Dans les pages qui suivant, nous examinerons les idées théologiques de Hugues dans ses sermons. Sans anticiper, nous pouvons constater qu’il s’agit d’un sujet de prédilection de l’auteur et que l’on retrouve une grande partie de ses idées théologiques dans sa collection de sermons.
Hugues rappelle que rejeter le péché et faire le bien demande une décision ferme et un acte délibéré : l’homme doit regretter d’avoir commis des péchés, il doit les avouer à son confesseur, enfin, il faut qu’il décide de les remplacer à l’avenir par les bonnes actions. Ce processus, la pénitence, est le sujet le plus répandu des sermons. En effet, nous sommes frappé par le nombre des occurrences : l’idée de la pénitence resurgit dans une grande partie du sermonnaire. 954
Notons que la présence massive de la pénitence dans les sermons n’est nullement une surprise et encore moins un hasard. Comme nous avons vu, à la suite de la décision du concile de Latran IV, les statuts synodaux du XIIIe siècle contiennent de longs passages sur la pénitence ce qui prouve le souci du clergé à l’égard de la repentance des fidèles. 955 A titre d’exemple, le chapitre «De sacramento penitentie» des statuts synodaux de Guiard de Laon,évêque de Cambrai commence par un ordre donné au clergé afin que ces derniers exhortent les fidèles à confesser régulièrement. 956 Selon un statut, dès la fête de la Purification de la Vierge, les prêtres devaient encourager leurs paroissiens âgés de quatorze ans ou plus de confesser avant les Pâques, et si quelqu’un refusait de remplir ses obligations, son nom devait être rapporté à l’évêque. 957
Nous ressentons cette même détermination en lisant les exhortations à la confession de Hugues de Saint-Cher. Il faut faire pénitence sans différer le moment de la repentance, déclare Hugues. 958 Dans le sermon Gaudium erit angelus Dei (Lc. XV. 10), Hugues donne les cinq raisons pour lesquelles il faut faire pénitence : Pour rendre les anges joyeux ; pour réconcilier Dieu à cause de ses péchés ; afin d’être utile pour soi-même et pour son prochain ; pour faire de la nécessité une vertu; enfin, pour éviter une grande peine par une peine moindre. 959 Quant aux raisons pour lesquelles l'homme doit faire pénitence, une distinction apprend qu’il faut se confesser pour trois raisons : pour que le diable soit attristé ; pour que l'homme soit libéré; enfin pour que l'homme soit réconcilié avec Dieu. 960
Selon l’auteur, si les gens ne confessent pas leurs péchés, c’est pour trois raisons : d’abord, parce qu’ils ont peur de récidiver, ensuite, parce qu’ils croient que la miséricorde de Dieu est inépuisable, finalement, parce qu’ils ont perdu l’espoir d’être pardonnés. Or, on peut enlever toutes ces objections, affirme le prédicateur, qui propose des arguments afin de combattre ces idées fausses. 961 Hugues précise aussi que certaines circonstances de la vie humaine peuvent inciter l’homme à la pénitence : ainsi, une maladie grave ou l’approche de la mort encouragent le pécheur à la repentance aussi bien que les tribulations subies ou la perte des biens temporels. 962
La pénitence est un processus complexe qui contient plusieurs étapes. Les statuts synodaux déclarent que les fidèles souhaitant se confesser doivent d’abord examiner scrupuleusement leur cœur et penser avec douleur à leurs péchés. 963 Or, cet examen du cœur est la première étape de la pénitence suivie par la confession orale, ainsi que par l’accomplissement des œuvres charitables. En effet, ces trois piliers de la pénitence – cordis contrictio, oris confessio, operis satisfactio – figurent dans une longue série de sermons. 964
Notons que Hugues utilise des images expressives pour illustrer la repentance des fidèles: il compare les différentes étapes de la pénitence à l'accouchement; de même, il compare la teinte rouge de la joue, signe de la pudeur au moment de la confession, au couleur du ciel au petit matin (signe du début du jour); ou encore il compare cette rougeur au fer rougi au feu qui perd sa rouille. 965
