Lors du jugement, les hommes - justes et mauvais - auront selon leur mérite la vie éternelle ou la damnation perpétuelle. Les sermons foisonnent des remarques portant sur ces deux fins extrêmes. 791 Deux remarques s'imposent en la matière. D'une part, on constate que le sujet du jugement dernier est souvent accompagné de la menace de la damnation perpétuelle, comme si Hugues voulait susciter la crainte du jugement divin par le rappel de ces conséquences néfastes : la peine éternelle. 792 D'autre part dans nombreux sermons la vie éternelle et la peine perpétuelle sont traitées en parallèle, comme les deux pôles opposés. 793
Hugues de Saint-Cher exhorte souvent les pécheurs à chercher le royaume de Dieu. Notons dès à présent qu'il convient de distinguer la notion 'royaume' en général et celle du lieu déterminé. Or, ce dernier - la place déterminée du royaume céleste - ne semble pas intéresser particulièrement Hugues. En effet, les textes des sermons permettent juste de distinguer que le royaume de cieux se trouve «en haut», tandis que l'enfer est «en bas». 794 La conception de Hugues de Saint-Cher est différente de l’idée des trois lieux traditionnels de l’au-delà. D'une part, dans ses sermons Hugues ne fait aucune mention du purgatoire, d'autre part, au lieu de traiter du Paradis l'auteur préfère désigner le royaume des cieux en général. 795
Le thème du sermon Primum querite regnum Dei (Mt. VI. 33) fournit une excellente occasion à l'auteur pour inviter les fidèles à rechercher le royaume des cieux avant de se préoccuper des biens temporels. 796 Dans ce même sermon, Hugues expose non moins de neuf raisons pour lesquelles on doit chercher le royaume céleste: la tranquillité, le charme, la fécondité, la douceur, la sécurité, la vie éternelle, la société des saints et la vision de Dieu. 797 Néanmoins, la propriété principale de la vie éternelle est la gloire et la joie célestes. Dans le sermon Homo quidam fecit cenam magnam (Lc. XIV. 17), Hugues compare le repas du passage évangélique à la gloire éternelle que Dieu prépare aux justes, une gloire qui est douce, harmonieuse et joyeuse. 798 Quant à la joie (gaudium), elle est toujours exprimée comme l'antipode de la sensation terrestre, telle la passion momentanée que l'on peut se procurer ici-bas. 799 En effet, le procédé est général chez Hugues: en démontrant la magnificence de la vie éternelle, il crée des oppositions de telle sorte qu'une qualité du royaume de Dieu est mise en parallèle avec un défaut de la vie terrestre. Ces pôles d'opposition - le bonheur de la vie éternelle face aux vicissitudes de ce monde - sont explicites ou sous-jacentes, toujours est-il que l'on reconnaît la référence aux conditions humaines. Ainsi, dans le sermon Suscipiens in celum (Mc. VII. 34), l'auteur nous invite dans une distinction à considérer la joie céleste qui est éternelle pour une affliction momentanée; inchangeable face à l'interruption de la joie temporelle; délectable en échange de l'affliction de la pénitence; enfin riche de biens en échange d'une courte restriction de la joie terrestre. 800 Dans le royaume de Dieu, la joie sera stable, incomparable et indivisible - tout le contraire de la joie de ce monde qui est changeante, comparable à rien et divisible. 801 L'opposition du royaume de Dieu avec la vie de ce monde apparaît également dans d'autres sermons. En partant de l'image biblique des ouvriers de la vigne (Voca operarios, Mt. XX. 8), l'auteur affirme que Dieu appelle les hommes de sa vigne, où ils ont travaillé durant leur vie, pour payer leur salaire. Or, la récompense sera la vie éternelle, car Dieu appelle l'homme «du travail au repos, du changement à la stabilité, de la servitude à la liberté, de la pauvreté aux nombreux trésors, de la faim à la satiété, du vil état à l'honneur, de l'amertume à la douceur, de la tristesse à la joie, enfin de la guerre de la misère à l'accord et à la paix.» 802
En résumé, dans les sermons le royaume de Dieu apparaît avant tout comme quelque chose de stable et d'inchangeable, face aux changements de ce monde, où un bonheur et une joie éternelle attend les hommes. De surcroît, Hugues fait souvent référence à la beauté et à la splendeur du royaume de Dieu.
