Conclusion générale

Les trois types d’engagement de Hugues de Saint-Cher - successivement étudiant, frère prêcheur et cardinal - se jouent dans trois milieux différents: l’université, le couvent et la curie romaine. Ces différentes activités se confondent et se recoupent souvent, déterminant ensemble chaque segment de la vie de Hugues de Saint-Cher que nous avons tenté de reconstituer dans la première partie.

Dans le second chapitre, nous avons recensé l'ensemble des œuvres du dominicain qui correspondent à certains égards aux différentes périodes de la carrière de celui-ci. Ces œuvres relèvent de trois domaines principaux: l’exégèse, la théologie et la prédication. Nous avons choisi de faire davantage porter l’accent sur une partie d'entre elles: les correctoires, les concordances et les postilles, car l'exégèse entretient une relation privilégiée avec le domaine de la prédication. Le commentaire biblique fut rédigé sous la direction de Hugues, et il eut un impact retentissant à l'époque ainsi qu'une audience durable: aussi avons-nous porté une attention particulière aux Postilles.

En tant que théologien, Hugues a proposé un certain nombre d’idées nouvelles, dont seule une partie a survécu aux longs débats du XIIIe siècle. Il a pris position sur de nombreuses questions théologiques, telles la nature du libre arbitre, la simplicité de l'âme, l'opposition des péchés et des vertus ou le trésor des mérites. En outre, il a adopté pour tous les sacrements le principe de la composition hylémorphique. Homme de son temps, Hugues était non seulement dans le mouvement le plus actuel de la pensée théologique, mais il s’est également engagé dans les débats d'actualité de son époque, ainsi dans celui sur la pluralité des bénéfices ecclésiastiques. Fruits de tentatives hésitantes, certaines de ses idées n’ont pas eu d’heureux lendemains. Sa réflexion et ses recherches se déroulent sur un fond traditionnel, les méthodes qu’il utilise relèvent de la philosophie augustinienne et témoignent souvent d'un   conservatisme à l'égard de la philosophie aristotélicienne. Si certains lui reprochent l'absence d'idées originales en matière de théologie, d'autres en revanche louent sa logique rigoureuse dans la présentation des thèses existantes.

Dans la troisième partie, nous avons présenté les sermons sur les évangiles des dimanches (Sermones de evangeliis dominicalibus) de Hugues de Saint-Cher. De même, nous avons passé en revue les sermons modèles de son époque et nous avons montré en quoi la production du frère dominicain se distingue de celle de ses prédécesseurs et de ses contemporains. Après la revue des différents recueils de sermons modèles produits aux XII-XIIIe siècles, nous avons constaté que les sermons de Hugues de Saint-Cher ne présentaient pas de différences majeures avec les autres œuvres oratoires. L'objectif de ces instruments de travail étant le même - à savoir fournir une aide efficace aux prédicateurs dans la préparation de leurs sermons - il s'avère que la principale différence entre ces outils réside dans la forme fortement abrégée des sermons de Hugues. En effet, celle-ci est sèche, souvent squelettique et fait contraste avec l'opulence de certains sermons des XIIe-XIIIe siècles.

Parmi les sermonnaires du XIIe siècle, le recueil de Raoul Ardent montre plusieurs similitudes avec la collection de Hugues de Saint-Cher. Raoul propose systématiquement deux sermons pour le même dimanche, procédé que Hugues reprendra et avec lui plusieurs de ses contemporains. De même, Hugues s'insère dans la tendance de la fin du XIIe siècle, représentée en premier lieu par Raoul, et qui consiste à adopter une approche morale et à manifester un souci des destins individuels des fidèles.

Une autre nouveauté des sermons modèles du XIIIe siècle réside dans la méthode du développement. En effet, la technique traditionnelle du développement d'une homélie qui consistait à commenter toute la péricope s'efface progressivement au profit de l'exposition du verset thématique. Ainsi, les sermonnaires d'Alain de Lille et de Raoul Ardent présentent une transition entre l'homélie et le sermon du XIIIe siècle. Quant à Hugues, il se sert des éléments des deux méthodes, en insistant cependant sur l'exposition du verset thématique.