Quant à la confession de bouche, l’auteur des sermons aborde longuement cette question. Il déclare qu’il faut confesser ses péchés librement – non pas contraint par la maladie – rapidement et avec persévérance. 966 De même, Hugues regroupe les conditions que la confession doit remplir afin qu’elle soit acceptée : «Multa exiguntur ad hoc quod sit confessio vera : Sit simplex, humilis, pura, fidelis, vera, frequens, nuda, discreta, libens, verecunda, integra, secreta, lacrimabilis, accelerata, fortis, accusans, et sic parere parata.» 967 L’auteur déclare que le pécheur doit craindre la mort, s’il ne s’est pas confessé convenablement (pure), car il peut y avoir quelques péchés qu’il ne connaît pas en soi. De même, il court le même risque s’il n’a pas fait la pénitence qui lui est infligée ou s’il se plaint de la difficulté de la peine. 968 Hugues mentionne aussi le cas des pécheurs invétérés, il décrit la démarche obligatoire du confesseur envers le pécheur qui retombe sans cesse dans la même erreur : ce pécheur doit se confesser de nouveau de ses péchés, ou - dans le cas d’un péché grave - le confesseur doit l’envoyer à l’évêque. 969
Hugues souligne régulièrement qu’il ne suffit pas d’avoir la contrition du cœur et de faire une confession de la bouche, encore faut-il accomplir de bonnes actions. 970 Ces œuvres charitables peuvent être accomplies de différentes manières : les trois formes sont la largesse des dons ou l’aumône; la mortification de la chair, autrement dit le jeûne; et la prière, auxquelles Hugues ajoute parfois l'écoute de la prédication. 971 Quant au châtiment du corps, Hugues est d’avis que la mortification de la chair (maceratio) est recommandé, mais sans ostentation et avec joie; de même il prévient qu’il faut jeûner raisonnablement. 972
A titre d’exemple, on retrouve la pénitence dans les sermons 2, 5, 7, 9, 11, 14, 15, 16, 17, 19, 20… et la liste serait longue : la pénitence est mentionnée dans plus de la moitié des 126 sermons. Quant à la répartition de ces sermons, d'une part, nous constatons leur régularité tout au cours de l'annéd; d'autre part, nous observons que ce sujet est traité plus amplement en période de Carême, en particulier à l'approche de Pâques, lorque les sermons sont consacrés entièrement à la pénitence. (Voir les sermons 35, 37, 38, 39, 40.) En revanche, il n'y a pas de période où l'invitation à la pénitence serait atténuée par rapport à l'ensemble de l'année.
Voir par exemple les statuts synodaux de Cambrai, In. J. Avril (éd), Les Statuts synodaux français, tome IV, op. cit, p. 33-37.
«De sacramento penitentie. Sacerdotes frequenter moneant subditos suos et etiam injungant in penitentiam ut sepe veniant ad confessionem…» In. J. Avril (éd), Les Stauts, t. IV, p. 33. Datant de 1288, cette disposition est l'écho d'un statut de Paris antiérieur. («Frequenter presbyteri moneant ad confessionem; et precipue ab initio quadragesime instanter procipiant venire generaliter ad confessionem.», Statut de Paris, can. 36a. (O. Pontal (éd.), Les statuts, I. p. 64.)
«Presbiteri parochianos suos moneant frequenter a festo Purificationis beate Marie, omnes quatuordecim annis et supra, ut veniant ad confessionem ante Pascha Floridum, et qui in hoc negligentes fuerint, per octavas Pasche a carnalibus abstinebunt et jejunabunt sicut in Quadragesima.» In. J. Avril (éd), Les Statuts, t. IV, op. cit. p. 36. (Cette disposition date de 1288, mais une idée semblable est expimée dans le canon 8 des statuts de Paris en 1219-24. (voir: Statut. I. p. 100-102.) Sur le deuxième point : «Item, diligenter attendant sacerdotes quin parochiani sui non veniant semel in anno ad confessionem et nomina eorum referant ad episcopum.» Op. cit. p. 37. (Datant de 1288, ce précepte se retouvent dans plusieurs actes antérieurs. Voir: Ibidem, p. 37, n. 76.)
Sermons (16,1), (31,2) et (88,3).
«Nota quod multis de causis debemus agere penitentiam: - Ut angelos letificemus. […] - Ut de peccatis nostris Deo satisfaciamus. […] - Ut nobis et proximis proficiamus. […] - Ut de necessitate virtutem faciamus. […] - Ut maiorem penam minori vitemus. Eccli. II. (22), Si penitentiam non egerimus, etc. Legitur in Exo. IIII. (3), quod cum Moyses proicetur virgam quam tenebat in manu in terram, virga conversa fuit in colubrum. Postea cum apprehederet caudam eius, versus est coluber in virgam. Per virgam penitentiam intelligimus temporalem, quam si proicimus, vertitur in colubrum, id est in penam eternam, set si postea eam reaccipiamus, coluber, id est pena eterna, convertitur in virgam, id est penam temporalem, ut post laborem requiem habeamus.» (66,1).
