La justice de Dieu et la doctrine du jugement dernier occupent une place importante dans les sermons: un cinquième des sermons sur les évangiles de Hugues abordent le sujet du jugement dernier. 779 Ces sermon sont dispersées dans l'année liturgique et aucun indice ne permet de distinguer une période de l'année où ce thème serait favorisé en particulier. Cette répartition égale tout au cours de l'année, ainsi que le nombre très élevé des occurrences témoignent ensemble de l'importance que Hugues avait accordée au jugement dernier et en général au domaine de l'eschatologie. Dans ce qui suit, nous soumettons ces textes à une analyse détaillée, afin de dégager le message de Hugues de Saint-Cher en matière de la justice divine.
Nous avons vu que pour faire justice, l'homme doit rendre au moment de la mort tout ce qu'il avait possédé dans ce monde: le corps à la terre, les biens temporels au monde et son âme à Dieu. 780 Une fois l’âme enlevée, les sentences seront prononcées et la part de tout être humain sera la vision de Dieu ou celle des démons. 781 A travers les sermons se dessine donc le jour du jugement dernier : ce jour-là, l'homme devra rendre compte de ses péchés, écrit Hugues. 782 L'humanité sera soumise à un examen dont les trois étapes seront : la révélation de Dieu qui est infaillible, le trouble d'esprit des pécheurs accompagné de la honte (confusio cum rubore), ainsi que l'examen accompli avec rigueur. 783 Dans le sermon Simile est regnum celorum (Mt. XVIII. 23), Hugues précise que le jugement est triple: les prêtres jugent les hommes à présent (iuditium discussionis); les justes, jugés bons à présent par les prêtres, seront récompensés dans l’avenir (adiudicatio); enfin les mauvais, ceux qui ne veulent pas être jugés à présent, seront dépossédés de l’héritage éternel (abiudicatio). 784 Dieu est juste, mais il est aussi sévère, par conséquent Hugues met en garde les hommes contre un trop grand espoir en la miséricorde de Dieu et les invite à considérer l’inflexibilité de la justice de Dieu, la sévérité du jugement et la dureté de la menace divine. 785 De même, l'auteur prévient l'humanité au tout début de la collection que le jugement sera terrible. 786
En effet, Hugues désigne souvent le comportement que l'homme doit adopter face au jugement dernier. Il ne se lasse pas de répéter que le jugement est redoutable et que l'homme doit craindre la justice de Dieu. 787 Hugues précise dans le sermon Quid audio de te (Lc. XVI. 2) que la justice est à craindre à cause de la conscience qui accuse, de la sévérité du jugement et de la damnation éternelle. 788 Notons au passage que cette citation fait partie d'une distinction qui expose - et développe longuement - les trois issues que l'homme doit redouter: la mort, la justice et l'enfer. 789 Pourtant, Hugues se plaint que certains revendiquent le droit de juger leur prochain ou tardent à se soumettre au jugement ou encore ne craignent point la justice de Dieu. 790
Voir en particulier les sermons suivants: (1,3), (3,1, 2 et 4), (4,1 et 2), (9,3 et 8), (14,4), (19,1), (25, 1 et 3), (26,4), (37,1), (39,2, 6 et 7), (52,5), (54,2), (60,2), (61,1 et 2), (67,2), (78,3), (79,1), (88,3), (95,3), (107,6), (108,1 et 3), (112,1 et 2), (123,1), (124,1) et (125,3), soit un cinquième de la collection.
Voir le sermon 52,4 cité plus haut. Nous retrouvons les mêmes arguments dans le sermon Primum querite regnum Dei (Mt. VI. 33): «Sequitur. Et iusticiam eius. Iusticia Dei est reddere unicuique quod suum est. Debemus autem tria reddere: - Corpus humo. […] - Temporalia mundo. […] - Animam Deo a viciis purgatam, virtutibus ornatam. Utinam talem reddemus ei, et quia non facimus, Dominus conqueritur per Iere. XII. (10), _Conculcaverunt partem meam, quasi dicat : partes aliorum bene reddiderunt, set partem meam conculcaverunt, id est deturpaverunt.» (95,3).
Tout le sermon Factum est ut moreretur mendicus (Luc. XVI. 22) traite de cette question: la mort est bonne, meilleure et excellente pour les justes; en revanche elle est mauvaise, pire et le pire pour les pécheurs. (61,1 et 2).
