b - François Véron de Forbonnais (1722-1800).

François Véron de Forbonnaisest un autre économiste du groupe de Vincent de Gournay : sa carrière fut particulièrement longue, comme d'ailleurs celle de Morellet. Il traverse les règnes de Louis XV et de Louis XVI, ainsi qu'une grande partie de la première République. Il est , grâce à sa longévité, de ces auteurs qui ont contribué au maintien d'une tradition économique nationale à travers tous les bouleversements que le pays a traversés. Il revendique lui-même d'ailleurs cet état de défenseur d'une tradition nationale : dans son ouvrage majeur, Recherches et considérations sur les finances de la France depuis 1595 jusqu'en 1721, publié en 1758, il écrit en introduction ; "cet ouvrage conservera à notre nation l'honneur d'avoir eu la première de bonnes lois en toutes choses et peut-être la honte de les avoir mal exécutées" 13 .

Schumpeter classe Forbonnais parmi les "experts de l'administration" s'intéressant aux problèmes monétaires et en particulier à la question des finances publiques. Nous verrons qu'il a porté sur l'œuvre de Law un jugement très nuancé à une époque où celle-ci était attaquée de toutes parts et que de la sorte il a peut-être ouvert des perspectives pour les saint-simoniens lorsqu'ils analyseront à leur tour le système du financier écossais.

Dans le même ordre d'idées, lorsque M. de Silhouette le nomme en 1757, contrôleur général des finances, il propose un plan acceptable du point de vue de la justice sociale pour restaurer les finances du royaume au moyen de mesures égalitaires et remédier au déficit gigantesque du Budget de l'Etat 14 .

Il tente encore, après 1789, de mettre à profit l'expérience des assignats pour appliquer ses conceptions sur la monnaie. Les assignats sont de fait une reconnaissance de dette, dont l'émission est gagée sur les biens nationaux destinés à être vendus. Forbonnais est partisan de faire circuler ces titres comme une monnaie de crédit : il pense qu'une telle mesure entraînerait un accroissement de la monnaie en circulation qui se traduirait par une mobilisation accrue des richesses, favorisant leur passage entre les mains des ouvriers, artisans, commerçants, capables de les faire fructifier. Sous cet angle là, Forbonnais est plus "proche du système de monnaie gérée de J.-F. Melon que de la future théorie de la monnaie voile" 15 estime S. Meyssonnier. Forbonnais a l'intention, comme Law avant lui, de gérer la quantité de monnaie pour accélérer le transfert des richesses vers ceux qui les produisent. Nous verrons que les saint-simoniens, plus tard, retrouveront ce projet.

Au sujet de Forbonnais, S.Meyssonnier parle de libéralisme égalitaire qu'elle oppose au libéralisme individualiste de Morellet. Elle pense que les "écrits révolutionnaires [de ces deux auteurs] rendent bien compte de cette double orientation du libéralisme en France" 16 . Sans doute est-il intéressant de remarquer l'ambivalence de cette pensée libérale dans notre pays lors de sa genèse au cours du XVIIIe siècle pour comprendre les termes du débat théorique au début du siècle suivant et pour voir comment la tradition économique française s'est précisée, à travers les écrits saint-simoniens en particulier.

Notes
13.

Cité dans Ch. Coquelin, op. cit., t. I, p. 795.

14.

Voir à ce sujet, Ch. Coquelin, op. cit., t. I, p. 794. L'ensemble des projets de Forbonnais imposaient de lourds sacrifices à des intérêts "puissants et privilégiés" et de ce fait ils ne purent aboutir et ils furent voués à l'échec comme le furent tous les projets de ce genre présentés par des financiers éclairés pendant les règnes de Louis XV et Louis XVI : Necker, Terray, Turgot auxquels les saint-simoniens, nous le verrons, se référeront souvent par la suite.

15.

S. Meyssonnier, in G Faccarello, Ph. Steiner, op. cit., p. 114. On peut consulter ce teste de S. Meyssonnier pour connaître les propositions de Forbonnais relatives à l'émission des assignats (p. 114-116). De façon plus générale, l'idée d'utiliser les assignats comme un titre de crédit doté d'une qualification monétaire a finalement échoué pour les mêmes raisons que le système de Law. Afin de faire face aux difficultés de financement des dépenses de l'Etat, la tentation fut grande d'accroître l'émission dans des proportions inconsidérées et les autorités monétaires ne furent pas capables de s'y opposer.

16.

Idem, p 120.