La principale différence du recueil de Hugues de Saint-Cher par rapport aux autres collections de sermons tient dans la composition des recueils. En effet, les sermons des auteurs du XIIe siècle, tels Honorius Augustodunensis, Maurice de Sully, Alain de Lille et Raoul Ardent, sont déjà organisés en deux séries: de tempore et de sanctis. Ce système sera définitivement adopté par les prédicateurs du XIIIe siècle: on retrouve massivement les deux séries chez des auteurs comme Jean d'Abbeville, Guiard de Laon, Guillaume d'Auvergne ou Antoine de Padoue. Or, Hugues ne suit pas cette tendance: il a constitué essentiellement un cycle de tempore : face à 418 sermons du temps, il n’a rédigé que onze sermons des saints.

En ce qui concerne les frères mendiants, on a relevé des similitudes dans les carrières de Pierre de Reims et de Hugues de Saint-Cher, ainsi que dans la dimension de leurs œuvres. En revanche, on constate une différence notable dans l'agencement des séries de sermons : Hugues distingue les sermons des évangiles et les sermons des épîtres, tandis que chez Pierre de Reims ces deux types de sermon sont disposés dans un même cycle.

Enfin, nous avons noté certaines similitudes dans la carrière des auteurs de sermons modèles, lesquels étaient souvent de hauts dignitaires ecclésiastiques: chanceliers ou évêques. Si les principaux producteurs de sermons modèles étaient avant tout de hauts dignitaires ecclésiastiques, on observe également l'inverse : avant d'être promus à ces hautes fonctions, la plupart des chanceliers parisiens furent aussi d'éminents prédicateurs. Ces auteurs rédigèrent des collections de sermons à la fin de leur vie. Or, pensons-nous, il n'en était pas de même pour Hugues : nous estimons que les sermons de Hugues ont été rédigés dans la période parisienne de celui-ci, soit avant sa promotion au cardinalat (1244).

La quatrième partie était consacrée à la distinction, technique largement utilisée dans la collection de sermons modèles étudiée. Nous avons montré les différentes façons dont Hugues développait ses sermons, précisant que le point commun de la   méthode utilisée résidait dans le recours aux distinctions, qui apparaît - dans 90% des sermons - comme le principal mode de développement. De plus, cette fonction structurante des distinctions est soulignée par la forme concise de la plupart des sermons.

La place dominante des distinctions au sein des sermons nous a conduit à nous interroger sur l’innovation que pouvait représenter la méthode de Hugues de Saint-Cher. Nous avons ainsi démontré l'intérêt de la collection de Hugues au regard de l'histoire «diachronique» des distinctions. Hugues fut en effet le premier prédicateur à avoir utilisé massivement la forme de la distinction dans ses sermons (en moyenne, quatre distinctions par sermon). Même si les distinctions de Hugues ne fournissent pas le principe de classement de son recueil (comme dans les recueils de distinctions du XIIIe siècle), leur fréquence donne un précieux indice sur l’importance qu’elles revêtent comme technique spécifique aux yeux de Hugues de Saint-Cher.

Par la suite, nous avons tenté d'établir une typologie des distinctions utilisées dans ses sermons sur les évangiles. Nous les avons considérées comme une entité, afin de présenter les différents types de distinction dans l'ordre de leur fréquence d'apparition. D'abord, nous avons analysé les questions théologiques et morales apparues sous forme de distinction. Ensuite, nous avons relevé les chaînes de topos et les formes typiques des distinctions. Enfin, nous avons ébauché une typologie des distinctions, fondées sur les principes de juxtaposition, d'opposition, de progression, de logique des circonstances, de comparaison et de combinaison des différents éléments.

De même, nous avons analysé les techniques exégétiques subordonnées aux distinctions, tels le recours aux autorités et l’usage des interprétations de noms. Ces techniques, tout en jouant un rôle secondaire par rapport aux distinctions, vivent en parfaite symbiose avec ces dernières. En effet, l'hégémonie des distinctions est telle dans les sermons de Hugues que les autres techniques exégétiques apparaissent dans un cadre déterminé par la forme de la distinctio. Ainsi, les versets thématiques divisés en plusieurs parties sont développés à l’aide de distinctions, ces dernières s’appuyant systématiquement sur l’autorité de citations scripturaires ou patristiques qui s'insèrent dans le réseau des distinctions pour en devenir une partie organique. De même, nous avons pu constater - bien que dans une moindre mesure - l'imbrication des distinctions avec une autre technique exégétique : l'interprétation des noms.

