Pour ce qui est des péchés graves, l'on constate que si Hugues prévient fréquemment qu’il faut éviter les péchés mortels, 901 il n’aborde qu’exceptionnellement les péchés très graves. De ce point de vue, le sermon Redde quod debes (Mt. XVIII. 28) peut être considéré comme un rare exemple. En effet, c’est le seul sermon où l’auteur traite de la question des péchés graves en déclarant que quatre péchés crient vers Dieu : la violence faite auxopprimés, le sang des assassinés, le fait de retenir le salaire dû, ainsi que l’action scandaleuse des sodomites. 902 Or, si l’on examine de plus près les statuts synodaux, on y trouve une panoplie de péchés de cette gravité. Citons, à titre d’exemple, les statuts de Cambrai qui nous informe que les «fidèles doivent confesser directement à l’évêque les péchés graves, tels l’homicide, le sacrilège, l’incendie, le péché contre nature, la défloration des vierges, le concubinage des habitants d’un couvent et des membres d’un Ordre religieux, l’inceste, le mauvais traitement des parents, l’oppression des faibles, […] le sortilège, le maléfice (veneficia), le parjure solennel, le reniement de la foi, le renoncement aux vœux, la simonie, l’adultère, l’hérésie, l’apostasie, les lourds blasphèmes prononcés sérieusement, enfin le maléfice de ceux qui ensorcellent les couples pour que ces derniers ne puissent s’unir par le mariage, pour qu’ils soient stérils ou afin qu’ils avortent.» 903
Cette longue énumération constitue la liste des péchés considérés comme particulièrement graves, vers le milieu du XIIIe siècle. Or, dans ses sermons, Hugues évite d’aborder ces péchés, hormis l’adultère et l’hérésie. 904 Remarquons que si Hugues est peu prolixe au sujet des péchés graves, c’était probablement à cause de ses objectifs : au lieu de traiter de ces cas extrêmes, il souhaitait aborder les défauts du plus grand nombre des fidèles.
Il existe une catégorie particulière de péchés, considérés comme graves : la rapine (rapina), l’usure (usura) et le vol (furtum). Ces trois vices sont souvent traités dans les sermons de Hugues, et il sont généralement mentionnés ensemble. 905 Les biens des personnes riches proviennent de la rapine, de l’usure et du vol, écrit Hugues. Quant aux usuriers, ils sont pires que Judas, car ils vendent tous les jours Jésus, tandis que Judas n’a commis ce méfait qu’une seule fois. 906 De même, les usuriers ne trahissent pas Jésus pour trente pièces d'argent, il leur suffit un denier pour commettre ce méfait. Enfin, ils diffèrent du traître de l'Evangile, car ils ne reconnaissent point leur péché et ne veulent pas restituer l'argent. 907 Remarquons que selon la logique de cette distinction, certains prédicateurs déclarent que les usuriers sont pires que les ivrognes ou les marchands. 908
Si la part de ces péchés - vol, ruse et usure - est grande dans les sermons, ces questions ont profondément préoccupé l’ensemble du clergé dont témoignent les statuts synodaux du XIIIe siècle. En effet, ces statuts règlent souvent la restitution des biens volés et interdisent aux fidèles l’achat de ces biens. 909 Ces mêmes statuts mentionnent les usuriers à qui le prêtre ne peut conférer les sacrements et que le prêtre ne peut enterrer dans les cimetières, s’ils meurent sans faire pénitence. On apprend, par exemple, qu’une liste des noms des usuriers devait être établie et donnée à l’évêque. 910
Hugues traite des péchés mortels dans les sermons (12,1), (20,2), (21,1), (28,7), (39,3), (63,7), (77,1), (92, 1), (110,2), (116,1) et (117,1). Notons au passage que dans les statuts synodaux des mentions sont faites souvent des péchés mortels et véniels. In. J. Avril (éd), Les statuts synodaux français, op. cit. tome IV, p. 34.
«Et nota quod quatuor peccata dicuntur clamare ad Dominum, scilicet : - Violentia oppressorum. - Sanguis interfectorum. - Detentio mercedis. - Flagitium Sodomorum.» (114/a,2).
«Sacerdotes reservent episcopo mortalia peccata, ut puta homicida, sacrilegia, incendia, peccata contra naturam, struprum virginum, concubitum personarum conventualium et in sacris ordinibus constitutarum, incestus, injectiones manuum in parentes, oppressiones parvulorum, […] sortilegia, veneficia, perjuria solemnia, fidei fractiones, votorum transgressiones, symonia, adulteria, hereses, apostasie et magne blasphemie serio facte, maleficia eorum qui maleficant conjuges ne possint coire, vel qui procurant sterilitatem mulierum vel aborsum.» In. J. Avril, Les statuts synodaux français, op. cit. t. IV. p. 34.
Pour l’adultère, voir les sermons 18 et 36, tandis que pour l'hérésie voir les sermons 36, 51, 55 et 74. Sur ces deux questions, voir supra.
«[Apertis thesauris] suis. Quasi dicat non alienis, quod est: - Contra fures. - Contra feneratores. - Contra raptores.» (15,2). Voir aussi les sermons (36,2), (71,5) et (114/a,1-4).
Notons que selon la position de l'époque, les usuriers vendent le temps qui est le bien commun de chacun, mais Hugues ne traite pas de ce détail. Voir: J. Le Goff, La bourse et la vie. Economie et religion au Moyen Age, Paris, Hachette, 1986.
«Nota quod usurarii deteriores sunt quam Iudas qui vendidit Christum, quod probatur multis de causis, scilicet : - Quia minus diligunt Deum quam Iudas. Dilexit enim eum. XXXa argenteos, et ipsi dant eum pro uno denario. […] - Quia frequentius vendunt, quia cotidie, Iudas autem semel. […] - Quia Iudas peccatum suum cognovit […] - Item Iudas pecuniam in suos usus non expendit. […] - Iudas omnia restituit. Ipsi autem nolunt restituere usuras.» (114/a,4)
Voir: N. Bériou, L'avènement des maîtres de la Parole, op. cit. p. 296.
«In usurpatione rei aliene vel dampno ei illato per furtum, rapinam, usuram, fraudem, inventionem, injustam vexationem, falsam testificationem et alios modos, primo injungant presbiteri restitutionem fieri eis quos predictis modis dampnificaverunt vel heredibus eorum…» (J. Avril (éd), Les statuts synodaux français du XIIIe siècle, tome IV, Paris, 1995, p. 35.) Sur l’achats des biens volés : «Item inhibeant presbiteri parochianis suis ne quis rem furtivam vel furtim surreptam emat. Quod si emerint, sciant se ad restitutionem modis predictis teneri.» (Idem, p. 36.)
«Usurarii notorii ad aliqua ecclesiastica sacramenta nec ad ecclesiasticam sepulturam admittantur, si impenitentes moriantur. Si autem penituerint et caverint competenter per se vel per alios de restitutione facienda secundum facultates suas, ad ecclesiastica jura admittantur. Sacerdotes usurarios et omni specie usure notatos diligenter inquirant, et nomina ad nos et officialem nostrum in scripto referant.» In. J. Avril (éd.), Les statuts synodaux français, op. cit. p. 63.