La croissance industrielle reste lente en France pendant le premier quart du XIXe siècle. Le progrès technique est concentré dans quelques régions et à quelques secteurs parmi lesquels le textile tient la première place. Pourtant même dans celui-ci l'investissement est peu dynamique : Albert Soboul cite l'exemple de l'industrie de la soie qui "en 1820 ne comptait encore que 1200 [métiers à tisser dans tout le pays]" 62 alors qu'ils existaient depuis 1800, mis au point par Jacquard cette année là.
Comme la production n'augmente qu'à un rythme assez lent, le besoin ne se fait pas sentir de manière impérieuse, d'un réseau de communication plus développé et en meilleur état afin de faire face à des échanges plus importants et à des processus de fabrication plus rapides. Mais une telle situation a toutes les chances d'être à l'origine d'un cercle vicieux : comme la production augmente peu, un réseau de transport sommaire suffit pour faire face à une organisation routinière de l'économie ; mais aussi, en retour, ce réseau de transport archaïque fait obstacle à un essor significatif de l'activité.
Faiblesse de la production et mauvais état des voies de communication se renforcent mutuellement. Un tel blocage peut alors se perpétuer indéfiniment en l'absence d'une impulsion initiale volontariste appliquée par des individus entreprenants au réseau de transport : c'est ce que les saint-simoniens ont compris parmi les premiers.
Non seulement la France possède un système de transport médiocre mais elle reste prisonnière de ses traditions en accordant toujours la priorité à "la route [qui] plus que la voie d'eau est tenue pour un instrument primordial de gouvernement et d'administration" 63 . Même si le réseau routier est quelque peu amélioré entre 1815 et 1830, les progrès ne sont pas significatifs. Ce réseau routier, sur lequel le pays compte en premier lieu pour assurer ses communications, n'est pas rénové en profondeur et les temps de trajet restent très longs : sur les "34 000 kilomètres des anciennes routes royales, 16 000 seulement sont convenablement entretenus, 14 000 sont à réparer, 4 000 à terminer" 64 . Pour stigmatiser la lenteur et l'inefficacité des moyens de transport terrestres en France, S. Charléty reproduit une citation de A. Blanqui, écrite en 1827 : "L'Angleterre fait voler sur les routes plus de 50 000 voitures publiques ; la France en fait aller au pas 15 000 environ" 65 .
Le gouvernement de la Restauration manifesta, il est vrai, la volonté d'imprimer un changement d'orientation à la politique des transports en accordant beaucoup plus d'attention aux voies navigables. Une étude effectuée à sa demande en 1818, recommanda la construction de 13 560 km de canaux : 2760 km de travaux entrepris à terminer et 10 800 km à prévoir. En 1822, le gouvernement entreprend de réaliser ce programme : six nouveaux canaux sont ouverts à la navigation 66 mais l'objectif fixé est quand même loin d'être atteint : seuls 900 km sont achevés en 1830 ; ces nouveaux canaux en outre sont éparpillés sur l'ensemble du territoire et ils ne pas de nature à constituer le véritable système de voies navigables que beaucoup, au premier rang desquels les saint-simoniens, appellent de leurs vœux.
Ce réseau de communication qui assure les échanges de manière improbable, dont la construction et l'entretien font face à de sérieuses difficultés de financement, va devoir encaisser un choc exogène de grande ampleur avec l'arrivée des premières lignes de chemin de fer, dont la mise en service est envisagée en France vers la fin de la Restauration : la première concession est accordée en 1823 de Saint-Etienne à Andrézieux, suivie par celles de Saint-Etienne à Lyon en 1828, d'Andrézieux à Roanne en 1828 et d'Epinac au canal de Bourgogne en 1830.
Mais "le chemin de fer se heurte à l'immense coalition de tous ceux qui vivent de la route ou du fleuve [et] qui redoutent de voir s'amenuiser leur influence" 67 . En outre, pour la plupart des esprits de l'époque, ce nouveau moyen de transport devait s'intégrer dans le réseau de communication existant, en jouant seulement un rôle complémentaire par rapport aux voies d'eau : son unique fonction, dans cette optique, devait consister à transporter les minerais du lieu d'extraction jusqu'à un port d'embarquement distant de quelques dizaines de kilomètres. Seuls là encore, quelques esprits visionnaires comme les saint-simoniens du Producteur en 1826, furent capables dès le début de comprendre l'immense intérêt de ce nouveau mode de transport et de prévoir son développement ultérieur.
C'est pourquoi la construction des voies ferrées démarre lentement à cause des résistances psychologiques qu'elle rencontre dans la population, de l'opposition de certains groupes économiques dont elle heurte les intérêts, mais aussi des problèmes de financement difficiles à surmonter : la construction de la ligne de Saint-Etienne à Lyon, décidée en 1826 nécessite la mobilisation de 10 millions de francs : elle commence en 1827 et en 1829, avant même l'inauguration du premier tronçon qui n'eut lieu qu'en 1830, il restait 4 millions à trouver 68 . Ces problèmes de financement posent la question de l'organisation du système bancaire.
F. Braudel, E. Labrousse, op. cit., t. III, p. 108.
P. Leon, in F. Braudel, E. Labrousse, op. cit., t. III, p. 242. D'après l'auteur, cette tradition qui privilégie la route par rapport aux voies d'eau est très ancienne en France puisqu'elle remonterait dès avant Colbert à qui on attribue généralement l'organisation moderne des voies de communication en France. On peut, sur cette question consulter B. Lepetit, Chemins de terre et voies d'eau, EHESS, Paris, 1984, 148 p.
S. Charlety, Histoires de la France contemporaine, IV La Restauration, Hachette, Paris, 1921, p. 307.
Idem.
Ibid. Il s'agit des canaux des Ardennes, de Bourgogne, de Bretagne, du Nivernais, du canal latéral à la Loire et du canal du Berry.
P. Leon, in F. Braudel, E. Labrousse, op. cit., p. 258. L'auteur cite l'exemple des "membres du Conseil général des Ponts et Chaussées", ou encore celui des "commerçants des grands centres d'entrepôts, tels que Lyon, qui vit de ses deux fleuves et profite d'une rupture de charge obligée".
Pour de plus amples précisions sur ce point, on peut se référer à l'étude de P. Leon, in F. Braudel, E. Labrousse, op. cit., p. 241-274.