b) Prélats, clercs et religieux

Dans le recueil de Hugues de Saint-Cher, les clercs sont souvent évoqués pour dénoncer leur comportement répréhensible. Ainsi, dans le sermon Ite in castellum (Mt. XXI. 2) l’auteur fustige leur incurie. Il affirme que leur devoir est de libérer le pécheur du lien diabolique et de le conduire vers Jésus - comme on conduit la bête par le licou - en l’exhortant et en le réprimandant souvent. Or, ajoute-t-il, Jésus trouve à peine une poule, c’est-à-dire un prélat, pour garder ses poussins, autrement dit ses fidèles. 981 Une position similaire se reflète dans l’homélie Homo quidam erat dives (Lc. XVI. 1) : Hugues y fustige les prélats riches en formulant une remarque personnelle, phénomène relativement rare du sermonnaire : «Sûrement, ceux qui ont l’éloquence et la sagesse deviennent dévorateurs dès qu’ils ont le pouvoir, comme cela est le cas des prélats de l’Eglise.» 982 Dans un autre sermon (Dicite filie Sion, Mt. XXI. 5), Hugues traite de l’humilité en opposant les prélats montés à cheval au Christ entrant dans Jérusalem sur le dos d'un âne 983 : la quête de la richesse et - en général - l’attachement aux biens temporels sont les principaux défauts des ecclésiastiques. Les docteurs et les prêtres, écrit Hugues, sont des étoiles qui réduisent leur lumière s’ils prêchent rarement, se comportent mal parmi les hommes, aiment trop les biens temporels ou estiment trop les vêtements précieux. 984

Ces critiques acerbes sont à la mesure de l’idéal élevé que Hugues de Saint-Cher tente d’inculquer aux clercs chargés d’âmes, et entrent parfaitement dans la ligne de la réforme de l’Eglise instituée par les conciles de Latran III et de Latran IV. Pour ce faire, Hugues utilise des images, comparant les prêtres à leur prochain, à des avocats et à des médecins. 985 Il explique aussi leur rôle de confesseurs en recourant au langage juridique : ainsi dans le sermon Simile est regnum celorum (Mt. XVIII. 23) où il affirme que Jésus a désigné des vicaires - les prélats et les chapelains - pour entendre la cause de l'humanité. 986 Le terme de cappellanus semble être ici l’équivalent de proprius sacerdos ou de curatus, si du moins on rapproche ce passage de celui du sermon 110, où Hugues de Saint-Cher commente le passage évangélique de l’officier du roi priant Jésus de guérir son fils malade (Erat quidam regulus, Io. IV. 46) : dans son interprétation, il voit en cet officier le capellanus qui supplie Dieu de guérir ses paroissiens. 987

Soulignons également la prise de position ferme de Hugues de Saint-Cher en faveur de la dîme, car tous les frères mendiants ne l’ont pas partagé. Les clercs peuvent à juste titre exiger un soutien financier de leurs fidèles, la dîme, dont chacun doit dûment s’acquitter. Dans le sermon Decimas do omnium (Luc. XVIII. 12), Hugues recense les différentes raisons pour lesquelles il faut payer la dîme intégralement et fidèlement. Ainsi, le fidèle doit se soumettre à cette obligation pour ne pas contredire la volonté de Dieu, car non seulement celui qui retient la dîme commet un péché, mais aussi celui qui la règle en retard. Il faut également payer la dîme pour ne pas empêcher l’office divin de s'accomplir et ne pas crucifier une deuxième fois le Christ. De même, on doit faire cette offrande pour ne pas souffrir les pénuries de ce monde. Car si la dîme n’est pas réglée, le fauteur subira une disette. Plus grave, en retenant la dîme, le fidèle commet un sacrilège car, si tromper son ami est un vol (furtum), tromper l’Eglise est un sacrilège. De même, régler cette dette envers l’Eglise permet aux fidèles non seulement de se soustraire à la damnation éternelle, mais aussi de se préserver le royaume de Dieu. En somme, pour Hugues, la dîme est quasiment le cens payé pour l’héritage éternel. 988    

La discrétion de Hugues de Saint-Cher au sujet des religieux - discrétion d’autant plus frappante qu’il appartient lui-même à un ordre religieux - contraste avec les nombreuses réflexions qu'il fait sur les clercs séculiers. Les rares occasions qu’il saisit pour évoquer les premiers sont pour rappeler leurs obligations et leurs nécessaires conditions de vie. Ainsi, dans le sermon Voca operarios (Mt. XX. 8), il remarque que les religieux ont souvent peur de la pauvreté, de la frugalité de leur nourriture et de la simplicité de leurs vêtements. 989 Hugues semble insister sur le deuxième point, la frugalité, précepte qu’il étend à tous les hommes d’Eglise. De fait, pour traiter de l’utilité du jeûne, Hugues cite un passage du livre de Daniel (Dan. I. 15) où celui-ci relate son histoire et celle de trois enfants : ne mangeant que du pain et des légumes et ne buvant que de l’eau, ils eurent au bout de dix jours meilleur visage que les jeunes gens qui mangeaient les mets du roi. A l’exemple du prophète, précise Hugues, les religieux et les clercs séculiers doivent manger du pain et des légumes et boire de l’eau. 990

Notes
981.

“ Sequitur. Adducite mihi. Sacerdos enim postquam solvit peccatorem a vinculis sathane et quasi iumentum per capistrum duxerit ad Iesum fequenter monendo et exhortando ad penitentiam. Set hodie sacerdotes nostri facti sunt velud structio. […] Vix potest Christus hodie invenire unam gallinam, id est unum prelatum, qui infirmetur super pullos suos, set velud structio multi sunt qui nulla compassione commoventur super filios suos, id est sibi subditos. ” (42,5).

