1 - Les banquiers et les économistes.

Parmi les disciples qui ont apporté une contribution très importante à l’analyse économique du saint-simonisme, on peut en premier lieu mentionner Olinde Rodrigues (1794-1821), considéré comme le principal initiateur du groupe saint-simonien. C’est lui que Saint-Simon avait institué légataire universel pour le charger de poursuivre son œuvre : en réunissant un premier groupe de fidèle dès son décès, il a en effet signé l’acte fondateur de l’école saint-simonienne.

En 1825, à 31 ans, il est directeur de la Caisse Hypothécaire qui joue un rôle très important dans l’émergence de l’Ecole : "la Caisse hypothécaire n’était-elle pas le berceau convenable d’une école qui devait tant préconiser à l’industrie ?" 95 demande G. Weill qui insiste sur l’influence d’Olinde Rodrigues dans l’élaboration de la doctrine économique de l’école : "il lui montre l’importance des questions économiques et l’utilité de la bourse qui devait fournir les moyens d’améliorer le sort des humbles" 96 .

Prosper enfantin (1796-1864) qui apporta une contribution très importante à la doctrine saint-simonienne possède une solide formation économique acquise à la lecture d’ouvrages de J. Bentham, A. Smith, D. Ricardo ou encore J.-B. Say, comme le précise G. Weill 97 . Il a aussi une expérience de la banque : il est correspondant d’une maison de banque à Saint-Pétersbourg pendant deux ans, de 1821 à 1823 ; à son retour à Paris il lie connaissance avec Jacques Laffitte 98 auquel il vouera toujours une profonde admiration ; il est aussi nommé caissier à la Caisse hypothécaire.

Gustave d’eichtal (1804-1886) un ami d’Olinde Rodrigues 99 , d'origine israélite comme lui, est issu d’une famille de banquiers. Il manifeste lui aussi pour l’économie politique un vif intérêt qui le pousse à établir une correspondance suivie avec J. Stuart Mill qu’il rencontrera en 1832 lors d’un voyage en Angleterre et qu’il tentera de convertir au saint-simonisme. Il fit profiter l’église de ses ressources financières puisqu’il lui fit don de plus de 150 000 francs.

C’est encore Olinde Rodrigues qui amène au saint-simonisme ses cousins Emile et Isaac Péreire dont l’apport à "l’économie politique" saint-simonienne fut si important. Eux aussi exercent les fonctions de banquier. Emile Péreire (1800-1875) est courtier de banque à Paris dés 1822 et il possède une bonne pratique des opérations financières.

Isaac Péreire (1806-1880) le frère cadet, comptable dans une maison de banque dès 1823, a beaucoup contribué à l’élaboration d’une théorie saint-simonienne de la monnaie et de la banque. Tous deux de 1830 à 1832 ont exercé une grande activité dans la publication du Globe, le journal du saint-simonisme et c’est aussi Isaac Péreire qui eut la tache difficile d’équilibrer les finances de la revue. On peut enfin préciser que les frères PéreirePEREIRE ont continué à se revendiquer du saint-simonisme bien après la dispersion de l’Eglise, en particulier lorsqu'ils ont fondé Le Crédit mobilier en 1852 ou lorsqu'ils ont repris La Banque de Savoie en 1863.

D’autres disciples encore grâce à leurs connaissances des questions économiques ou à leur intérêt relatif à celles-ci étaient en mesure d’enrichir la réflexion au sein du groupe : c'est le cas d'Alphonse Decourdemanche, futur directeur de la Compagnie du Crédit Général, un "saint-simonien de l’extérieur"qui, bien qu'il n'ait pas officiellement adhéré à l’Eglise, a donné d’intéressantes précisions dans d'importants articles du Globe sur l’approche saint-simonienne de l’économie. On peut citer encore P.-I.Rouen qui publia dans le Producteur un article sur la classe ouvrière.

Notes
95.

G. Weill, L’école saint-simonienne, son histoire, son influence jusqu’à nos jours, F.Alcan, 1896, p 19.

96.

Idem, p. 12. La Caisse Hypothécaire est en effet le premier point de fixation de l'école. Outre Olinde Rodrigues, deux autre disciples sont liés à cette institution financière : Prosper Enfantin qui occupe le poste de caissier et Charles Duveyrier le fils du président du conseil d'administration Honoré Duveyrier. Les locaux de cette caisse servent à la fois de logement pour les premiers disciples et de lieux de réunion pour leurs conférences. C'est dans l'appartement d'Enfantin, dans le local prêté par la Caisse qu'eut lieu, le 10 décembre 1828, la première séance de l'Exposition de la doctrine.

97.

G. Weill, op. cit. p. 9. Voir aussi sur cette question J. P. Alem, Enfantin le prophète aux sept visages, J.-J. Pauvert, Paris, 1963.

98.

Aux yeux des saint-simonien et d’Enfantin en particulier, Jacques Laffitte (1767-1844) passe pour le modèle du banquier toujours prêt à apporter un soutien sans faille à l’industrie. P Enfantin se réfère toujours à lui en des termes très élogieux, il le cite souvent dans ses publications comme une référence incontournable et il lui consacre même des articles dans Le Globe, par exemple "les oisifs et les travailleurs. Necker, Laffitte, Saint-Simon", Le Globe, 15 février 1831.

99.

Gustave d'Eichtal a échangé, de 1828 jusqu'à sa mort, une correspondance suivie avec J. Stuart Mill. Eugène d'Eichtal, fils de Gustave, a rassemblé l’ensemble des lettres dans un même ouvrage, John Stuart Mill, correspondance inédite avec G. d'Eichtal, Félix Alcan, Paris, 1898. Ces lettres, toutefois, ne se préoccupent pas essentiellement d’économie, mais surtout de politique générale.