1. Doctrine de la Sainte Trinité

Au fil des sermons, Hugues rappelle souvent aux fidèles les enseignements portant sur la Sainte Trinité. 618 Il est intéressant d'observer la répartition des cinq sermons s’y rapportant dans le cours de l'année liturgique. On constate en effet que quatre de ces cinq sermons se succèdent à court intervalle : entre l'octave de Pâques et l'octave de la Pentecôte, soit la fête de la Sainte Trinité. 619 Il semblerait donc que Hugues ait insisté sur le sujet de la Sainte Trinité à l'approche du jour consacré à la Sancta Trinitas. Notons que cette période de l'année - proche de la Pentecôte - est favorable pour rappeler le rôle de la troisième personne divine : le Saint-Esprit. Or, les propos sur le Saint-Esprit entraînent souvent des réflexions sur le Père et le Fils, et souvent ils provoquent une mention, ne fût-ce qu'implicite, de la Sainte Trinité.

Ainsi, dans une homélie composée justement pour la fête de la sainte Trinité, l'auteur confirme le Credo : il y a un seul Dieu en trois personnes. 620 Pour introduire les fidèles à ce mystère, il a recours à une image expressive en comparant la Trinité au Soleil qui forme une seule unité avec trois propriétés : rondeur, rayon et chaleur. La rondeur est le Père qui est sans commencement ni fin, le rayon qui procède du Soleil désigne le Fils, tandis que la chaleur issue du Soleil et du rayon désigne le Saint-Esprit. Donc, à l'image du Soleil, les trois personnes divines sont un seul Dieu. 621 Signalons ici brièvement la composition logique de ce sermon susceptible de faciliter la compréhension de la doctrine fondamentale de la Trinité. Hugues commence par appliquer les différents mots du thème (Benedicat nos, Deus Pater, Ps. XLVI. 8) aux trois personnes divines - Père, Fils et Saint Esprit - qui possèdent respectivement les attributs suivants : potentia, sapientia et benignitas. Dès lors, il développe dans trois distinctions les raisons pour lesquelles ces personnes divines accordent leur propre attribut à l'humanité : le Père donne son pouvoir afin que  l'homme soit puissant dans ses œuvres (potentes in opere), le Fils fait bénéficier l'humanité de sa sagesse, afin que l'homme soit sage dans sa parole (sapientes in sermone), enfin le Saint-Esprit donne la grâce pour que l'homme soit bienveillant (dando nobis gratiam, ut simus benigni). 622  Or, après avoir énuméré les raisons pour lesquelles les trois personnes divines partagent leur attribut respectif avec l'humanité, Hugues souligne l'unité de Dieu, dogme théologique qu'il illustre par l'image du Soleil (présentée plus haut). Pour finir, il énumère les attributs appartenant cette fois à Dieu seul et unique, lequel est «justus, sapiens, potens». 623 L'objectif est atteint : l'auteur partant de la différence des personnes divines conclut à leur unité.

Au sujet de la Sainte Trinité, Hugues insiste souvent sur l'égalité des personnes divines. Ainsi, dans le sermon Vado ad eum (Io. XVI. 5), l’auteur du sermonnaire souligne que Jésus est envoyé par le Père non pas comme un plus petit est envoyé par un plus puissant – comme disent les hérétiques, ajoute-t-il – mais comme un égal par son égal. Ici même, peut-être pour appuyer la doctrine de l'égalité des personnes divines, Hugues précise que le Fils fut envoyé non seulement par le Père, mais aussi par le Saint-Esprit, et qu'il a également assumé cette mission de sa propre volonté. 624 D'autres preuves en faveur de l'égalité entre les trois personnes divines sont fournies dans deux sermons : le premier affirme que le Fils et le Saint-Esprit ont le pouvoir d'envoyer la grâce - tout comme le Père ; le second nous rappelle que l’homme a été créé sur le conseil de toute la Trinité. 625

Quant à l'orientation de cet enseignement, il nous semble que la controverse avec  les hérétiques est sous-jacente dans ces passages. Même si Hugues n'est explicite que dans un seul sermon, 626 dans les deux autres cas il fait probablement référence aux hérétiques qui mettent en cause l'unité des personnes divines. Notons également que la foi trinitaire est revendiquée au XIIIe siècle comme une marque d’identité des chrétiens par rapport aux autres religions, en particulier l’Islam.

