d) Quelques formes typiques de distinctions

Après avoir examiné l'importance des topoi dans la construction des distinctions, nous souhaiterions signaler leurs caractéristiques formelles, avant d'analyser leur structure interne. Naturellement, nos recherches portent sur des cas de figure qui manifestent de nombreuses occurrences, et qui révèlent ainsi une spécificité de la conception de Hugues de Saint-Cher.

Les distinctions portant sur des questions morales sont souvent des rappels à l'intention des fidèles de leurs obligations, c'est-à-dire des préceptes adressés à l'auditoire. Souvent, cet enseignement des bons comportements va de pair avec un ton sentencieux. Ces distinctions sont annoncées par une proposition de type «necessaria    est cuilibet peccatori ut…» 540 ou encore par une autre, particulièrement fréquente : «quilibet debet (facere tria)…». 541 Par ces formules, Hugues introduit des obligations très variées : pour  parvenir au salut, l'homme doit se lamenter ; chaque pénitent doit atteindre trois grades ; tout le monde doit offrir un présent à Dieu ; les pécheurs doivent confesser leurs péchés ; tout homme doit craindre et espérer en trois choses ; le pécheur doit garder en mémoire ses péchés ; l'homme a des obligations envers son prochain ; ou enfin, tout  le monde doit se réconcilier avec son frère. 542

A l'origine de ces distinctions se trouve souvent l'actualisation d'un acte biblique. Ainsi, le champ de validité de l'événement concret (le sens historique) sera étendu à l'auditoire (un des sens spirituels). Ces adaptations sont généralement annoncées par «Sic et tu» ou par des périphrases comme «Cum omnis Christi actio nostra sit instructio (ou lectio)…» 543 Notons que le trait commun de ces préceptes est leur généralité, car ils s'adressent tous à ce «quilibet» qui désigne le commun des mortels.

Une variante de ces préceptes consiste à préciser sous forme de distinction la manière dont un acte doit être exécuté. La fréquence de ces compléments circonstanciels témoigne clairement d'une préférence de Hugues pour cette formule. Les éléments de ces distinctions se composent principalement d'adverbes, dont certaines ont de nombreuses occurrences. Ainsi, la triade «celeriter, humiliter, lacrimabiliter» constituent les parties de plusieurs distinctions, et désigne la manière dont le pécheur doit aller vers Jésus. 544 De même, une variante de la triade «libenter, festinanter, letanter» est utilisée tantôt pour désigner la manière dont le Seigneur reçoit les pécheurs, tantôt pour décrire l'ascension du Christ, mais ces arguments servent également à caractériser le prédicateur qui va dans le monde, ou les bonnes actions que chacun doit accomplir. 545  

Notons au passage un autre type de distinction que Hugues semble affectionner. Ici, les membres précisent les différentes raisons des obligations de l'homme. Dans ces distinctions, Hugues expose les raisons pour lesquelles l'homme doit suivre l'exemple du Christ, éviter les péchés, souffrir et commémorer la Passion du Christ, faire pénitence, et suivre (ou se ruer vers) Jésus. 546

Notes
540.

Voir: (18, 4), (19, 4), (39, 1), (51, 2), (124, 1)

541.

Voir les sermons (9,1), (11,1 et 2), (15,3), (17,1-4), (24,3), (25,2), (30,1-14), (38,2), (39,4, 7 et 8), (40,3), (44,2), (45,1), (46,2-4), (52,1 et 4), (56,1), (66,1), (71,2 et 3), (78,2 et 4) (79,2), (80,2), (83,1), (89,1), (90,2-6), (95,3), (102,5-6), (105,2), (107,4-5), (113,1 et 2) et (122,1). 0

542.

Lamentation des pécheurs: (11, 2), (44, 2), (80, 2). Les trois grades des pénitents: (9, 1). Offrandes à Dieu: (15, 3). Confession des péchés: (38, 2). La crainte et l'espoir: (39, 7), (39, 8), (78, 2-4). La mémoire des péchés: (71 2). Obligation envers son prochain (30, 3), (113, 2). Réconciliation avec son frère (71, 3).

543.

Pour «Sic et tu», voir par exemple: (1, 5), (17, 2), (33, 3) et (34, 3). Les deux occurrences de «Cum omnis Christi actio…» sont les sermons (84, 1) et (111, 4).

544.

Celeriter, humiliter, lacrimabiliter: (11, 1) et (17, 2).

545.

Le Seigeur reçoit les pécheurs: «libenter, festinanter, letanter» (100, 2). Il faut aller se montrer aux sacrificateurs: «libenter, festinanter, perseveranter» (93, 1). Les disciples de suivent Jésus: «velociter, inseparabiliter, constanter, letanter» (22, 3). Jésus est monté au ciel: «patenter, potenter, letanter, festinanter» (51, 2). Le prédicateur doit aller dans le monde: «festinanter, libenter, fiducialiter, patienter, confortabiliter, audacter, (in)fatigabiliter» (42, 1). Il faut faire de bonnes œuvres: «instanter, libenter, patenter, perseveranter, festinanter, compatienter» (40, 2) et (46, 3). Il faut aller vers Jésus de ces manières: «Non differre, non deferre alios, deferre munera, offerre iuste, ungere dominus (et non pungere)» (45, 2). Au sujet de l'approchement vers Jésus, voir aussi une longue comparaison (65, 1). Pour les autres distinctions de ce type, voir: (39, 4), (64, 1), (90, 1), (121, 2).

546.

Suivre l'exemple du Christ: (40, 3). Eviter les péchés: (46, 2). Souffrir la Passion: (46, 4). Commémorer la Passion: (89, 1). Faire pénitence: (66, 1). Suivre Jésus: (97, 4). Se ruent vers Jésus: (68, 1).