain, son corps, l'âme, le monde, le péché et le diable. (Notandum quod multa debemus reddere et multis: Debemus: - Deo […] - Proximo […] - Corpori nostro […] - Anime […] - Mundo […] - Peccato […] - Diabolo […], 113, 1)
(95, 5).
Optulerunt ei, scilicet Domino, munera, quod quilibet debet facere, scilicet tribus de causis: - Ut Deus honoretur. - Ut proximus illuminetur. - Ut eternaliter remuneratur. (15, 3) et (71, 1). Notons également deux variantes. La première porte sur l'adultère que génère la colère. Or cette dernière a des effets négatifs qui se dirigent contre soi-même, l'adultère et son prochain. (Tertium est ira que tria mala facit […]: - Primo enim odit _seipsum. […] - Secundo adulteram. […] - Tertio promimum, 18, 2). La seconde variante énumère ce que l'homme doit prendre en considération, soit quatorze éléments, dont les trois premiers constituent le topos célèbre: soi-même, son prochain, Dieu. ( - Respice te. - Respice iuxta te proximum. - Respice supra te Deum […] 30, 1-3.)
Ascendit enim Dominus: […] Letanter. Sic et nos ascendamus letanter: - Ne impatienter contra Deum murmuremus. […] - Ne proximum nostum odio habeamus. […] - Ne in corde tristitiam nutriamus. 51, 2).
Voir les sermons (17, 3), (20, 3), (28, 13), (79, 2) et (93, 4).
Notons brièvement ces différentes étapes de la pénitence. Cognoscere peccatum, abrenunciare peccatis omnibus, deprecari pro peccatis humiliter (86, 4). Dare peccati cognitionem, id est provocare ad contrictionem, sanare per gratie infusionem, dimittere abire liberum per bonam operationem (100, 2). Septem dies sunt: peccati cognitio, peccati abhominatio, peccati recogitatio, cordis contrictio, oris confessio, operis satisfactio, perseverentia in bono (14, 4). Nota quod per istas sex ydrias intelligi possunt illa sex que sunt necessaria cuilibet peccanti ad hoc ut plenarie mundetur: cordis conpunctio [conrictio], oris confessio, carnis maceratio, elemosinarum largitio, pura oratio, predicationis sancte exauditio (19, 4). Hec terra ad hoc ut bene fructificet debet: arrari per confessionem, fimari per finis recordationem, seminari per sanctam predicationem, fructificari per bonam operationem (26, 5). Quinque panes sunt: Cordis contrictio, oris confessio, ieiunium, elemosina, oratio (39, 1-6). Per viam penitientie recesserant a Deo: Per peccatum cogitationis, per peccatum prave locutionis, per peccatum prave consuetudinis, per peccatum prave operis, per cordis contrictionem, per oris confessionem, per operis satisfactionem, per bone vite continuationem (68, 1). Enfin, notons au passage un autre topos au sujet de la pénitence - amor, pudor, timor: (108, 1), (35, 2), ainsi que ses variantes: (88, 3), (100, 2) et (104, 3).
Ces parties des distinctions portant sur les œuvres charitables sont: Sancta cogitatio, devota oratio, elemosinarum largitio (11, 3). Elemosina, oratio, carnis maceratio (20, 3). Cordis contrictio, proximi compassio, manualis largitio (43, 3). Afflicti compassio, elemosinarum largitio, iniuriarum condonatio (59, 3).
Et custodiunt illud [id est verbum]: In corde per memoriam. - In ore per doctrinam. - In manu per operationem bonam. (37, 5)
Voir respectivement: (105, 2), (102, 5) et (53, 3). Au sujet du topos «peccatum cogitationis, locutionis, operis», voir le chapitre 5.