Après avoir traité du péché et de la vertu nous tenterons de relever la position théologique de Hugues au sujet de la pénitence. Dans ce cadre, nous examinerons en général les questions théologiques se rapportant à la pénitence, avant d'étudier la place de la pénitence dans les sermons de Hugues de Saint-Cher.
Hugues était très sensible à la question de la pénitence et cela pour plusieurs raisons. D’une part, le concile de Latran IV a obligé les fidèles de recourir au sacrement de la pénitence avant de recevoir la communion annuelle - enseignement que chaque prêtre avait pour tâche de dispenser après 1215. En effet, on constate que les œuvres théologiques de Hugues foisonnent des allusions à la pénitence. 941 D’autre part, Hugues lui-même était pénitencier pontifical entre 1244 et 1263, et il était souvent amené à intervenir - en sa qualité de pénitencier - dans des problèmes relatifs à cette question. En tant que paenitentiarius, il portait le titre de paenitentiarius summus ou celui de Sedis apostolicae paenitentiarius generalis. 942 Une fonction aussi considérable, croyons-nous, ne pouvait que confirmer l’intérêt de Hugues pour la question de la confession. 943
Au XIIIe siècle, il existait parmi les théologiens un consentement général au sujet de la nécessité de la confession. 944 De même, ils ont tous déclaré qu’à la base de cette nécessité on trouve un précepte divin, sanctionné par un précepte de l’Eglise. A l’instar de ces théologiens, Hugues affirmait que sans la confession la rémission du péché n’est pas possible, et déclarait que la confession fut instituée implicitement par le Christ, dont témoigne l’Evangile. 945 A l’image de Guillaume d’Auxerre et d’Alexandre de Halès, Hugues prône l’utilité de la pénitence qui induit au for intérieur du pécheur une «confusion salutaire» et l’incite à la contrition. 946 C’était probablement Hugues de Saint-Cher qui a utilisé pour la première fois dans l’histoire de la théologie de la pénitence l’expression de attritione fit contritio. En effet - selon Hugues - dans la satisfaction et la confession la douleur et la grâce augmentent ou même sont données, de manière que «de attritione fit contritio». 947 Avec cette formule, Hugues avait adopté – selon Alfred Vanneste – la position la plus avancée parmi les auteurs du début du XIIIe siècle. Selon le chercheur, «il s’agit d’une influence de la pénitence extérieure non seulement sur la rémission de la peine, mais sur la contrition et par là sur l’absolution du péché lui-même. Hugues arrive ainsi au terme de toute une évolution et - contrairement au Maître des Sentences - il parvient à assimiler la pénitence parfaitement aux autres sacrements du Nouveau Testament.» 948
Si le garant ordinaire de la confession est le prêtre, il n’est pas a fortiori le seul dépositaire du pouvoir de l’absolution des péchés. Selon l’avis général des théologiens - tels Guillaume d’Auvergne, Alexandre de Halès, saint Bonaventure - les péchés mortels doivent nécessairement être avoués au prêtre. Hugues adopte cette position et dans sa Postille il interprète un passage de l’Epître de Jacques en ce sens : les péchés graves ne peuvent être absous que par les seuls prêtres. 949 Quant aux péchés véniels, Hugues partage la conviction de la plupart de ses contemporains: si l’obligation de la confession ne porte pas sur les péchés véniels, il est cependant louable d’accuser ces fautes légères. Par ailleurs, ajoute-t-il, elles peuvent revêtir la forme d’un aveu mutuel, comme dans la confession générale effectuée à prime et à complies. 950 En ce qui concerne la question importante à savoir si la confession peut être faite à un diacre ou un laïc – acte que nombre de théologiens de l’époque ont approuvé – Hugues est moins explicite, il ne semble l’accepter qu’en cas de nécessité. 951 Pour expliquer sa position, il utilise la distinction entre materia et forma : «puisque l’absolution est la forme du sacrement, la confession aux laïcs n’en est pas un, mais uniquement la confession au prêtre,» déclare-t-il. 952 Cette manière d’appliquer à la pénitence la dichotomie de matière et de forme influence encore - comme nous avons vu plus haut - la théologie actuelle de ce sacrement.
Notons enfin que Hugues semble être le dernier à admettre des exceptions au secret confessionnel : il estime que «le prêtre peut révéler le contenu de la confession de quelqu’un qui s’accuse d’hérésie et qui reste dangereux pour beaucoup de fidèles». 953
Cette même volonté d’enseigner la pratique de la pénitence aux fidèles ressort des sermons de Hugues que nous étudierons plus loin.
