Questions théologiques sur les sacrements en général

Après la question du mariage, nous examinons brièvement l'apport de Hugues à la théologie sacramentelle en général. Il convient de constater que le cardinal a fait avancer la doctrine en matière des sacrements en introduisant des principes de première importance. 769 Ainsi, il attribuait pour la première fois une composition bipartite - hylémorphique - à tous les sacrements : un composant matière et un composant forme. 770 Si Guillaume d’Auxerre est considéré comme l’introducteur de la théorie hylémorphique du sacrement, l’application du principe à tous les sacrements ne  date que d’environ 1230. 771 De surcroît, cette adaptation - relativement facile à réaliser pour le baptême et l’eucharistie - présentait des difficultés pour d’autres sacrements - dont la pénitence et le mariage - au point que certains théologiens y ont renoncé. 772 Or, le premier témoin de l’application au mariage du principe aristotélicien d’hylémorphisme était Hugues de Saint-Cher lui-même qui affirmait que le  consentement exprimé par la parole des mariés peut être considéré comme la «materia» du sacrement, tandis que la forme de cette même parole est la «forma» du sacrement. 773

En outre, on attribue à Hugues le rôle initiateur dans différentes questions relatives aux sacrements. Ainsi, le futur cardinal semble avoir introduit l’usage du concept de sacramentum et de res dans la théologie du caractère sacramentelle. 774 Cette théorie a traversé une période de tâtonnement pendant laquelle des théologiens, tels Prévostin de Crémone et Alexandre de Halès, se sont orientés vers une triple catégorie du sacrement. 775 En effet, dès le milieu du XIIe siècle, on a commencé à appeler le corps eucharistique «sacramentum et res» et les espèces «sacramentum tantum», distinction que Hugues a étendue sur les autres sacrements dont le baptême. Ainsi, il déclarait qu’il y a trois éléments dans le baptême : le «sacramentum tantum», l’eau ou l’ablution ; la «res tantum», l’infusion de la grâce et la rémission du péché ; enfin le «sacramentum et res», c'est-à-dire le caractère. 776 De même, notons en ce lieu que  Hugues s’est exprimé également au sujet du caractère de la confirmation. 777 Hugues a donc considéré le caractère comme une disposition matérielle qui prépare à la réception de la grâce. Ainsi, le caractère est devenu «sacrement et chose» que l’on considérait désormais comme effet du baptême et cause de la grâce. 778  Nous avons vu que Hugues fut le précurseur de nouvelles thèses doctrinales dans le domaine des sacrements. Cette nouveauté consistait en général en l'application des idées existantes à chacun des sept sacrements, qu'il s'agisse de l'hylémorphisme aristotélicien qui reconnaît dans chaque sacrement la composition bipartite - «matière et forme» - ou qu'il s'agisse d'une autre composition duale des sacrements consistant en la distinction des notions de «sacramentum» et de «res». Soulignons que ces apports de Hugues de Saint-Cher à la théologie du XIIIe siècle n'apparaît point dans ses sermons. Ces questions étant trop théoriques - et souvent controversées - elles ne pouvaient pas être traitées dans le cadre d'un sermon.

Notes
769.

Sur les sacrements en général voir : D. Van den Eynde, Les définitions des Sacrements pendant la première période de la théologie scolastique (1050-1240), Rome, Louvain, 1950. Remarquons dès l’abord que Hugues a employé des formules assez générales pour la définition des sacrements : «Sacramenta novae Legis efficiunt quod figurant, et justificant… id est : Deus per illam vim, quam dat sacramento, efficit quod sacramentum figurat.» Et en guise de conclusion Hugues écrit : «Quod solus Deus justificat, verum est : auctoritate ; sacerdos autem : ministerio ; sacramentum vero : causaliter, sacramentum dico novae Legis, quia sacramenta veteris Legis tantum occasionaliter…» (Dictionnaire de théologie catholique, op. cit. t. XIV. c. 580.)

