1. Les péchés

En abordant la question des péchés, nous recensons d'abord les questions théologiques se rapportant aux péchés et aux vertus, avant d'analyser les péchés tels qu'ils apparaissent dans les sermons de Hugues de Saint-Cher.

1. Questions théologiques sur le péché et la vertu

Avant d’examiner les péchés et les vertus dans les sermons, il convient de noter les principales positions théologiques de Hugues de Saint-Cher en la matière, et cela d’autant plus que l’auteur eut une contribution importante dans le domaine de l’opposition du bien et du mal et en particulier quant à la dichotomie du péché et de la vertu. 868 En effet, si dans son Commentaire des Sentences la problématique du péché est quelque peu négligée, Hugues y distingue clairement - semblablement à ses  contemporains - le péché et l’acte du péché. 869 Quant au classement des péchés,  Hugues ajoute aux trois définitions du péché données par Pierre Lombard une quatrième – celle de saint Augustin – ainsi, il ramène ces péchés au schéma des quatre causes. 870

En ce qui concerne l’opposition du bien et du mal, le progrès marqué par Hugues est important : il affirme que le péché est avant tout l’opposé de la vertu, et à un titre secondaire seulement celui du bien de nature. En effet, dans sa solution Hugues explique que l’opposition doit être considérée par rapport à la fin poursuivie. Or, la vertu et le péché s’opposent immédiatement par la divergence de leur fin. Ainsi, le péché ne peut être opposé au bien naturel, car il n’altère que la perfection du bonum naturae qui lui sert de sujet. Hugues nous éclaire davantage sur la base d’une analogie: comme la cécité ne s’oppose pas à la vue - qui est son sujet – mais à la vision parfaite, de même le péché n’est pas le contraire du bien de nature, car il ne détruit pas la perfection de ce dernier, qui constitue son sujet. Le contraire du péché est donc la vertu. 871 En insistant sur l’opposition péché-vertu, Hugues réfute explicitement la position surannée de Guillaume d’Auxerre qui enseignait que le péché - en détruisant en nous la grâce - s’oppose à la fin de la nature. 872 Comme l’opinion de Hugues sera désormais acceptée par les théologiens, 873 cette position de Hugues a marqué un  progrès considérable dans le développement de la théorie du péché. Remarquons enfin que lorsqu’il juge les péchés, Hugues adopte souvent, sans être laxiste, une position  moins sévère, comme nous l'avons vu plus haut. Un autre exemple de cette attitude intellectuelle ouverte est qu’il soutient avec Pierre Lombard et Guillaume d’Auxerre que l’enfant ne peut être rendu responsable du péché originel – seul imputable aux premiers parents. 874

Notes
868.

Voir : L.-B. Gillon, La théorie des oppositions et la théologie du péché au XIIIe siècle, Paris, 1937, p. 41-43

869.

«Sane dici potest : peccatum quandoque dicitur privatio debiti finis et nichil est, quandoque est actus malus et aliquid est, sicut tenebre quandoque dicuntur carentia lucis et nichil sunt, quandoque aer obscurus et aliquid sunt.» In. L.-B. Guillon, La théorie des oppositions et la théologie du péché au XIIIe sièlce, Paris, 1937, p. 41.

870.

«Primo autem queritur in quo differant iste diffinitiones. Ad quod dicimus, quod prima data est secundum causam materialem, secunda secundum causam efficientem, tercia secundum causam formalem. Quartam etiam ponit Augustinus in libro de libero arbitrio (II, 20, P. L. 32, 1269) que sumitur secundum causam finalem : peccatum est spreto incommutabili bono rebus mutabilibus adherere.» In. L.-B. Guillon, La théorie des oppositions, op. cit. p. 41.

871.

«Solutio. Malum est quod in anima duplicem habet effectum. Animam viciat sive deformat, item habilitat ad actum malum. Secundum primum effectum opponitur sive contrariatur bono naturali quod corrumpit in anima. Quoad secundum effectum, malum contrariatur virtuti que est habitus habilitans ad contrarium actum. Quia igitur contrarietas sive oppositio maxime attendatur in hiis ratione finis, peccatum simpliciter habet opponi virtuti, secundum quid autem opponitur bono naturali, nec cuique bono nature, sed tantum perfecto quod privat. Unde bono cui inest, malum non opponitur in quantum tale, sed secundum id quod privat, ut patet expresse in cecutiente. Cecutio, ut ita dicam, non habet esse nisi in vidente. Quia in quantum cecutio participat cicitatem, opponitur visui, sed non visui cum quo est, sed perfecto qui erat et quanto magis crescit cecutio, secundum id quod opponitur visui, tanto magis decrescit visus.» In. L.-B. Gillon, La théorie des oppositions, op. cit. p. 42-43.

872.

Op. cit. p. 43.

873.

L’idée que le péché s’oppose au bien moral et à la grâce sera adoptée, entre autres, par Alexandre de Halès et par Guillaume de Durham (L.-B. Gillon, La théorie des oppositions et la théologie du péché au XIIIe siècle, Paris, 1937, p. 73).

874.

O. Lottin, Psychologie, op. cit. t. IV. p. 275.