«Simus ergo Iudei pure et discrete peccata confitendo, quod quilibet debet facere propter tria, scilicet: - Primo ut inde diabolus contristetur. […] - Secundo ut a gravi honere liberetur. Bonus mercator cum se vel summarium suum videt nimis honeratum. Non solum solvit, set etiam cito ligamina rumpit, ne cum pondere ad terram cadat. Dissolvatur ergo fasciculus peccatorum, quia non solum in terram, sed etiam in inferno cadere facit. Item mercator honeratus, quo loco cum fasciculo sit iturus precogitat. Sic peccator debet facere. […] - Tertio ut sic Domino reconcilietur. Lc. XV. (22), de filio prodigo qui dixit: Pater, peccavi in celum, etc. Gene. XLV. (1), Legitur quod cum Iudas retulisset fratri suo, Ioseph, per omnia ordinem et que et quanta passus esset ipse et fratres eius, licet Ioseph primo se non esse fratrem eorum ostenderet, commota sunt viscera eius super fratres suos et amplexatus est omnes. Ioseph interpretatur augmentum et significat Christum a quo habemus augmentum virtutum et bonorum operum. Iste ergo Ioseph, id est Christus, cum vidit Iudam, id est hominem pure peccata sua confitentem, amplexatur eum per gratiam. Et nota quod Ioseph multa dedit Iude et fratribus, sic et Christus multa dabit confitenti peccata sua et eius consimilibus. Item Ioseph recepit Iudam et fratres eius in terra sua. Sic faciet Christus: confitentes recipiet in terra viventi.» (38,2).
«Sequitur. Et solutum est vinculum lingue eius. Notandum quod tria sunt vincula que ligant linguam peccatoris, ne peccata confiteatur. Set quodlibet vinculum tripliciter solvitur : Primum vinculum est timor recidivandi. Vinculum istud solvunt tria, si bene considerentur : - Hostis debilitas. Diabolus enim facit sicut carnifer, qui proicit bladum ante porcum ut incurvando se ad bladum interficiatur. Incurvare, scilicet ad temporalium amorem. Diabolus enim est sicut latro calidus qui ponit in via ut illi qui expectant, ad illum descendant et sic capiantur. [..] - Sanctorum societas. Peccator enim, dum erat in peccatis, solus erat, set post conversionem associetatur excercitu omnium sanctorum, vel iustorum qui sunt in Ecclesia, et omnium angelorum qui sunt in celo. […] - Auxilii Dei securitas.[…] Secundum vinculum est presumpcio de misericordia Dei. Vinculum istud solvunt tria si bene consideretur : - Iustitie Dei inflexibilitas. […] - Post peccatoris expectationem, Dei severitas. […] - Divine comminationis asperitas. […] Tertium vinculum est desperatio remissionis. Vinculum istud solvit triplex Dei misericordia : - Prima est quia ad penitentiam diutius expectat. […] 2. Secunda est quia penitenti misericorditer condonat. […] - Tertia est quia quiescentes a peccato misericorditer salvat.»(88,3).
Sermons (98,1) et (104,2). Ailleurs, Hugues affirme que pour faire pénitence l'homme a besoin de cinq choses, telles : la parole de Dieu, la mémoire de la mort, la peur du jugement, la douleur ressentie à cause de nos péchés et l’accomplissement des œuvres. (124,1).
«Sacerdotes frequenter moneant subditos suos et etiam injungant in penitentiam ut sepe veniant ad confessionem, et, antequam veniant, diligenter scrutentur corda sua et peccata sua apud se rememorent cum dolore et simplici vultu veniant ad confessionem cum timore quasi ad judicium Dei.» J. Avril (éd), Les Statuts, op. cit. p. 33._
Sermons (9,1), (11,3-4), (16,1), (17,3), (20,3), (39,1-5), (68,1), (75,4), (79,2), (93,4), (100,2), (111,1) et (112,2). Sur les trois moments de la pénitence (contition, confession, satisfaction) voir: C. Casagrande et S. Vecchio, Les péchés de la langue, op. cit. p. 137-143. Parfois, Hugues fait appel aux trois membres du corps - le cœur, la bouche et la main - pour symboliser les trois étapes de la pénitence. (37,5) et (75,4).
