Dans les sermons, nous trouvons des questions doctrinales relatives aux sacrements. Le terme 'sacramentum' ne figure guère au sens générique: Hugues de Saint-Cher spécifie habituellement le sacrement dont il traite, en le nommant. 747 Dans les sermons, Hugues ne tient pas à exposer ses positions théologiques en matière des sacrements, d'autant plus qu'un raisonnement d'ordre philosophique ne pouvait être son propos. Néanmoins, notons dès à présent que nous avons trouvé une exception à cette règle dans le domaine du mariage que nous exposerons plus loin. Au demeurant, conformément aux objectifs visés - qui est l'enseignement pratique des doctrines fondamentales adressé à un large public - l'auteur aborde concrètement quatre sacrements. 748
Pour ce qui est de l’eucharistie, le prédicateur traite rarement de ce sacrement et même dans ces cas il se contente d'une simple mention. Dans le sermon Ego sum pastor bonus (Io. XX. 21), il précise que Jésus nourrit l'homme non seulement du pain matériel et spirituel, mais aussi sacramentel : autrement dit l’eucharistie. 749 Dans un autre sermon (Diliges Dominum Deum tuum, Mt. XXII. 37), l'auteur fait référence à deux de ces trois catégories de pains, notamment aux pains spirituel et sacramentel, lorsqu'il déclare qu'une des raisons pour lesquelles les hommes doivent aimer Dieu est qu'ils sont nourris du pain de la doctrine et de l’eucharistie. 750 De même, Hugues prévient les fidèles qu'il ne faut point prendre le corpus Christi en état de péché mortel. 751
Tout comme l'eucharistie, le baptême est rarement abordé dans le sermonnaire. Dans le sermon Erat autem proximum Pascha (Io. VI. 4), Hugues déclare que Dieu épouse l'âme par la foi au moment du baptême. 752 Néanmoins, ajoute-t-il, l'homme raille Jésus lorsqu'il ne tient pas ses promesses faites lors du baptême ou de la confession. 753 A propos du sermon Ostendite michi numisma census (Mt. XXII. 19), Hugues passe en revue, au moyen d'une distinction, les différents types de monnaies en identifiant chaque pièce à une catégorie d'hommes. A l'aide d'une image expressive, il déclare que celui qui brise son vœu de baptême ou de confession est semblable à une monnaie cassée. 754 En commettant ce genre de péché, l'homme souille l'âme que pourtant il a reçue de Dieu, purifiée par le baptême. En effet, au moment de la mort chacun doit rendre compte de tout ce qui lui appartient devant le juge. Ce jour-là, Dieu pourra reprocher à l'homme que bien qu'il ait rendu la part des autres - le corps à la terre et les biens temporels au monde - il lui rend enlaidie sa part, c'est-à-dire son âme, que pourtant il a reçue purifiée par le baptême. 755
Quant au mariage, l’auteur des sermons reste peu prolixe tout comme pour les autres sacrements. 756 Il expose ses positions sur le mariage dans le sermon Nuptie facte sunt (Io. II. 1) racontant les noces de Cana. Ici, il regroupe les trois bienfaits que le mariage procure: tels la fidélité, la progéniture et le sacrement. 757 Notons ici que ce topos 'fides, proles, sacramentum', inventé probablement par Augustin, a atteint sa véritable importance dans les collections de sermons ad status du XIIe XIIIe siècles. 758 Au début du même sermon, l'auteur expose les six raisons pour lesquelles Dieu recommande le mariage. Dieu recommande ce sacrement par l'autorité de la personne qui a institué le mariage: Dieu même; par l'endroit où il a été créé: le Paradis; par la date de son institution: avant le péché; par la cause de son institution: dans l'espoir d'une postérité; par la présence physique du Christ aux noces de Cana; enfin, par le miracle que Jésus a effectué en changeant l'eau en vin. Hugues ne s'attarde qu'au quatrième argument: ici, il déclare qu'après le péché originel le mariage est donné non seulement en raison de l'espoir d'une descendance, mais aussi pour remédier à la fornication qu'il faut éviter. 759 Cette question revient dans le sermon Villam emi (Luc. XIV. 18), où Hugues expose les cinq motifs pour lesquels l'homme peut connaître sa femme. Or, d'une manière surprenante, l'auteur avoue que son avis diffère de l'opinion de certains: Tout en soulignant que la fonction du mariage est d’assurer la descendance et non pas d’assouvir le désir charnel, Hugues déclare: l'homme peut aussi connaître sa femme «pour éviter l'intempérance, et ainsi se garder de la volupté; cela est un péché véniel selon certains, pourtant je crois qu'il n'est nullement un péché en raison de l'autorité de Saint Paul (I. Cor. VII. (2): Toutefois, pour éviter l'impudicité, que chacun ait sa femme, que chaque femme ait son mari.» 760
