Dès le XIIe siècle, le métier de marchand est souvent associé à des péchés d'état, tels la fraude, le mensonge et l'usage de faux, et ces dénonciations persistent au XIIIe siècle, par exemple dans un sermon d’Etienne de Castris qui - dix ans après la mort de Hugues de Saint-Cher - imputait le vice de la fraude aux marchands. 1036 Dans les sermons de Hugues de Saint-Cher, l'image du marchand sert, comme celle du médecin, à désigner Jésus lui-même qui effectue un geste de commerçant : soit il apporte aux hommes ses marchandises, soit il rachète l'humanité en payant des arrhes avant de régler le prix total. En effet, dans le sermon Ascendens Iesus in naviculam (Mt. IX. 1), Hugues de Saint-Cher compare le Christ à un marchand merveilleux qui a apporté dans ce monde “ les marchandises précieuses ” - sa déité et sa charité - dans le creux d’un navire, c'est-à-dire dans le sein de la Vierge Marie, lorsqu'il a assumé la pauvreté et l'affliction de la chair humaine au moment de l'incarnation. 1037 De même, dans le sermon Postquam consummati sunt (Lc. II. 21), c'est par une comparaison qu'est traduite la rédemption accomplie par Jésus : le jour de la circoncision, Jésus, le marchand, a payé des arrhes pour l'homme afin de verser la totalité du prix - tout son sang - au moment de la Passion. 1038
Dans un autre registre, le marchand figure le pécheur avisé qui préfère se confesser plutôt que de risquer d’aller en enfer. Dans le sermon Erat autem proximum Pascha (Io. VI. 4), Hugues de Saint-Cher recourt à deux observations successives sur le comportement des marchands pour donner du relief à son enseignement : le marchand, pour éviter sa chute sous un excès de poids, coupe les liens retenant le fardeau sur son dos ou sur celui de sa bête de somme, et quand il porte une charge, il réfléchit d’abord à sa destination. De même, le pécheur a tout intérêt à délier le fardeau de ses péchés par la confession, en étant bien conscient que pour tout pécheur la fin du voyage se trouve en enfer. 1039
Par rapport à celle du marchand, la figure de l'artisan est moins représentée dans les sermons : on n'en dénombre qu'une seule occurrence, elle aussi faisant partie d'une distinction. Dans le sermon Qui est ex Deo (Io. VIII. 47), Hugues déclare que l'homme est à Dieu au même titre que l'objet fabriqué appartient à l'artisan, que le cheval acheté appartient à son nouveau maître et que le domaine hérité du père appartient au fils. 1040
Voir: N. Bériou, L'avènement des maîtres de la Parole, op. cit. p. 294-295. Les sermons du XIIe siècle - comme ceux d'Honorius Augustodunensis, de Raoul Ardent et de Jacques de Vitry - attribuent souvent aux marchands des défauts, tels la fraude et le mensonge. (J. Longère, Œuvres oratoires de maîtres parisiens au XIIe siècle, op. cit. t. I. p. 406-407.)
« Ipse [Christus] enim mirabilis mercator fuit qui preciosas merces, id est ineffabilem deitatem, caritatem et huiusmodi in hac navicula, id est in beata Virgine, attulit merces preciosa ut paupertatem carnis afflictionem a nobis assumpsit. […] Facta est ergo beata Virgo quasi navis institoris, id est Christum de longe portans panem suum, quia longe ante predictum fuerat ipsam portare Christum, qui est panis vite et refectio nostra.» (103,3).
«Hodie enim tamquam mercator, arras nostre redemptionis persolvit, ut postea totum solveret. Hodie tamquam prima die anni in(strennavit) nos sanguine suo totum pro nobis postea (effusurus)». (14,1). Signalons l’étude de cette image du Christ marchand par David d’Avray (D. d'Avray, The Preaching of the Friars. Sermons diffused from Paris before 1300, Oxford, 1985, p. 208-211 et plus largement: le chapitre «Echoes of the market Economy», p. 204-216.)
«Congeries lignorum si ligetur, videtur parva. Si solvatur videtur magna et ideo dicit: Dissolve fasciculos. Sequitur (Isa. LVIII. 6): Solve fasciculos deprimentes. Bonus mercator cum se vel summarium suum videt nimis honeratum, non solum solvit, set etiam cito ligamina rumpit, ne cum pondere ad terram cadat. Dissolvatur ergo fasciculus peccatorum, quia non solum in terram, sed etiam in inferno cadere facit. Item mercator honeratus, quo _loco cum fasciculo sit iturus precogitat. Sic peccator debet facere. […] In infernum ergo ibit et ibi bene recipietur, set certe vix iret mercator ibi ubi se eternaliter capiendum sciret quod facit miser peccator.» (38,2).
«Qui est ex Deo, (Io. VIII. 47). Et quasi nota quod nos sumus Dei pluribus de causis, scilicet: - Iure artificii ut faber dicit cu(l)tellum suum esse eo quod ipsum fabricavit. Dominus fecit nos et non ipsi. Ephes. (II. 10), Ipsius factura sumus. - Iure empcionis ut est qui emit equm. Ideo dicit cum esse suum. I. Cor. VI. (20), Empti enim estis (pretio magno), etc. - Iure hereditatis ut cum quis hereditatem sibi a patre legatam dicit esse suam.» (41/b,1).