Jean-Baptiste Say (1767-1832) est la figure incontournable de l'économie politique en France au début du XIXe siècle. Il intervient beaucoup dans le débat économique pendant la République, le Consulat et l'Empire et de ce fait, il établit une transition avec les économistes du XVIIIe siècle. Avec le retour de la Monarchie il bénéficie toujours d'une grande audience avec les Cours d'économie politique qu'il donne à l'Athénée à partir de 1815 et qui sont suivis par un nombreux public.
En critiquant violemment les "illusions mercantilistes" sur la "balance du commerce", il a voulu rompre avec le siècle précédent qui leur accordait encore une grande considération et bien marquer la naissance d'une économie industrielle dont le fonctionnement ne correspondait pas à la logique mercantiliste : "presque toutes les guerres livrées depuis cent ans dans les quatre parties du monde, l'ont été pour une balance du commerce qui n'existe pas, et d'où vient l'importance attribuée à cette balance du commerce ? De l'application exclusive qu'on a faite du mot capital à des matières d'or et d'argent" 17 .
J.-B. Say affirme la supériorité des échanges commerciaux pacifiques qui favorisent la création des richesses sur les conflits militaires qui provoquent la destruction des richesses et il dénonce le fétichisme de l'or. Les saint-simoniens pourraient jusqu'ici se retrouver dans un tel programme et c'est pourquoi sans doute, ils portent sur l'œuvre de J.-B. Say un jugement souvent élogieux.
Si J.-B. Say et les saint-simoniens peuvent être assez proches dans leur critique du mercantilisme ou encore dans leur volonté d'encourager le développement de l'industrie en libérant les forces productives, ils divergent radicalement sur d'autres points essentiels : c'est pourquoi l'opposition de ces deux courants de l'économie française nous semble être un fait marquant du débat théorique vers 1825.
On trouve entre eux, en premier lieu, une différence radicale sur le rôle envisagé des pouvoirs publics : J.-B. Say pense que l'intervention de l'Etat ne peut qu'être néfaste à l'action des agents naturels disponibles pour tous, qui sont les véritables facteurs du développement de l'industrie, alors que les saint-simoniens ont une conception très centralisée de l'économie avec un Etat disposant de pouvoirs importants pour orienter l'activité dans un sens favorable aux travailleurs, la réguler et encore réduire les inégalités.
A côté de cela, les saint-simoniens adoptent une démarche humaniste fondée sur des valeurs morales et religieuses qu'ils jugent universelles, la valorisation du travail et la dévalorisation de l'oisiveté, le refus de l'exploitation de l'homme qui porte atteint à sa dignité, et J.-B. Say au contraire essaie d'éviter toute référence explicite à des jugements de valeur qui, à ses yeux, ne peuvent être fondés scientifiquement.
Il fut pour cette approche de l'économie en butte aux critiques de ses contemporains et de ses successeurs immédiats. A. Blanqui a pu écrire à son sujet : "Il n'a manqué à cet écrivain que d'envisager d'un point de vue social et plus élevé les questions de paupérisation et de salaires. On sent en le lisant quelquechose de dur et de repoussant qui rappelle les formules de Malthus et de Ricardo" 18
Cette froideur du raisonnement est l'image de Say qui domina au XIXe siècle et qui lui valut d'être considéré comme un logicien insensible. Le jugement d'Adolphe Blanqui est symptomatique de cet état d'esprit largement répandu chez les économistes de cette époque. C'est seulement chez les industrialistes libéraux de la première moitié du XIXe siècle, qu'on peut considérer comme ses disciples, qu'il échappe aux critiques de ce genre.
J.-B. Say, Traité d'économie politique, cité par Adolphe Blanqui, op. cit., t. II, p. 207. Sur J.-B. Say, on peut lire la thèse de André Tiran, J.-B. Say, écrits sur la monnaie, la banque et la finance, Lyon, 1994, dans laquelle l'auteur présente l'originalité de l'approche quantitativiste de J.-B. Say.
A. Blanqui, op. cit., p. 207. J.-B. Say entretenait avec Malthus des relations de confiance et d'amitié. Il était largement d'accord avec les conclusions exposées dans L'Essai sur le principe de population. A l'occasion de la publication des Nouveaux principes d'économie politique (1819), il écrit, en 1820, six Lettres à Malthus. Ces Lettres exposent une controverse intéressante avec l'auteur des Nouveaux principes qui eut beaucoup de succès en Angleterre. Toutefois, elles apparaissent surtout comme une réponse aux détracteurs de la concurrence et des mécanismes du marché, à Sismondi en premier lieu sans doute. Sur l'opinion de J.-B. Say au sujet de Malthus et sur les lettres qu'il lui écrivit, on peut consulter Ch. Coquelin, op. cit., art. J.-B. Say, t. II, p. 593.