L'enseignement trinitaire ne se limite pas aux sermons portant sur la Sainte Trinité. Hugues trouve le moyen de renforcer ce dogme essentiel sur un autre mode, en énumérant les différents attributs de Dieu. En effet, on retrouve souvent dans les sermons les attributs traditionnels de Dieu, telles la justice, la sagesse et la puissance. 627 Lorsque les attributs des personnes divines sont explicites dans les sermons, on voit distinguer la puissance du Père, la sagesse du Fils et la bienveillance du Saint-Esprit. 628 La puissance se manifeste dans les œuvres du Père, la sagesse est révélée dans la parole du Christ, tandis que la bienveillance du Saint-Esprit apparaît dans l'attribution des aumônes. 629 Les différents attributs de Dieu, associés aux trois personnes divines, permettent ainsi de rappeler aux fidèles l'enseignement trinitaire. Hugues use régulièrement de cette technique, qui consiste à répéter les mêmes faits sous des perspectives différentes, afin d'inculquer aux fidèles des croyances fondamentales qui constituent un catéchisme personnel.

Notes
618.

Hugues fait mention explicitement de la Sainte Trinité dans les sermons suivants: (47,3), (51,1), (54,1 et 3), (59,1-4) et (118,2).

619.

En effet, les quatre sermons qui traitent de la Sainte Trinité (47,3; 51,1; 54,1 et 54,3; 59,1-4) sont prêchés respectivement à l'octave de Pâques, au quatrième et au sixième dimanche après Pâques, ainsi qu'au premier dimanche après Pentecôte (la fête de la Sainte Trinité). Le cinquième sermon (118,2) est prêché au vingt-quatrième dimanche après Pentecôte.

620.

Sermon 59,1-4: Benedicat nos Deus Pater (Ps. LXVI. 8).

621.

«Et metuant eum omnes fines terre, etc. ‘Eum’ dicit et non ‘eos’, ut ostendat quod persone non sunt nisi unus Deus. Et ne mireris de hoc, audi similitudinem. In sole tria sunt: rotunditas, radius et calor. Et tamen totum hoc non est, nisi unus sol. Per rotunditatem solis Patrem intellige qui est sine principio et sine fine. Per radium procedentem a sole Filium intellige. Per calorem procedentem a sole et radio solis Spiritum sanctum intellige. Patet ergo quod iste tres persone sunt unus Deus tantum.» (59,4).

622.

On retrouve les mêmes attributs des personnes divines dans le sermon 54,3.

623.

Sur ces attributs, voir également le sermon 1,1.

624.

«Vado ad eum qui me misit, etc, (Ioh. XVI. 5). Quasi dicat: Vado ad Patrem per assumptam humanitatem cum quo semper fui per divinitatem. Set cum videris eum missum a Patre, non credas ipsum propter hoc «minorem Patrem», sicut faciunt heretici. Missus est enim non sicut minor a maiore, set sicut equalis ab equali. Dicit ergo: 'Vado', scilicet patiendo, non sicut minor. Et Spiritus sanctus similiter misit ipsum. Venit et sponte sua.» (51,1).

625.

«Sicut enim Pater, ita et Filius et Spiritus sanctus mittit. Set Filius solet in sacra scriptura omne quod sui est attribuere Patri, quia quidquid habet, habet a Patre.» (54,1). Dans le sermon 118,2 nous lisons: «Homo enim consilio totius Trinitatis factus est, ut viveret secundum eius consilium quod pauci faciunt.» Notons ici que Hugues souligne que le Père a rendu témoignage du Christ à deux reprises: au moment du baptême et lors de la transfiguration. «Ille, inquam, testimonium perhibebit de me, (Io. XV. 27) et de deitate mea. Propter testimonium Patris in baptismo Christi et in transfiguratione. Propter testimonium et Iohannis Baptiste de Christo. Propter testimonium ipsius Christi operum.» (54,1).

626.

«Set cum videris eum missum a Patre, non credas ipsum propter hoc ‚minorem Patrem‘, sicut faciunt heretici.» (51,1).

627.

«Respice Dei iusticiam, sapientiam, potentiam.» (30,7). Voir aussi les sermons (1,1), (59,4),

628.

Nous avons cité plus haut le texte suivant: «Pater, cui attribuitur potentia dando nobis esse potentes in opere […], Filius cui attribuitur sapientia dando nobis ut simus sapientes in sermone […], Spiritus sanctus cui attribuitur benignitas dando nobis gratiam, ut simus benigni.» (59,1-3).

629.

«Pater qui fuit potens in opere […], filius qui fuit sapiens in sermone […], Spiritus sanctus qui fuit benignus in elemosinarum largitione.» (54,3).