Si l'auteur invite à chercher cette paix et harmonie, il indique également le moyen pour y arriver. La vie éternelle est la récompense des justes, dit-il, qui auront le privilège de voir Dieu et d’être en compagnie des Saints. 803 Il décrit à plusieurs reprises la manière dont on peut entrer dans le royaume des cieux et précise où l’homme trouve le Salut. 804 Selon l'enseignement de Jésus, le royaume des cieux est promis aux pauvres et à ceux qui souffrent dans ce monde, écrit Hugues. 805 Si la pratique de l'aumône aide à obtenir la vie éternelle, la foi ou la mémoire de la Passion conduit également dans le royaume céleste. 806 De la même manière, le Paradis que l'homme a perdu par la désobéissance d'Adam peut être retrouvé par l'obéissance, affirme Hugues. 807 En somme, c'est le respect des commandements de Dieu qui garantie la vie éternelle : il faut donc renoncer aux péchés, de peur d'être exclu du royaume de Dieu. 808 En effet, ajoute Hugues, le vice qui enlève à l'homme par-dessus tout le Paradis - et dont il doit se garder - est l'orgueil. 809
La vie éternelle et le salut sont traités dans les sermons (6,2), (10,2), (23,1), (25,1), (30,13), (39,5), (53,2), (61,1), (62,1-2), (64,1), (68,1) (73,8), (76,1), (95,1-2), (96,1), (112,1), (123,1-2) et (125,2) tandis que la damnation perpétuelle est abordée dans les homélies (6,2), (10,2), (25,2), (30,12), (35,2), (39,2 et 7), (45,1), (66,1), (75,1), (77,3), (78,3), (83,1), (86,2), (87,1), (108,3), (109,1) et (125,2). ¬
Voir par exemple les sermons (39,2 et 7), (78,3), (108,3), et (125,2).
Voir par exemple les sermons (6,2), (10,2), (25,1-2), (30,12-13), 39,2,5 et 7), (123,1 et 2) et (125,2).
Sur la place du royaume de Dieu: « Hanc naviculam ascendit Dominus: - Ut nos ad alta traheret. […]» (22,2). Sur l'emplacement de l'enfer: «Bonus mercator cum se vel summarium suum videt nimis honeratum, non solum solvit, set etiam cito ligamina rumpit, ne cum pondere ad terram cadat. Dissolvatur ergo fasciculus peccatorum, quia non solum in terram, sed etiam in inferno cadere facit. […]» (38,2). Sur les deux voir: « Cum igitur res ponderosa potius habeat descendere quam ascendere, [dicebat diabolus:] mecum debent descendere in infernum. Set hec allegatio diabolo nec profuit, quia Dominus noster in alia lance ipsum quodammodo posuit, qui in tantum ponderavit quod pars in qua erat in infernum descendit. Pars vero in qua erat homo in tantum se erexit quod in celum ascendit, et sic Christus statera facta corporis predam abstulit tartaris.» (12,1).
Pour la prédication sur le royaume des cieux, voir en dernier lieu: Martine de Reu, La parole du Seigneur. Moines et chanoiens médiévaux prêchant l’ascension et le rouyaume des cieux, Bruxelles et Rome, 1996, en particulier le chapitre portant sur le XIIe siècle: p. 117-239.
