Dans ce chapitre, nous commençerons d'abord par étudier le rapport entre commentaires bibliques et sermons en général, avant de relever les correspondances entre les sermons et les postilles de Hugues de Saint-Cher au moyen d'un sondage effectué sur le quart du sermonnaire.
Le Père Bataillon résume ainsi dans un article le rapport entre exégèse et prédication : « comme il y a souvent des rapports étroits entre exégèse et prédication, il est bon, quand on travaille dans un de ces secteurs, d’avoir toujours un regard sur l’autre. Si des raisons valables empêchent souvent de se spécialiser à la fois dans l’étude de la lectio et dans celle de la praedicatio, il faut toujours se rappeler que, pour un maître médiéval, l’une ne va pas sans l’autre. » 597 En effet, comme nous l'avons vu plus haut, selon Pierre le Chantre la chaîne des études théologiques commence par la lectio suivie de la disputatio, avant d’aboutir à la praedicatio. Autrement dit : les études scripturaires théoriques devaient précéder la dispute - la préparation pratique - et cette dernière devait aboutir à la finalité des études: la prédication. 598
Cette situation explique pourquoi l’exégète médiéval puisait souvent dans son commentaire biblique - ou dans celui d’un autre bibliste - pour composer un sermon. Mais, le contraire aussi se produisait fréquemment : le prédicateur pouvait utiliser son propre sermon - ou celui d’un autre - pour composer un commentaire scripturaire. Les exemples abondent dont plusieurs ont été relevés par le Père Bataillon. 599
L’insertion d’un sermon dans un commentaire était chose courante au XIIIe siècle. Ce procédé était certes parfois dû à l’incurie des exégètes qui cherchaient des facilités, mais le plus souvent il témoigne d’une volonté délibérée de fournir un outil facile d’accès aux prédicateurs. Ces petits sermons étaient soit intégrés dans le texte même, soit ajoutés à la fin des commentaires. Parfois, ils se trouvaient en marge de la page; ils pouvaient atteindre la dimension d’un petit sermon, comme ceux de Costantin d’Orviéto, évêque de sa ville natale, qui dans la première moitié du siècle composait un commentaire sur l’Evangile de Luc où il inséra beaucoup de ses petits sermons, appelés processus. Notons au passage que le même Constantin copia abondamment les Postilles de Hugues de Saint-Cher pour réaliser son propre commentaire. 600
Le plus souvent, en revanche, ces bribes d’œuvres oratoires n’atteignant pas la taille d’un sermon sont de simples distinctiones. Le fait d’insérer ces distinctions en plein milieu du corpus des commentaires était pratique courante chez les commentateurs du XIIIe siècle. Ces distinctions devenant une partie organique des commentaires bibliques pouvaient à leur tour avoir la taille d’un ‘mini-sermon’ plus au moins développé. Elles pouvaient ensuite servir de charpente pour la composition de vrais sermons. Le Père Bataillon cite l’exemple de Jean de la Rochelle lequel intègre ses sermons dans son commentaire sur l’Evangile de Marc, de même Pierre de Tarentaise incorpora ses distinctions dans son commentaire des Epîtres de Paul. 601 Le phénomène inverse est encore plus fréquent : nombre d’auteurs puisent dans leur propre commentaire, ou dans celui d’un autre, afin de composer des sermons. Ainsi, le dominicain italien, Thomas Agni de Lentini, rédigea ses sermons en utilisant les fragments de ses commentaires. De la même façon, Guillaume Peyraud se servit abondamment des Postilles de Hugues de Saint-Cher. 602
Notons que dans certains cas, il est difficile - sinon impossible - de désigner l’œuvre originale et de déterminer dans quel sens l’emprunt s’est effectué. Cela se produit surtout lorsqu’il s’agit des textes de datation incertaine et provenant du même auteur. De même, on peut éprouver des difficultés à discerner la source de l’emprunt quand on est en présence de textes attribués à deux auteurs contemporains. Tout au plus, dans ce dernier cas, la notoriété plus grande de l’un des auteurs peut engager à lui attribuer l’œuvre originale.
L.-J. Bataillon, De la lectio à la Praedicatio, In. L.-J. Bataillon, La prédication, op. cit. p. 574.
Citons à ce lieu Henri-Dominique Simonin selon qui les postilles de Hugues « paraissent moins directement orientées vers l’enseignement technique de la science sacrée que vers la prédication de l’Ecriture sainte aux fidèles...» (In. Dictionnaire de Spiritualité, t. V. col. 1425)
Voir : L.-J. Bataillon, De la lectio, art. cit. p. 559-574.
Ibidem, p. 561.
Ibidem, p. 568.
Ibidem, p. 573.