Enfin, nous avons cherché les liens qui existaient entre les sermons et le reste de l’œuvre exégétique de Hugues de Saint-Cher, tels les postilles, le correctoire et la concordance. Nous avons réussi à trouver - croyons-nous - au moins un cas où la correspondance entre les postilles et les sermons de Hugues est manifeste, tandis que le reste de l'analyse - fondée sur un échantillon de trente sermons - n'a pas donné de résultat probant. Dans le cas du correctoire, nous n'avons pas trouvé sur le fonds imprimé dont nous disposions de parallèles, tandis que l'utilisation de la concordance s'est avérée impossible à démontrer.

Dans la cinquième partie, nous avons fait une analyse interne des sermons selon deux points de vue principaux : le savoir théologique et les questions morales.

D’abord, nous avons relevé les traces de la conviction théologique de Hugues dans ses sermons modèles tout en les comparant à la position qu’il adopte dans ses œuvres théologiques. Nous y avons examiné les doctrines se rapportant aux personnes divines et à la Vierge Marie; nous avons analysé les doctrines sur l'œuvre de la rédemption, ainsi que sur les commandements et les préceptes de l'Eglise. Enfin, nous avons étudié le savoir théologique qui a trait à l'eschatologie et à l'au-delà dans les sermons de Hugues de Saint-Cher.

Ensuite, nous avons exposé les prises de position de l’auteur sur les questions morales, en particulier sur les péchés, les vertus et la pénitence. Nous avons rappelé la place prépondérante qu’occupent ces questions dans l’œuvre de Hugues de Saint-Cher: en effet, ces occurrences dépassent largement celles des doctrines, car l'enseignement dispensé par Hugues fut avant tout moral. Nous avons observé que le procédé de l'auteur consistait à fustiger en permanence les fautes de l'humanité avant de lui proposer le chemin des vertus. Outre la volonté de réprimer les vices, l'autre axe important des sermons de Hugues est l'exhortation à la  pénitence. Conformément à l'esprit du temps, l'incitation à faire  pénitence est omniprésente dans les sermons : les thèmes évangéliques sont massivement interprétés dans ce sens.

Dans la sixième et dernière partie, nous avons analysé le regard que Hugues de Saint-Cher portait sur la société, société seulement latente dans son œuvre oratoire, sous forme d'allusions aux faits réels ou d’évocation succinte d’une catégorie de la société médiévale. Néanmoins, ces bribes d'informations permettent d’y surprendre le regard d’un homme sur la société du XIIIe siècle.

En l'absence de vue globale sur la société, nous avons privilégié trois approches différentes : d'abord, une présentation des métaphores et des distinctions communes, ainsi qu’une classification de la société ecclésiale - prélats, clercs et religieux. Ce tableau fut complété par des propos sur la prédication et sur les exclus de la société. Ensuite, nous avons étudié les différents états de vie. Or, en dehors des prélats le seul véritable état de vie est celui des femmes, les autres sont des usages métaphoriques du registre des états de vie. En effet, tout ce que dit Hugues dans le registre des «status» relève de procédés métaphoriques : au lieu de proposer une règle de vie propre à chaque status, l'auteur fait un usage pédagogique des différents états de vie - médecins, avocats ou marchands.De fait, ce terrain culturel commun au prédicateur et à son auditoire est un outil efficace pour l'enseignement doctrinal et moral. Enfin, ces deux approches - fondées sur la société «ecclésiale» et sur les «status» - furent complétées par une troisième, particulièrement parlante pour un frère mendiant : la dichotomie entre richesse et pauvreté. Hugues étend cette catégorisation à l'ensemble de l'humanité - clercs, religieux ou laïcs - pour en faire une opposition de catégories morales: riche et pécheur, pauvre et vertueux.