5. Les doctrines sur la Vierge Marie

Les doctrines les plus importantes se rapportant à la mère de Jésus figurent dans les sermons de Hugues de Saint-Cher. Au sujet de la Vierge Marie, Hugues traite de sa virginité, de sa foi et de sa sainteté rappelant surtout la doctrine selon laquelle Jésus procède d’une vierge. 696 Or, nous constatons que lorsqu'il est question de la Vierge,  Hugues a tendance à parler des mystères du salut, de l'incarnation ou de la rédemption, plus que de la Vierge en soi. Nous ne trouvons qu'une seule exception à cette règle : le dernier sermon est consacré intégralement à la Vierge. En effet, dans le sermon Fac tibi archam de lignis levigatis (Gen. VI. 14), l'arche de Noé est interprétée comme une image de la Vierge Marie. Hugues développe abondamment cette comparaison et - dans une distinction - il fait correspondre les différentes propriétés de l'arche aux divers attributs de la Vierge. Cette longue distinction qui constitue pratiquement la totalité du sermon, au reste squelettique, contient non moins de trente quatre parties. 697

Même si dans les autres sermons la Vierge est mentionnée en rapport avec les mystères du salut, l'incarnation ou la rédemption, il est tout de même intéressant de désigner les moments dans l’année liturgique où le prédicateur parle de Marie. Ainsi, Hugues traite de la virginité de Marie dans le sermon Vado ad eum (Io. XVI. 5), prêché  en période de l'Ascension et de la Pentecôte, plus exactement: le premier dimanche après l'Ascension. Ici, il affirme que le Père avait envoyé son Fils et il rappelle que Jésus est né d'une vierge qui fut pourtant un être humain. 698 L'évocation de la Vierge Marie permet ainsi de préciser les circonstances de la venue de Jésus dans ce monde, la virginité de Marie est rappelée au passage lors de l'exposition de la doctrine de l'incarnation. Dans un autre sermon, Hugues fait également mention de la Vierge Marie. Bien que de première vue le nom de Marie apparaisse accidentellement dans le sermon - à propos d'une citation biblique contenant le terme desertum (Ysa. XVI. 1) - il est néanmoins digne d'intérêt que la question de la virginité de Marie est abordée, ne fût-ce qu'accessoirement, dans un sermon de l'Avent. En effet, ce sermon portant sur la venue duChrist devait derechef lier les questions de l'incarnation et de la virginité de Marie. 699 Le troisième sermon dans lequel se trouve une distinction sur la Vierge Marie est destiné pour le troisième dimanche du Carême. Ici, la mention de la  Vierge rend explicite la citation biblique Beatus venter qui te portavit (Lc. XI. 27). 700

Notons que l’auteur utilise de nombreuses images et comparaisons pour décrire le rôle de la mère de Jésus. Outre l'image de la Vierge comparée au désert (citée plu haut), nous lisons dans le sermon Beatus venter (Lc. XI. 27) que les fidèles, les parfaits et les saints sont allaités par les seines de la vierge. 701 D'après une autre image, la Vierge Marie est le navire que Jésus, le marchand merveilleux, a chargé avec ses récompenses précieuses - sa déité et son amour - pour les apporter aux hommes et afin d'assumer dans ce monde la pauvreté et l'affliction de la chair. 702 Nous retrouvons la  même métaphore dans le sermon Fac tibi archam (Gen. VI. 14) bâti entièrement sur la comparaison de la Vierge Marie avec l'arche de Noé. 703 En fait, nous constatons que les prédicateurs utilisent souvent l'image du bateau pour représenter la Vierge Marie. Dans un sermon (Facta est quasi navis institoris, etc. Prov. XXXI. 14), Eustache d'Arras explique que «quand le genre humain souffrait d'une famine de grâce, le Père a envoyé son Fils chargé de toutes les grâces nécessaire pour subvenir à notre pénurie. Le bateau qui a mené ce pain à la terre est la Vierge quand elle a conçu le Christ.» 704

Notes
696.