«Sequitur. Hec omnia utilia expedientia ad vitam istam necessaria adicientur vobis. Nota quod non dicit : Prius querite regnum Dei, quasi quesito eo, postea querenda sunt temporalia. Set primum, id est precipue, querite regnum Dei, et hec omnia adicientur, id est superaddentur, vobis, tamquam accessoria.» (95,4). Notons que deux autres sermons sont entièrement consacrés au royaume de Dieu: le sermon 23 (Simile est regnum celorum homini paterfamilias, Mt. XX. 1), ainsi que le sermon 112 (Simile est regnum celorum homini regi, Mt. XVIII. 23).
«Notandum quod regnum Dei querendum est : - Propter sui stabilitatem. - Propter sui tranquilitatem. - Propter sui iocunditatem. - Propter sui fertilitatem. - Propter sui dulcedinem. - Propter sui securitatem. - Propter vite eternitatem. - Propter sanctorum societatem. - Propter Dei visionem.» (95,2). De même, sur la vue de Jésus dans le royaume des cieux, nous lisons: «Nota quod tripliciter est visus filius Dei: - Visus est enim in presenti seculo. […] - Videbitur etiam in iuditio. […] - Videbitur in regno.» (4,1).
«Homo quidam fecit cenam magnam, etc, (Luc. XIIII. 17). Homo iste est Dominus noster, Iesus Christus. Unde in Thim. IV. (5), Mediator Dei et hominum, homo Iesus Christus. Homo iste fecit cenam magnam quia nobis satietatem eterne glorie preparavit. Eterna enim gloria cene comparatur propter tria in quibus notantur tres dotes anime: - Propter dulcedinem. - Propter concordiam. - Propter gaudium. Hec tria significata fuerunt per illa que attulerunt exploratores de terra promissionis, scilicet: per ficum, etc.» (62,1).
«Respice Paradisi: - Gaudia eterna pro momentanea passione. - Delectabilia pro brevi penitentie afflictione.
- Omnibus bonis fecunda pro brevi voluptatum restrictione.» (30,13).
«Cum omnis Christi actio nostra sit lectio, quilibet nostrum debet exemplo Christi in celum respicere, scilicet considerando celi gaudia : - Eterna pro momentanea afflictione. - Impermutabilia pro temporalis gaudii cessatione. - Delectabilia pro penitentie afflictione. - Omnibus bonis fecunda pro brevi voluptatum restrictione.» (84,1).
«Sequitur. Mundus autem gaudebit., id est mundi amatores. Set certe gaudium eorum est: - Permixtibile. […] - Comparabile quasi nichilo. […] - Divisibile. […] Sequitur. Tristitia vestra vertetur in gaudium. Quod erit: - Inpermixtibile. […]- Incomparabile. […] - Indivisibile.» (50,3 et 5).
«Voca operarios, etc, (Mt. XX. 8), quasi dicat Deus Pater procuratori suo. Suo, id est filio suo, in manus cuius Pater omnia tradidit. Voca operarios, quasi dicat non otiosos, ante tribunal iustitie, et redde illis mercedem suam. Voca ergo, et hoc: - De labore ad requiem. - De mutabilitate ad immutabilitatem. - De servitute ad libertatem. - De paupertate ad thesaurum multiplicem. - De fame ad saturitatem. - De vilitate ad honorem. De amaritudine ad dulcedinem. - De merore ad iocunditatem. - De bello miserie ad concordiam et pacem. Hec tria significata fuerunt in Numeris XIII. (23) per illos tres fructus quos optulerunt, scilicet exploratores, de terra promissionis. Per ficum ubi notatur dulcedo, per botrum ex quo elicitur vinum ubi notatur gaudium. Per malogranatum ubi notatur concordia, scilicet quia multa grana sunt ibi tam concorditer manent in mansiumculis suis.» (25,1). De même, nous lisons dans le sermon Simile est regnum celorum homini paterfamilias (Mt. XX. 1.): «Operarii huius vinee fideles qui se vel alios bonis omnibus operibus excolunt. Singulis autem denariis promittitur, quia unicuique fideliter laboranti vita eterna pro mercede dabitur.» (23,1). Dans le sermon Est puer unus hic (Io. VI. 9), au sujet de la vie éternelle nous retrouvons les propriétés suivantes : «Eterne vite felicitas. […] - Gaudium sine dolore. […] - Requies sine labore. […] - Vita sine morte.» (125,2).
