a) Métaphores et distinctions communes

Pour ce qui est des images de l’Eglise, on constate qu'elle n'est point comparée aux membres du corps humain - procédé pourtant répandu à l’époque ; en revanche, nous trouvons dans le sermonnaire un rapprochement entre l’Eglise et la «cité», rapprochement déduit de la lecture de l’Ecriture par le procédé de la glose 973 ; ailleurs, la figure de l’Eglise apparaît sous les traits de la mère endeuillée : dans le sermon Ecce defunctus efferebatur (Lc. VII. 12), l'auteur précise que l’Eglise déplore, comme une mère, tous ses fils défunts et prie Dieu en versant des larmes pour tous ceux qui meurent dans la foi. 974 Il s’agit ici de l’Eglise en tant que communauté, comprise dans sa fonction d'intercesseur et limitée aux seuls «croyants» (ceux qui ne meurent pas dans la foi ne peuvent bénéficier de cette prière), à ceux qui veulent obtenir de la miséricorde de Dieu l’entrée de leur âme au paradis.

Dans le sermonnaire de Hugues de Saint-Cher, nous retrouvons la distinction répandue au début du XIIIe siècle entre Eglise militante et Eglise triomphante. 975 Le fait que l’auteur se contente simplement de mentionner ces deux   termes, sans explication, suggère une familiarité supposée de ses lecteurs avec cette  distinction. 976

Deux typologies ternaires plus anciennes sont aussi présentes dans son recueil. Selon la distinction augustinienne, la société ecclésiale se divise en trois catégories : clercs, moines et fidèles mariés, qui correspondent, dès le XIIe siècle, aux termes plus répandus : prélats, contemplatifs et actifs. 977 Hugues fait usage de cette dernière distinction dans son sermon Ascendens Iesus in naviculam (Mt. IX. 1), en recourant aux termes «époux, prélats et contemplatifs». Pour accéder à la Jérusalem céleste il faut, affirme l’auteur, traverser la mer de la vie. Or, certains traversent cette mer à la nage, tels les époux, d’autres en navire, comme les prélats, d’autres encore en volant, tels les contemplatifs. Ces trois états de l'humanité sont personnifiés par les figures bibliques de Job, Noé et Daniel. 978

L’autre classification, au regard des états spirituels de perfection, distingue les conjoints des continents et des vierges, ou plus communément au XIIIe siècle, les gens mariés des veufs et des veuves ainsi que des vierges, comme on le trouve dans un sermon de Hugues de Saint-Cher pour l’épiphanie sur le thème Apertis thesauris (Mt. II. 11). 979 Par l’interprétation des trois types d’offrandes apportées par les mages au divin enfant, Hugues de Saint-Cher recommande à chaque catégorie les devoirs propres à son état : l’aumône pour les gens mariés (l’or), la prière pour les vierges (encens) et la mortification de la chair pour les veuves (myrrhe) - dans un glissement significatif du mot au féminin.

Notons derechef qu'il s'agit d'occurrences relativement rares, qui ne servent jamais à structurer un sermon entier. De même, alors que de toutes les catégories jusqu’à présent mentionnées celles des prélats et des clercs sont souvent évoquées dans nos textes, tantôt séparément tantôt ensemble, on ne trouve pas une seule mention de laïcs. Ainsi, le jugement sommaire du XIIIe siècle attribuant aux laïcs les vices de l’avarice et de la luxure n'est pas explicite chez Hugues. 980 Néanmoins, lorsqu'il traite de ces vices «majeurs» sans spécifier la catégorie de gens ciblée, on peut penser qu’il inclut les laïcs dans le public auquel s'adressent ses propos.

Notes
973.

«Sequitur. Leprosus. Lepra peccatum mortale significat multis de causis: [...] - Septimo quia extra civitatem, id est Ecclesiam, eicitur.» (20,2). Sur l'Eglise corps, voir: N. Bériou, L'avènement des maîtres de la Parole, op. cit. p. 342-348.

974.

«Matris sue, id est ecclesie, per compassionem, que filium suum deplorat, quia pro quolibet spirituali defuncto lacrimabiliter ad Deum orat.» (97,6).

975.

«Dicite filie Syon, quasi dicat Deus Pater: O vos prophete et predicatores, Dicite filie Syon, id est ecclesie militanti, filie ecclesie triumphantis vel unicuique fideli anime que dicitur filia Syon, quia a spiritualibus hostiis debet sibi providere, et quid dicant subiungit.» ( 1,1).

976.

L'Eglise militante et l'Eglise triomphante étaient distinguées entre autres dans les sermons de Jacques de Vitry, de Raoul de Châteauroux, de Gérard de Reims et de Gilles d'Orléans. (N. Bériou, L’avènement des maîtres de la Parole. La prédication à Paris au XIIIe siècle, vol. I, IEA, Paris, 1988, p. 348-350; voir aussi: p. 348-355.)

977.

G. Folliet, Les trois catégories de chrétiens. Survie d’un thème augustinien. In. Année théologique augustinienne, 1954, p. 81-96; cité d’après N. Bériou, L’avènement des maîtres de la Parole, op. cit. p. 313. Sur la représentation des clercs et des moines dans les sermons, voir: Id, L’avènement des maîtres de la Parole, op. cit. vol. I. p. 313-330. Voir aussi: J. Longère, Oeuvres oratoires de maîtres parisiens au XIIe siècle, op. cit. t. I. p. 357-390.

978.

«Si ascenderimus per naviculam istam, scilicet penitentiam, perveniemus per mare huiusmodi navigando in civitatem nostram, scilicet celestem Ierusalem. Set nota quod mare istud transeunt : - Quidam natando ut coniugati qui significantur per Iob. - Quidam navigando ut prelati qui significatur per Noe. - Quidam volando ut contemplativi qui significantur per Danielem.» (103,6).

979.

“ Vel aliter. Apertis thesauris suis, etc, quasi dicat: Domine, rex regum et Dominus dominantium, tu exposuisti hodie regnum tuum ut sancta ecclesia cantat: “Ecce venit dominator Dominus et regnum in manu eius“, et ideo nos tibi tria attulimus, scilicet aurum, thus et mirram, scientes quod tribus modis adquiritur regnum tuum, scilicet: - Emendo a pauperibus quorum est: Mt. V. (3), Beati pauperes spiritu, etc, et quod Deo attulimus aurum. Hoc pertinet ad coniugatos qui de melioribus debent dare pauperibus. [...] - Furando orationibus et ideo attulimus thus per quod oratio designatur. Hoc pertinet ad virgines. Maria enim quasi furabatur (P2: vel emebat), quando quasi nichil agens, ad pedes Domini sedebat et verbis eius spiritualiter deficiebat (P2: vel fluebat) ut habetur in Luc. X. (39). Cant. V. (6), Anima mea liquefacta est. - Rapiendo. Scilicet ieiuniis, vigiliis et afflictionibus et ideo attulimus mirram per quam carnis maceratio intelligitur. Hoc pertinet ad viduam: Mt XI. (12), Regnum celorum vim patitur et violenter rapitur illud. Martha enim quasi rapiebat circa frequens ministerium satagens, ut habemus in Luc. X. (40). ” (15,7).

980.

Tels était le jugement de Prévostin de Crémone qui a écrit: “ [...] ordo laicorum, qui pene totus deditus est avaritie et luxurie. ” Prepositius Cremona, Nolite me vocare Noemi, Paris, Arsenal 543, f. 226rb, In. J. Longère, Oeuvres oratoires, op. cit, t. II. p. 306, note 12.