982.

“ Certe, qui eloquentiam habent et sapientiam ad hoc tendunt ut, facti superiores, aliorum sint devoratores, ut patet in prelatis ecclesiarum. ” (77,2).

983.

“ Quintum est humilitas Christi quod notatur cum dicitur: Sedens super asinam, etc. Quasi dicat: non super equm sicut faciunt hodie multi. Bernardus: “Erubescant prelati nostri temporis in curribus et in equis. Cum rex celorum non legatur equitasse, set potius semel asinasse.“ Ad hanc humilitatem habendam monet nos Dominus dicens: Mt. XI. (29), Discite a me, etc. Simus ergo humiles, et hoc triplici de causa [...] ” (1,6)

984.

“ Sequitur. Et stellis. Stelle sunt doctores et sacerdotes in nocte huius mundi lucentes. Dan. XII. (3), Qui ad iusticiam erudiunt multos, fulgebunt quasi stelle in perpetuas eternitates. Baruch III. (34), Stelle dederunt lucem in custodiis suis, id est doctores et sacerdotes dederunt doctrinam subditis suis ad custodiendum commissis. In stellis igitur, id est doctoribus et prelatis ecclesie, est signum reprobationis iuxta auctoritatem Ioel. II. (10), quod stelle retraxerunt splendorem suum et hoc quadrupliciter: - Raro aut nunquam predicando.[…] - Male inter homines conversando. […] - Temporalia nimium diligendo. […] - Preciosas vestes nimium appetendo. Bernardus: “Querit ad induendum non quod utilius est set quod subtilius, vel quod frigus expellat, set quod superbire compellat.“ De talibus clericis potest dici Domino illud quod fuit dictum Iacob de filio suo Ioseph: Gen. XXXVII. (32), Vide utrum tunica filii tui sit, an non. Christus vero, verus Iacob, videns tunicam istam male disponitam et precedentem superbiam eiulando dicit (33): Fera pessima, id est superbia vite, devoravit filium meum Ioseph. Idem dicit Eccli. XI. a. (4), In vestitu ne glorieris. ” (3,3).

985.

“ Sacerdotibus :Consimilibus nostris. […] - Advocatis nostris. […] - Phisicis nostris. ” (93,3).

986.

“ Notandum est quod triplex est iuditium : - Discussionis quod est in presenti ante sacerdotem. Dominus enim de sola misericordia sua posuit nobis vicarios suos, scilicet prelatos et capellanos qui loco ipsius audirent causam nostram. […] - Adiudicationis quod erit in futuro quantum ad bonos. Quia hic in presenti se perfecte iudicaverunt, in iuditio discussionis. […] - Abiudicationis quod similiter erit in futuro quantum ad malos, qui in presenti se noluerunt iudicare et ideo eis abiudicabitur hereditas eterna. ” (112,2)

987.

«Set iste regulus, id est capellanus, roget Dominum ut sanet filium suum, id est parochianum suum, et sic saluabitur.» (110,3).

988.

«Dare ergo debemus decimas, et hoc multis de causis : Prima est ne voluntati divine contradicamus. Num. XVIII. (21), Filiis Levi dedi omnes decimas Israel in possessionem, pro ministerio quo serviunt michi in tabernaculo federis. Cum ergo Dominus dicat quod filiis Levi, per quos clerici intelligitur, dedit decimas, iniuriam facit clericis et divine voluntati resistit, qui decimas retinet, et non solum retentio decimarum, set etiam ipsa mora reddendi decimas videtur esse peccatum. Unde Dominus in Exo (XXII. 29) : Decimas tuas et primicias non tardabis offerre. Si ergo mora peccatum est, multo forcius nunquam reddere. Secunda est ne divinum officium impediamus. Tertia est ne Christum iterum quantum in nobis crucifigamus. Quarta est ne penuriam temporalem incurramus. Ysa. V. (10), Iugera vinearum facient lagunculam unam, et V. (10), Modii sementis facient modios tres. Iuger dicitur spatium terre quod potest arari a paria bovum. Mal. III. (9), In penuria maledicti estis, quasi dicat : quia non datis decimas et primicias pro ut debetis, defectum frugum habetis, et sic consequenter famem et penuriam patimini. Quinta est ne sacrilegium committamus. Ideo amicum rapere quippiam furtum est, Ecclesiam fraudare sacrilegium est. Sexta est ne perpetuam dampnationem incurramus. Septima est ne celestem patriam amittamus. Decima est quasi census quem pro hereditate eterna debemus. Qui ergo non reddiderit censum, perdet celestem agrum.» (83,1).

989.

“ Voca ergo, et hoc: [...] De vilitate ad honorem. Sap. V. (3), Hii sunt quos aliquando habuimus in derisum, etc. De hiis tribus membris Luc. XXII. (28), Vos estis qui permansistis mecum in temptationibus meis, et ego dispono vobis, sicut disposuit michi Pater meus, regnum, ecce primum, ut edatis et bibatis, ecce secundum, in regno meo, ecce tertium. Hec verba maxime solent confortare religiosos qui solent timere rerum paupertatem, ciborum asperitatem, vestimentorum vilitatem, etc. ” (25,1).

990.

“ Nota etiam quod ieiunium valet ad multa, scilicet: [...] - Ad corporalem et spiritualem pulcritudinem servandam. Dan. I. (15), dicitur quod Daniel et tres pueri qui cum ipso erant commederunt panem et legumen et biberunt aquam et inventi sunt pulcriores et corpulentiores pre omnibus pueris qui vescibantur cibo regio. Hoc etiam patet in religiosis et secularibus. ” (39,4).