L'Ecole polytechnique est le troisième foyer principal, en plus de la banque et des sociétés secrètes, dans lequel la religion saint-simonienne a pris naissance et s’est développée.
Enfantin entre à l’Ecole polytechnique à 17 ans, en 1813. C’est vers elle qu’il se tournera, dès la fin du Producteur, pour amener de nouveaux disciples à l’Eglise saint-simonienne . "Il faut, écrit-il, que l’école polytechnique soit le canal par lequel nos idées se répandent dans la société" 106 . Et de fait, estime Charlety, "la propagande [y] réussit à merveille […] Elle leur fournit les premières recrues. Abel Transon, Jules Lechevalier, Euryale Cazeaux, et aussi de simples auditeurs […] dont plusieurs furent plus tard des disciples ardent tels que Michel Chevalier et Henry Fournel" 107 .
Ainsi, Michel Chevalier (1806-1879) entre à l’Ecole polytechnique en 1824 où il acquiert la formation d’ingénieur des mines et il adhère à l’Eglise saint-simonienne en 1830 lors des séances organisées rue Monsigny, en même temps que Henri Fournel et Jean Reynaud, tous deux ingénieurs également. De très nombreux saint-simoniens, en 1830, sont des ingénieurs formés à l’Ecole polytechnique : Charles Lambert, les frères Paulin, Léon et Edmond Talabot, Lamé, Clapeyron, etc. Une centaine de polytechniciens, plus ou moins acquis à la doctrine correspondaient, en 1830, avec Enfantin. 108
Ces polytechniciens adhérent avec enthousiasme à cette religion saint-simonienne qui accorde une place aussi importante au progrès technique dont ils pensaient être les meilleurs représentants dans l’organisation de la société future. L’adéquation est parfaite de ce point de vue entre le credo industriel du Maître Saint-Simon et la formation technique de nombreux adeptes. Leur religion conforte leur foi dans le progrès de l’humanité et ils enrichissent sans cesse l’Eglise de leurs projets merveilleux de grands travaux, constructions de voies ferrées, de canaux, dont le Système de la Méditerranée 109 semble l’aboutissement grandiose.
Ce système présenté dans le Globe peu de temps avant la fin de sa publication résonne comme le testament du saint-simonisme militant de cette époque : au delà des difficultés du moment, si difficiles à surmonter, il promet à l’humanité un avenir radieux, placé sous le signe du progrès technique permettant à travers la Méditerranée la réunion de l’Orient et de l’Occident. Il apparaît comme l'aboutissement de tous les projets qui ont habité le saint-simonisme au cours de ces sept années d’intense propagande : des conceptions techniques très audacieuses et novatrices ; une mystique de l’association universelle englobant tous les hommes et tous les peuples ; la primauté de l’activité industrielle de la banque qui doit créditer l’ensemble de ces projets en recourant abondamment à l’instrument monétaire.
Autour de 1830 les saint-simoniens ont mené une propagande très active pour faire partager leur foi en un avenir meilleur : celui-ci doit voir le jour grâce au progrès des techniques, à l’enseignement religieux de Saint-Simon et au perfectionnement des institutions financières permettant de créditer les travailleurs. Ils promettent avec leur propagande un ordre nouveau recouvrant tous les domaines de l’existence : technique, social, économique.
Nous nous intéresserons plus particulièrement à la dimension économique de leur propagande pour voir quelle conception originale de la monnaie et de la banque ils développent, et surtout quelle représentation du taux d’intérêt ils essaient de faire partager.
Pour faire connaître leurs idées ils organisent des conférences publiques, mais ils ont aussi besoin de publications. Parmi les écrits saint-simoniens, on ne trouve pas d'ouvrages volumineux ni de lourds traités s'accordant mal à la propagande qu'ils veulent mener. Leurs publications consistent surtout en revues, journaux, comptes rendus de leçons ou de séances d'exposition qui jouent un grand rôle dans le développement de l’école saint-simonienne en permettant aux disciples de formaliser leurs idées et de les constituer en une doctrine cohérente. Ces publications sont, avec les réunions publiques à Paris et les missions en province, leur principal canal de diffusion : elles ont ainsi une grande importance dans la vie du groupe et dans son organisation.
Cité par Charlety, op. cit., p. 48.
S. Charlety , op. cit. , p. 48
voir Charlety, op. cit., p. 76-77. Les élèves de l’école polytechnique constituaient pour les saint-simoniens un public privilégié. A. Transon leur a consacré une série de discours réunis dans une publication Discours aux élèves de l’école polytechnique. Cet ouvrage est signalé par p. janet, Saint-Simon et le saint-simonisme, Baillière, Paris, 1878, p. 78.
Michel Chevalier, "Le Système de la Méditerranée", Le Globe, 12 février 1832. "Le Système de la Méditerranée" est le dernier d'une série d'articles sur la paix : "La paix est aujourd'hui la condition de l'émancipation des peuples". Ce Système envisage dans le détail le réseau de transport et les voies de communication qui doivent faire de la Méditerranée un espace intégré d'échanges continuels entre les hommes peuplant ses pourtours.