Cette position de Hugues relève la question de la réévaluation de la nature et elle est également importante dans une perspective de mise en rapport avec les attentes sociales. En effet, au XIIIe siècle on assiste à la généralisation de la dichotomie de péchés spirituels et péchés charnels. Les péchés charnels, dits naturels, furent considérés comme des péchés véniels, donc moins coupables que les péchés spirituels. Comme note Jacques Rossiaud, «pour saint Thomas et ses disciples, c'est dans le cadre du mariage, donc d'une sexualité maîtrisée par le fidèle, ritualisée par les lois et sacralisée par ses intentions, que l'acte de chair est réhabilité.» 761 En effet, le triomphe du mariage sacramentel a rendu nécessaire d'instituer une opposition entre fornication qualifiée, correspondant à la luxure, et fornication simple. Si la première fut associée à des crimes publics - comme le rapt, l'adultère ou l'inceste - la seconde, tout en restant un péché, ne fut sévèrement réprouvée que dans le cas de fréquences inconsidérées. 762 Or, si «dès le début du XIVe siècle, pour beaucoup de théologiens, la fornication simple n'est plus considérée comme une transgression majeure,» nous constatons que Hugues a pris cette même position déjà au milieu du XIIIe siècle. 763
Si Hugues expose à deux reprises cette idée dans son sermonnaire et qu'il fait figurer dans une homélie cette position controversée allant à l'encontre de la thèse de certains théologiens, c'est en toute évidence parce qu'il attachait une importance à cette problématique. Autrement, une opinion aussi délicate n'aurait jamais trouvé sa place dans une série de sermons modèles toujours concis, souvent squelettiques. Dans ce qui suit, nous allons tenter de prouver que l'intérêt de Hugues pour les questions polémiques du mariage se manifeste également dans ses œuvres théologiques.
Nous ne retrouvons que dans le sermon sur la circoncision (Postquam consummati sunt, Lc. II. 21) le terme 'sacrement' et même ici, le sens est plutôt celui de mystère : «Notandum quod quinquies Dominus fudit sanguinem suum pro nobis non tantum ut te redimeret, sed ut te erudiret: - Primo in circumcisione, ut hic. - Secundo in oratione. - Tertio in columpne ligatione. In columpna enim adeo flagellatus fuit quod vestigia sanguinis ad huc ibi apparent. - Quarto in crucifixione, quod factum fuit in precium. - Quinto in lanceatione, que effusio facta fuit in sacramentum.» (14,2).
Notons ici que dans cette partie nous n'examinerons que trois sacrements - l'eucharistie, le baptême et le mariage - le quatrième étant la pénitence dont nous traiterons plus loin, en rapport avec la vie morale.
«Pascit enim nos Dominus triplici pane: - Materiali. […] - Spirituali. […] - Sacramentali.» (48,1).
«Item alie cause quare est diligendus : - Quia tanto precioso nos redemit. - Quia tociens paratus est suscipere derelinquentes. - Quia tam assidue nos flagellat et corripit. Non parcit virge ut parcat anime. - Quia tam diligenter nos custodit, tam per se, scilicet per gratiam, quam per suos, scilicet per angelos. - Quia tam diligenter nos nutrit pane, scilicet doctrine et eucharistie.» (102,2).
«Sequitur. Tradetur gentibus. Mt. XXVI. (48), Qui autem tradidit eum. Hodie etiam traditur ab illis qui in peccato mortali corpus Christi recipiunt.» (28,7).
«Notandum quod nupcie iste significant nuptias Christi et Ecclesie vel fidelis anime. Anima enim desponsatur Deo per fidem in baptismo.» (18,4). Nous trouvons ailleurs une simple mention de la foi du baptême: «De sex ablutionibus habens supra ubi loquitur de sex ydriis. Septima est fides baptismi.» (39,3).
«Sequitur. Et illudetur. Mt. XXVII. (29), Genu flexo ante eum illudebant ei, etc. Hodie etiam illuditur Christus a multis, ab illis, scilicet, qui quod in baptismo vel in confessione promiserunt, illi non servant.» (28,8).