«Redde rationem villicationis tue, etc, (Luc. XVI. 2). Nota quod de tribus oportebat nos reddere rationem in die iudicii, scilicet : - De peccato cogitationis. Sap. VI. (4), In cogitationibus impii interrogatio erit, scilicet in die iudicii. - De peccato locutionis. Mt. XII. (36), De omni verbo ocioso reddituri sumus ratione in die iudicii. - De peccato operis.» (79,1). Sur le jugement dernier, voir: J. Baschet, Les justices de l'Au-delà: les représentations de l'Enfer en France et en Italie: XIIe-XVe siècle, Ecole Française de Rome, Rome, 1993
«Vel aliter: Tercius panis dicitur : Extremi iudicii examinatio. Fragmenta huius panis sunt : - Revelatio sine errore. […] - Confusio cum rubore. […] - Examinatio cum rigore.» (125,3).
«Notandum est quod triplex est iuditium : - Discussionis quod est in presenti ante sacerdotem. Dominus enim de sola misericordia sua posuit nobis vicarios suos, scilicet prelatos et capellanos qui loco ipsius audirent causam nostram. […] - Adiudicationis quod erit in futuro quantum ad bonos. Quia hic in presenti se perfecte iudicaverunt, in iuditio discussionis. […] - Abiudicationis quod similiter erit in futuro quantum ad malos, qui in presenti se noluerunt iudicare et ideo eis abiudicabitur hereditas eterna.» (112,2).
«Sequitur. Et solutum est vinculum lingue eius. Notandum quod tria sunt vincula que ligant linguam peccatoris, ne peccata confiteatur. Set quodlibet vinculum tripliciter solvitur : Primum vinculum est timor recidivandi. Vinculum istud solvunt tria, si bene considerentur : - Hostis debilitas. […] - Sanctorum societas. […] - Auxilii Dei securitas. […] Secundum vinculum est presumpcio de misericordia Dei. Vinculum istud solvunt tria si bene consideretur : - Iustitie Dei inflexibilitas. […] - Post peccatoris expectationem, Dei severitas. […] - Divine comminationis asperitas. […] Tertium vinculum est desperatio remissionis. Vinculum istud solvit triplex Dei misericordia : - Prima est quia ad penitentiam diutius expectat. […] - Secunda est quia penitenti misericorditer condonat. […] - Tertia est quia quiescentes a peccato misericorditer salvat.» (88,3).
«Nota quod triplex est adventus [Domini]: - Primus fuit in carne et hic humilis. […] - Secundus est in corde et hic amabilis. […] - Tertius erit in iuditio et hic terribilis.» (1,3).
Sur la crainte de la justice de Dieu, voir les sermons (19,1), (39,2), (52,5), (78,3), (108,1) et (124,1).
«In iuditio tria sunt timenda : - Conscientia accusans. - Iudicis severitas. - Imminens dampnatio.» (78,3). Une idée semblable ressort du sermon Amice quomodo huc intrasti (Mt. XXII. 12): «Nota quod tria debemus timere in iuditio : Conscienciam accusantem. - Iudicis severitatem. - Penarum diversitatem.» (108,3).
Voir: (78,1-4). Nous trouvons pratiquement la même idée dans le sermon A quator ventis (Eze. XXXVII. 2): «Nota quod quilibet debet habere triplicem timorem: - Mortis subitante. - Sententie ultime. - Pene eterne.» (39,7).
«Item de die iudicii: - Quod usurpant. […] - Quod subire tardant. […] - Quod non formidant.» (52,5). A propos de ceux qui se revendiquent le droit de juger leur prochain, Hugues écrit dans le sermon Estote misericordes (Lc. III. 36): «Sequitur. Nolite iudicare, et non iudicabimini. Periculosum valde est iudicare de ocultis, quia et bono animo et malo fieri possunt. Ideo dicit Apostolus Ad Ro. XIIII. (12), Unusquisque nostrum pro se rationem reddet Deo. Non ergo amplius invicem iudicemus; quia qui alium iudicat, iniuriatur: - Deo. Ad Ro. XIIII. (4), Quis es qui alienum servum (iudicat), quasi dicat: non subiacet tuo iuditio, set Domini Dei sui. […] - Sibi. […] - Proximo.» (67,2).