Sur l'accouchement: «… Ysa. XXVI. (18), A facie tua, Domine, concepimus et parturivimus, et peperimus spiritum salutis. Ecce quod impugnat animam, scilicet facies Domini. A facie Domini enim morientis in cruce concepit timorem. Unde alia translatio habet : A timore tua, Domine, concepimus, etc. Et bene dicit ‘concepimus’, mulier enim a conceptu incipit infirmari, et fastidit, dico, cibaria que prius diligebat. Sic et omnis peccator : postquam timorem concepit fit ad malum debilis et vitia que prius solebat diligere, fastidit more parturientis, clamat per confessionem, et in doloribus contrictionis parit spiritum salutis, id est sipiritum salutem eternam prestantem. Iob. XXIII. (15), A facie Domini turbatus, bona scilicet turbatione, et considerans eum, scilicet pro peccatis nostris crucifixum, timore sollicitor.» (89,1). Sur la pudeur au moment de la conffession: «Preterea homo cum verecundatur melius coloratur in facie, sic et pudor confessionis colorat animam peccatoris. Cant. II. (14), Sonet vox tua, etc, et postea (II. 14): et facies tua decora. Item rubor in vespere signum est serenitatis matutine. Per vesperam finem peccati intellige, cuius rubor facit invenire claritatem eternam. Item ferrum cum rubet perdit rubiginem, sic in rubore confessionis perdit rubiginem peccati.» (35,2).
(93,1).
(39,3). Notons que le Tranctatus de confessione attribué fautivement à Hugues de Saint-Cher traite des mêmes propriétés requises.
(78,2). Hugues se plaint de ceux qui, refusant la peine sévère, voulant laver leurs péchés par une pénitence légère: «Iob. II. (8), qui sedens in sterquilinio, testa saniem radebat. Peccator enim debet sedere in sterquilinio per recordationem preterite immunditie, et debet testa saniem radere, id est fluxum immunditiarum dura et aspera penitentia tergere. Multi enim vellent non testa, set lintheo tergi, ut sunt illi qui per levem penitentiam credunt peccata deleri. Certe, ideo Christus resurgens ex mortuis suum nobis reliquit sudarium, ut in labore penitentie sudores nostros hoc tergentes sudario, non simus fatigati, set semper recentes et validi.» (99,2)._
Néanmoins, Hugues est conscient que l’homme n’a pas toujours la possibilité d’accomplir ces œuvres charitables: «… si tamen habeat locum et tempus operandi…», écrit-il dans les sermons (11,3) et (34,2).
Sermons (15,7), (19,4), (20,3), (39, 4-6) et (106,2). Ailleurs, Hugues précise les sept étapes de la repentance : «Peccati cognitio, peccati abhominatio, peccati recogitatio, cordis contritio, oris cofessio, operis satisfactio, perseverentia in bono.» (14,4) Dans un autre sermon, Hugues désigne pratiquement les mêmes stades : «peccati cognitio, peccati abhominatio, cordis contrictio, oris confessio, operis satisfactio, sensuum cohabitatio, perseveretia in bono..» (111,1). Ailleurs, Hugues détaille les six étapes nécessaires pour se purifier des péchés : «cordis compunctio, oris confessio, carnis maceratio, elemosinarum largitio, pura oratio, predicationis sancte exauditio.» (19,4). Sur l'enseignement de Hugues au sujet de la prédication, voir le chapitre 6.
«Notandum quod ieiunare debemus: - Rationabiliter, ut caro tamen nutriatur. […] - Prudenter. Vult Dominus ut non a nimietate debiles fiant, et post me dicorum suffragia requirant. […] - Hylariter ut elatio caveatur. […] - Frugaliter ut pauper reficiatur. […]» (39,4). De même, nous lisons dans le même sermon: «Commendatur autem ieiunium - A loco: quia in Paradiso fuit institutum. - Ab auctore: quia a Domino fuit institutum. De hiis: Gene. II. (16). Et postea sanctificatum cum ieiunavit XL diebus et XL noctibus, Mt. IIII. (2). - A tempore: quia ante peccatum priusquam, scilicet homo peccaret, Gene. II. (16). Nota etiam quod ieiunium valet ad multa, scilicet […]» (39,4). Voir aussi: (43,1) et (106,2).