«Notandum quod V. sunt genera denariorum : - Primus est totus stagneus, id est homo ineptus ut qui totus est pollutus in consciencia, et extra notatus infamia. Hic numerus reprobatur, nec in thesauro Domini ponitur. Ps. (XXIII. 3), Quis ascendet in montem Domini? Ille ergo non ascendet, qui proximo nocet per infamiam, ideo displicet per cordis immunditiam. - Secundus est stagneus et foris argenteus. Talis est ypocrita. - Tertius est argenteus, set reprobe monete, quia subscriptio falsa est. Hic est qui fidem verbo ornet, set opere non implet, cum sit inscriptus macula mortalis peccati. Hic numerus reprobatus est, nec ponetur in thesauro Dei. [77vb] - Quartus argenteus, set fractus. Hic est qui votum baptismi vel confessionis frangit. - Quintus est totus integer et argentus et bene scriptus . Ysa. XLIIII. (5), Hic scribet manu sua : Domino et in nomine Israel assimilabitur, etc. Ideo, hic vult esse vere christianus et vult poni in thesauro Domini. Hic, inquam, scribet, scilicet in anima, et manu sua ostendet, id est opere suo ; Domino, suple sermo, et qui sic inscriptus fuerit, in nomine Israel assimilabitur, id est vocabitur vir videns Deum. Talis esto si vis poni in thesauro Domini. Sicut enim Cesar exigit impressionem sue imaginis, sic et Deus animam lumine vultus sui insignitam.» (116,1).
«Ad hoc ergo ut istam iustitiam faciamus, tria ad minus oportet nos facere, scilicet: - Corpus terre tradendo omnino. Istam iusticiam faciemus bene, si velimus aut nolumus. - Temporalia mundo. Istam similiter bene faciemus, si velimus aut nolumus. - Animam Deo. Istam tertiam iusticiam nolunt facere Domino peccatores. Unde de hiis conqueritur Iere. XII. (10), Conculcaverunt partem meam, quasi dicat Dominus: partem aliorum bene [61ra] reddiderunt, set partem meam, id est animam quam tradidistis in baptismo mundam, deturpaverunt.» (52,4).
Au sujet des sermons sur le mariage, voir en dernier lieu: D. L. d'Avray, Medieval Marriage Sermons, Mass communication in a Culture without Print, Oxford, 2001, en pariculier le chapitre sur Hugues de Saint-Cher: p. 127-165.
«Tria sunt bona matrimonii scilicet [47vb] : - Fides. Ne cum alio vel alia commisceatur. - Proles ut religiose educetur. - Sacramentum. Ne coniugium separetur.» (18,3).
«On the other hand, the fides-proles-sacramentum topos is definitely interesting, because it could not have been predicted if it had not been invented (by Augustin?), and because of the way in wich the connotations vary between different writers and times. The importance of this topos of the 'three goods of marriage' in ad status sermon collections of the Central Middle Ages is established.» (D. L. d'Avray, The Preaching of the Friars. Sermons diffused from Paris before 1300, Oxford, 1985, p. 249.)
«Primo commendatur matrimonium ab auctore, quia Deus ipsum instituit. - Secundo a loco, quia in Paradiso. - Tertio a tempore, quia ante peccatum. [47va] - Quarto a causa, quia spe prolis. Verumptamen datum est post peccatum non solum ob causam prolis, set in remedium vitande fornicationis. - Quinto a corporali Christi presentia, ut patet in Euuangelio. - Sexto a miraculorum operatione, ut patet ibi quia aquam mutavit in vinum.» (18,1).
«Multos enim non matrimonium set matrimonii abusio a cena Domini retraxit. Multi enim non propter prolis fecunditatem, set propter carnis desideria contrahunt matrimonia. […] Notandum quod V. modis cognoscit uxorem suam vir, scilicet: - Aut causa prolis procreande, et tunc nullum est peccatum. - Aut causa reddendi debitum, et tunc non solum non peccat, set etiam meretur. […] - Aut causa incontinentie vitande, scilicet cum prevenitur a voluptate, et tunc est veniale peccatum secundum quosdam, ego tamen credo nullum esse peccatum propter auctoritatem Apostoli: I. ad Cor. VII. (2), Propter fornicationem, suple vi[64ra]tandam unusquisque uxorem habeat, unaquaeque suum virum habeat. […] - Aut causa explende (li)bidinis, ut cum utitur calidis cibis et intentivis, ut potentior sit in illo factum, vel cum conatur facere, licet non multum appetat, et tunc credo ipsum mortaliter peccare. […] - Aut cognoscit uxorem suam contra naturam, et tunc mortalissime peccat.» (63,6 et 7).
J. Rossiaud, La prostitution médiévale, Paris, 1988, p. 83.
J. Rossiaud, La prostitution médiévale, op. cit. p. 87.
Ibidem.