Dictionnaire de théologie catholique, op. cit. t. XII. c. 1140. Notons que dès le XIIIe siècle la fonction du cardinal pénitencier était multiple et importante. Il pouvait entre autres »absoudre des fautes et censures réservées au pape, annuler les sentences illégales ou injustes, dispenser des irrégularités et des empêchements de mariage, commuer les vœux et en renvoyer l’exécution, concéder des privilèges, expédier des indults et des faveurs et réduire les pénitences imposées par les confesseurs ordinaires.» (Op. cit. t. XII. c. 1140) De plus, le pénitencier pouvait émettre des indults particuliers, appelés litterae confessionales ou confessionalia, qui permettait à un fidèle de se choisir un confesseur à son gré, autre que le curé de sa paroisse, ou encore il pouvait accorder l’absolution de tous les péchés (plena remissio omnium culparum et poenarum). (Ibidem).
Sur la pénitencerie apostiloque, voir: L. Schmugge et alia, Die Supplikenregister der päpstlichen Pönitentiarie aus der Zeit Pius II. (1458-1464), Tübingen ; 1996. Voir en particulier: p. 8-11 (Die aufgaben der Pönitentiarie) et p. 11-22 (Das Personal der Pönitentiarie).
Sur la confession au XIIIe siècle, voir: L'Aveu. Antiquité et Moyen Age. Actes de la table ronde organisée par l'Ecole fançaise de Rome avec le concours du CNRS et de l'Université de Trieste, Rome 28-30 mars 1984, Ecole Française de Rome (88), 1986. Voir aussi: Pratiques de la confession. Des Péres du désert à Vatican II. Quinze études d'histoire, Les éditions du Cerf, Paris, 1983; voir en particulier: N. Bériou, Autour de Latran IV (1215): La naissance de la confession moderne et sa diffusion, p. 73-93.
Il s’agit de la péricope “ Paenitentiam agite ” (Mt. IV. 17), parole du Christ justifiant le précepte de la confession. (Dict. de théol. cath. op. cit. t. XII. c. 957)
Op. cit. t. XII. c. 961.
«… melius potest dici quia sicut sacramentum baptismi efficit iustificationem in baptizato quantum in se est, ita sacramentum pententie quantum in se est efficit contritionem vel augmentat, virtute enim confessionis cum absolutione sacerdotis et satisfactionis cum iniunctione datur vel augetur dolor vel detestatio peccati, et datur vel augetur gratia, qua de attritione fit contritio, et ita patet quod confessio et satisfactio prout sunt sacramentum priora sunt contritione, prout contritio res est sacramentalis…» (A. Vanneste, La théologie de la pénitence chez quelques maîtres parisiens de la première moitié du XIIIe siècle, In. Ephemerides Theologicae Lovaniensis XXVIII (1952), p. 24-58, p. 36 et 57.)
A. Vanneste, La théologie de la pénitence, art. cit. p. 36-37.
Voici le texte de Jac. V. 16 : «Confitemini ergo alterutrum peccata vestra, et orate pro invicem ut salvemini, multum enim valet deprecatio justi assidua…» que Hugues commente comme suit : «Si de mortali, tunc est praeceptum et sic legitur littera ‘alterutrum’ id est alter alteri, id est homo homini, et non coaequali, sed majori, scilicet sacerdoti, et secundum hoc dicit glossa una : gravioris leprae immunditiam sacerdoti pandamus.» (Dict. de théol. cath. c. 962)
«Si de venialibus, tunc est consilium et secundum hoc, dicit interlinearis : coaequalibus levia et cotidiana. Et tunc loquitur de generali confessione quae fit in prima et completorio_ ; ubi tamen consuetudo Ecclesiae vel institutio ligat ad illam generalem confessionem, non potest omitti nec debet sine offensa.» (Dict. de théol. cath. t. XII. c. 964.)
Op. cit. t. XII. c. 965-66.
« […] Unde sicut in baptismo elementum est materia, sacramentum et verbum forma et perfectio, nec elementum sine verbo, nec verbum sine elemento est perfectum sacramentum ita confessio et satisfactio sunt materia sacramenti, nec confessio sine absolutione, nec satisfactio sine iniunctione est sacramantum, vel converso.» In. A. Vanneste, La théologie de la pénitence chez quelques maîtres parisiens de la première moitié de la XIIIe siècle, art. cit. p. 34.
Ces idées se retrouvent encore dans la Filia Magistri qui s’inspire fortement des commentaires de Hugues. (A. Vanneste, La théologie de la pénitence, art. cit. p. 56.)