Voir les sermons (23,1), (25,1), (53,2) et (73,8).
Sermons (64,1) et (76,1). Au sujet du salut, Hugues écrit: «Ad quam veniunt: quia ad Iesum, id est ad salvatorem, qui interpretatur salus et vita, quoniam triplex est salus: - Prima est extra nos, scilicet salus corporalis. […] - Secunda est intra nos, scilicet spiritualis. […] - Tertia est supra nos, scilicet eternalis.» (68,1).
«Sequitur.Quoniam appropinquat regnum celorum quod habebunt: - Veri pauperes. […] - In carcere huius mundi gementes. […] - In bono perseverantes.» (5,3). Nous lisons dans le sermon Nuptie facte sunt: «Divitias enim repudiavit Dominus, quia regnum celorum promisit pauperibus et non divitibus.» (18,5).
Sur l'aumône: «Nota quod elemosina: - Deum in membris suis satiat. […] - Proximum illuminat. […] - Amicos spirituales conservat. […] - Temporaliter remunerat. […] - A peccatis et a morte verberat. […] - Gratiam hominis conservat. […] - Viam ad Paradisum preparat.» (39,5). Sur la foi: «Facit autem fides multa bona, de quibus sequitur : - Sanat. […] - Filium Dei facit. […] - Salvat. […] - Beatificat. […] - Vitam eternam dat.» (105,1). Sur la Passion du Christ: «Nota quod multa bona facit nobis passio Christi : - Mortuum suscitat. […] - Cecum illuminat […]. - Vulneratum sanat. […] - Animosum reddit. […] - Amarum dulcorat. […] - Ad regnum perducit.» (123,2).
«Adam enim per inobedientiam eiectus est de Paradiso. Set nos redeamus per obedientiam.» (2,2).Nous retrouvons la même idée dans le sermon Apertis thesauris (Mt. II. 11): «Moraliter. Si vis ad celestem patriam pervenire, vias Adam oportet te fugere. Adam enim exivit de Paradiso, scilicet: - Per ocii sectationem. […] - Per falsam suggestionem. […] - Per mandati transgressionem. […] - Per peccati excusationem. Nos autem revertamur: - Bona operando. […] - Diabolo resistendo. […] - Mandata servando. […] - Peccata accusando.» (15/a,1 et 2).
«Et nota quod dicit: Pax, id est de peccatis, sit vobis. Sic debemus ei quiescere a peccatis: - Ne promissionem factam retineamus. […] - Ne Dei odium incurramus. […] - Ne pravo exemplo alios corrumpamus. […] - Ne inimicos nostros letificemus. […] - Ne servitutem diaboli incurramus. […] - Ne celeste regnum pro nichilo amittamus.» (46,2).
«Pacem temporis aufert homini avaritia. Pacem pectoris aufert homini luxuria. Pacem eternitatis aufert homini superbia et habitabit in medio domo vestro, scilicet est pax eternitatis quod facit superbia et opera superbie […]» (47,3). Nous lisons ailleurs: «Notandum est quod superbia multa mala facit : - Hominem deicit. […] - Sathane subicit. […] - Iurgia nutrit. […] - Ad infernum ducit ut patet in Lucifero. […] - Introitum paradisi prohibet.» (101,1). Selon Hugues, l'infidélité peut aussi fermer la porte du Paradis: «Et nota quod peccatum infidelitatis multa mala facit. De quibus sequitur : - Deo displicet. […] - Mutum facit. […] - Filium diaboli facit. […] - Hominem ad infernum ducit. […] - Ianuam paradisi claudit.» (105,3).