Outre ces péchés, on revoit dans le sermonnaire un autre groupe de vices - les péchés de la langue. 890 Parmi les nombreux vices appartenant à cette catégorie, on retrouve surtout la médisance (detractio), la flatterie (adulatio), le murmure (murmur) et - dans une moindre mesure - la jactance (iactantia). 891
Dans les sermons de Hugues de Saint-Cher, la médisance et l'envie sont associées: les détracteurs, tout comme les envieux, sont semblables au serpent, affirme Hugues. 892 L'envie dévore le pécheur lui-même, mais elle infecte également son prochain par la médisance. Hugues rappelle la loi mosaïque selon laquelle les lépreux devaient aller dans les villes et les places publiques la bouche fermée pour ne pas infecter les autres, et ajoute que les détracteurs doivent agir de même. 893 Nous retrouvons une idée semblable dans le sermon Ecce homo hydropicus, (Lc. XIIII. 2). Ici, Hugues met le détracteurs dans le rang des trois pécheurs les plus fustigés - les orgueilleux, les avares et les luxurieux - et il ajoute que l'hydropique a une mauvaise halaine à cause de la détraction. Ici même, l’auteur estime que les médisants sont pires que les voleurs, car tandis que le voleur peut restituer l'argent, le médisant ne peut rendre la bonne réputation à la personne déshonorée. De plus, le médisant sème la discorde entre les frères. Enfin, il est capable de tuer avec sa langue trois personnes d'un seul coup, tandis qu'avec une lance on ne tue qu'une personne d'un seul coup. 894 Notons que la comparaison de la médisance avec le vol et le meurtre étaient des idées répandues à l'époque de Hugues de Saint-Cher. Conformément à la position de Hugues, la médisance était reconnue plus grave que le vol sur la base de «la supériorité qu'est la réputation sur celui que forment les richesses». En revanche, la médisance fut considérée moins grave que l'homicide, contrairement au sens (littéral) du texte de Hugues. 895
La flatterie se situe à l'opposé de la médisance. Nous pouvons dire avec Carla Casagrande et Silvana Vecchio que l'une était «décrite comme l'exacte contraire de l'autre: la médisance enlève et abaisse, la flatterie ajoute et élève.» 896 Selon Hugues, les flatteurs sont à éviter, car en écoutant leur flatterie le pécheur demeure dans les vices. 897 Ils sont comparables aux nourrices diaboliques qui endormissent doucement leurs enfants, à l'escadron du diable, au souffleur ou encore au prêtre du diable. 898 Les flatteurs sont des faux prophètes aussi bien que des hypocrites. 899
Enfin, à propos du murmure, Hugues répète la même idée: l'homme ne doit jamais murmurer contre le châtiment de Dieu. Ceux qui le font sont semblables à la roue du char qui - en portant le foin - murmure sans cesse. 900
Sur les péchés de la langue, voir: C. Casagranda et S. Vecchio, Les péchés de la langue. Discipline et éthique de la parole dans la culture médiévale (Editions du Cerf) , Paris, 1991
Sur la jactance, voir (18,6) et (82,1). Dans ce dernier cas, la jactance est associée à l'orgueil, et en particulier à la hypocrisie: « Notandum quod IIIIor sunt species superbie : - Prima est cum quis bonum quod habet, a se estimat habere. […] - Secunda est cum homo bonum quod habet, a Deo se habere non credit, set pro meritis suis. […] - Tertia est cum homo iactat se habere quod non habet, quod vitium est ypocritarum, et hoc iactantia est vel rapina. […] - Quarta est cum despectis ceteris, appetit quis singulariter videri bonum quod habet. Hac peste laborabat iste phariseus cum dicebat : Deus, gratias ago tibi, quia non sum sicut ceteri hominum.» (82,1)
«Tunc enim peccator habet facies et ymagines diaboli cum habet peccata: […] - Leonis faciem habet per superbiam. […] - Serpentis per detractionem et invidiam. […] - Apri per iracundiam. […] Onagri per accidiam. […] - Vulpis per dolositatem. […] - Ursi per gulositatem. […] - Asini per luxuriam.» (117,1)
«Notandum quod sicut multe sunt infirmitates corporales, ita et spirituales : - Prima est inflatio superbie. […] - Secunda lepra invidie que consumit peccatorem, et alios inficit per detractiones. Et preceptum fuit in Levit. XIII. (44), quod leprosi irent per vicos et plateas ore clauso, ne alios inficerent. Sic debent facere et detractores. - Tertia est frenesis iracundie. […] - Quarta est paralisis, scilicet accidie que facit hominem languere. […] - Quinta est ydropisis avaritie. […] - Sexta est lupus gule. Hec infirmitas solet invadere magnates, et semper vult habere gallinas albas ut dicitur : Veri potest notari libido lecatorum.» (110,1)
«Hydropicus enim: - Ore fetet per detractionem. […] Prov. XXIIII. (21), Cum detractoribus ne commiscearis : - Quia detractores peiores sunt quam raptores. Raptor enim potest restituere pecuniam, ipse autem non potest restituere famam. […] - Quia inter fratres seminant discordiam. […] - Quia detractor tres uno ictu interficit, et sic magis nequam est lingua detractoris quam lancea, quia uno ictu tres interficit.» (100,1). Pour le détracteur, voir encore les sermons (36,2), (92,1) et (110,2). _
«La diffamation est presque toujours jugée plus grave que le vol, en fonction de la supériorité du bien qu'est la réputation sur celui que forment les richesses; souvent représentée comme une arme et un poison capables de tuer, la diffammation est aussi considérée dans certains cas comme une espèce d'homicide.» (C. Casagrande e S. Vecchio, Les péchés de la langue, op. cit. p. 247.) Nous lisons plus loin: «[…] pour Thomas d'Aquin, la vie, que l'homicide interrompt, est un bien supérieur à la réputation, à laquelle attente le dénigreur.» (Ibidem)
C. Casagrande e S. Vecchio, Les péchés de la langue, op. cit. p. 244.
«Recedite, non est enim mortua, set dormit, (Mt. IX. 24). Nota quod per tibicines, qui eiecti sunt de domo, adulatores intelligi possunt qui mortuos in peccatis suaviter quiescere faciunt.» (120,1)
«Notandum quod adulatores sunt : - Quasi nutrices diabolice que dormire molliter faciunt pueros eius ut hic: (Eze. XIII. 18), Veh, qui consuunt pulvillos, etc. Et quia etiam eos lactant, lacte adulationis, contra quos in Prov. XXIIII. (28), Non lactes quemquam, etc. […] - Item sunt quasi turmellum diaboli, per quod quasi de facili intrat in corda hominum. - Item sunt quasi sufflatorium diaboli, qui sufflant ab ipso ignem immissum, vel accensum. Prov. (IX. 24), Laudatur peccator, etc. - Item ipsi sunt quasi sacerdotes diaboli inungentes infirmos eius.» (74,1). Voir aussi: (6,1).
Voir le sermon (74,1). Pour ce qui est des hypocrites, voir les sermons (14,3), (35,2), (74,1), (82,1) et (116,1).
«Notandum est quod tria debet timere peccator, quia bona Domini dissipavit : - Primo mortem. […] Et in morte tria: - Ne pure confessus fuerit. […] - Ne iniunctam penitentiam egerit. […] - Ne contra flagellum Domini murmuramus. Eccli. XXXIII. (5), Precordia fatui, quasi rota carri. Rota enim carri (fenum) portat et murmurat.» (78,2). Voir aussi les sermons: (42,2), (51,2) et (122,2).