Voir le sermon 51,1 sur la virginité, le sermon 1,5 sur la foi et la virginité, ainsi que le sermon 36,1 sur la sainteté, cités infra.

697.

«Fac tibi archam de lignis levigatis, Gen. VI. 14. Per acham istam beata Virgo intelligitur que fuit archa sanctificationis. Comparatur autem arche Noe propter ista: mansio, clausa, salus, amena, quies, cibus, ingens, mons, conus, rector, aqua, ligna, fenestra, bitumen […] consolidat, mollis, redolens et recta, cypressus fructu dura, decus fluminis, alta nitens. […]» (126,1)

698.

«Pater eum misit. Unde ad Gal. IIII. (4), Misit Deus filium suum, factum ex muliere, non de viro et muliere. Set tamen de muliere, id est ex virgine factum sub lege, id est sub nomine legis, id est sub morte et aliis passionibus. Non ut sub ea expiantur, set ut ab ea liberaret.» (51,1).

699.

«Beata Virgo dicitur petra propter constantiam fidei, in ipsa stetit ecclesia tota in triduo passionis. Desertum etiam dicitur beata Virgo: quia nullo virili corpore fuit corrupta. Desertum enim nullo aratro aperitur.» (1,5).

700.

«Beatus venter qui te portavit, etc, (Luc. XI. 27). Venter Beate Virginis dicitur beatus, etc: - Quia bonum fructum tulit. […] Contra malos filios. […] - Quia castitatis signa talim non amisit. Contra luxuriosos et adulteros. […] - Quia ingurgitationi non intendit. Contra gulosos. - Quia se per superbiam non inflavit. […]» (36,1).

701.

«Ubera que suxisti. Habet ubera: - Mundus de quibus bibunt avari et usurarii. […] - Hereticus de quibus bibunt (non: P2) credentes. […] - Detractor de quibus bibunt magnates. […] - Caro de quibus bibunt luxuriosi. […] - Malus consoliator de quibus bibunt mali. […] - Et Beata Virgo de quibus bibunt fideles et perfecti et etiam sancti (virgines et casti: P2).» (36,2).

702.

«Vel per naviculam beata Virgo intelligitur cuius humilitas in diminutione notatur. Ipsa enim est luminare quod minuitur in consummatione. […] Hanc naviculam ascendit Dominus quando de ea concipi voluit. Prov. Ultimo. (XXXI. 14), Facta est quasi (navis) institoris delonge portans panem suum. Institor iste Christus est […]. Ipse enim mirabilis mercator fuit qui preciosas merces, id est ineffabilem deitatem, caritatem et huiusmodi in hac navicula, id est in beata Virgine, nobis attulit merces preciosa ut (et: P2) paupertatem carnis afflictionem a nobis assumpsit. […] Facta est ergo beata Virgo quasi navis institoris, id est Christum _de longe portans panem suum, quia longe ante predictum fuerat ipsam portare Christum, qui est panis vite et refectio nostra.» (103,3).

703.

(126,1)

704.

L. J. Bataillon, Les images dans les sermons du XIIIe siècle, In. La prédication au XIIIe siècle en France et en Italie, op. cit. XI, p. 336-337. (L'édition du sermon: p. 374-82). Dans ce même article, le Père Bataillon rappelle que le navire «peut servir de point de comparaison à plusieurs réalités spirituelles» (p. 336). Ainsi, il peut représenter outre la Vierge, la croix du Christ, l'Eglise, l'état religieux ou la sainte vie de pénitence. (p. 336-344). Notons ici la similitude entre l'image d'Eustache d'Arras et celle du sermon 103,3 de Hugues, cité plus haut. Quant aux différentes significations du navire, on les retrouve également chez Hugues de Saint-Cher. En effet, Hugues compare le navire à la croix du Christ (22,1), à l'humanité du Christ (103,1) ou à la pénitence (103,4).