La position théologique de Hugues au sujet du mariage

Pour apporter des preuves, il convient d’examiner non seulement la position de Hugues vis-à-vis des questions théologiques sur le mariage, mais aussi les thèses admises par ses contemporains. Les doctrines se rapportant au mariage, en tant que  sacrement, se sont formées aux XIIe-XIIIe siècles. Le problème aigu traité avec circonspection par les théologiens était le même que Hugues a abordé dans son sermon cité plus haut: l’association du mariage au péché. Nombre de canonistes soutenaient que l’acte conjugal ne peut jamais s’accomplir sans péché, aussi s’efforçaient-ils d’interdire les relations conjugales pendant plusieurs jours de la semaine. 764 D’autres cherchaient à excuser la relation conjugale - tel Pierre Lombard - et à l’associer à des péchés véniels, d’autres encore ont réagi contre le rigorisme - tels Pierre le Chantre et Robert de Courçon. Quant à Pierre le Chantre, il a considéré comme semi-hérétiques  ceux qui «s’efforcent par des moyens obliques de détruire le mariage.» Il prenait parti dans le débat en 1197 portant sur la question de savoir si l’acte conjugal peut être méritoire, où il décomposait l’acte et y reconnaissait des moments du mérite et ceux du péché véniel : l’intention est méritoire, mais la délectation charnelle est véniellement coupable. En ce qui concerne Robert de Courçon, il observe que l’acte conjugal accompli ex caritate, en vue de la procréation, ou par devoir, ou pour éviter l’incontinence est méritoire et cela résulte de l’intention et de la prudence qui l’anime. 765 Le débat n’a pas encore perdu son intérêt au temps de Hugues de Saint-Cher, car le futur cardinal a longuement exposé les arguments pour et contre dans une de ses questiones. 766 Hugues conclut dans sa solutio que la question du caractère peccamineux de la relation conjugale dépend directement de la problématique du premier mouvement de la sexualité : ceux qui considèrent ce dernier comme un péché font pareil dans le cas du premier et vice-versa. Après avoir exposé les différentes positions, Hugues affirme à l'instar de Pierre le Chantre et de Robert de Courçon que tous les actes conjugaux ne constituent pas un péché, au contraire, parfois ils sont salutaires. 767 Or, cette même position fait une apparition inopinée dans son  sermon Villam emi (Luc. XIV. 18), examiné plus haut. Hugues a donc estimé cette question controversée digne d'être retenue dans un sermonnaire où généralement les positions polémiques n'ont guère droit de cité. Certes, cette question - le caractère non peccamineux de l'acte conjugal - faisait objet d'un débat et les positions divergeaient, néanmoins elle pouvait intéresser l'auditoire des sermons. C'est probablement la raison pour laquelle Hugues insère cette question dans deux de ses sermons. Notons au passage que dans cette problématique, Hugues a adopté une position permissive et que cet exemple - avec d'autres - atteste que le futur cardinal eut tendance à adopter des thèses progressistes lors des débats théologiques. Notons également que si ce débat fut  amorcé avec ces trois auteurs - dont Pierre le Chantre, Robert de Courçon et Hugues lui-même - il ne prendra sa fin qu'avec Albert le Grand et Thomas d’Aquin qui prouveront que la virtus generativa est une vertu naturelle, par conséquent l’acte conjugal est nécessaire. 768

Notes
764.

Dictionnaire de théologie catholique, t. IX. c. 2177.

765.

Ibidem, c. 2177-78.

766.

Il s’agit de la question n. 261 du manuscrit de Douai 434, intitulée ‘De matrimonio’ reportée par P. Glorieux (Les 572 Questions du manuscrit de Douai 434, In. Recherches de Théologie ancienne et médiévale, X (1938), p. 123-152, p. 146).

767.

“ Solutio hujus dependet ab illa questione qua quaeritur utrum primi motus sint peccata. Illi qui dicunt quod primi motus sint peccata, dicunt quod opus conjugale non potest fieri sine peccato ad minus veniali. Alii qui dicunt quod primi motus non sint peccata dicunt quod non omne opus conjugale sit peccatum… Asserimus secure quod non omne opus conjugale est peccatum, immo quandoque meritorum vitae aeternae. ” (Dictionnaire de théologie catholique, op. cit,  t. IX. c. 2178.)

768.

Ibidem, t. IX. c. 2178.