770.

Dans ce domaine, D. Van den Eynde reconnaît ainsi les mérites de Hugues: «The second Dominican Master at the University of Paris is rightly considered as the true creator of the theory which grants to all and each of the sacraments a bipartite and hylomorphic composition… Fond of method and clarity, Hugh starts by setting up his general principle; he then goes on by applying it to all the sacraments, from baptism to matrimony.» D. Van den Eynde, Theory of the Composition of the Sacraments in Early Scholasticism (1125-1240), In. Franciscan Studies XII (1952), p. 12.

771.

Dictionnaire de théologie catholique, t. IX.c. 2202.

772.

Notons que selon Alfred Vanneste, Hugues de Saint-Cher est le premier théologien à avoir assimilé entièrement le sacrement de la pénitence aux autres sacrements. (A. Vanneste, La théologie de la pénitence chez quelques maîtres parisiens de la première moitié du XIIIe siècle, In. Ephemerides Theologicae Lovaniensis XXVIII (1952), p. 24-58, en particulier p. 37). Il écrit au sujet de la pénitence: «Il nous semble donc que c’est bien le désir de ramener tous les sacrements au même type, qui incite ici notre auteur [Hugues de Saint-Cher] à admettre, par analogie avec ce qui se passe dans le baptême, une influence sacramentelle de la pénitence extérieure sur l’infusion de la grâce.» (Ibid, p. 44.)

773.

«Melius potest dici, scilicet quod consensus in copulam maritalem per verba de praesenti expressus est sacramentum et ipse est quasi materia sacramenti ; forma verborum est quasi forma sacramenti ejusdem.» In. Dictionnaire de théologie catholique, t. IX. c. 2202.

774.

Dans son ouvrage J. Galot concède que Hugues de Saint-Cher est le premier à avoir appelé le caractère «chose et sacrement». (J. Galot, La nature du Caractère Sacramentel : Etude de Théologie Médiévale, Bruxelles-Paris, 1956, p. 88-90, en particulier p. 89, n. 1.)

775.

J. Galot, La nature du Caractère Sacramentel, op. cit. p. 87-88.

776.

«Nos vero dicimus quod sicut in sacramento altaris tria sunt : unum quod est sacramentum tantum, scilicet species panis et vini, aliud quod est res tantum, scilicet corpus Christi misticum, i. e. unitas ecclesie ; tertium quod est sacramentum et res, ut verum corpus Christi ; ita in baptismo tria sunt : unum quod est sacramentum tantum, scilicet aqua abluens vel ablutio passio secundum magistrum ; aliud est quod est res tantum, scilicet gratie infusio et peccati remissio ; tercium quod est sacramentum et res, scilicet caracter.» (J. Galot, La nature du Caractère Sacramentel, op. cit. p. 86-87.) Notons que Hugues a étendu ces catégories au sacrement de l’ordre. Là encore il y a le “ sacramentum tantum ”, le signe invisible ; la “ res tantum ” ou grâce reçue ; le “ sacramentum et res ” ou caractère. (Ibidem).

777.

Voir: K. Lynch, The Sacramental Grace of Confirmation in Thirteenth Century Theology, In. Franciscan Studies XXII (1962), p. 32-149, p. 172-300, en particulier p. 51-55 et p. 285.

778.

Dans une questio de Hugues (De baptismo, Douai 434/1 n. 269) écrit : “ Quod ultimo queritur quid sit caracter, quidam dicunt quod est passibilis qualitas et informans ad videndum quid credendum et quid non, quid faciendum et quid non. Mihi autem videtur quod est qualitas disponens et habilitans animam ad susceptionem gratie… et secundum hoc caracter est sub prima specie qualitatis, nec tamen est virtus vel scientia, sed dispositio materialis que dicitur necessitas et causa malerialis respectu ultime perfectionis. ” (J. Galot, La nature, op. cit. p. 92-93.) _