3 - Le Globe.

Précisément, l’acquisition du Globe 133 , le prestigieux journal libéral qui, pendant la Restauration, avait joué un rôle de phare intellectuel reconnu dans toute l’Europe, tombe à point nommé. Un concours de circonstances permet aux saint-simoniens de reprendre la revue abandonnée par les libéraux : Le Globe avait installé ses locaux dans l'immeuble de la rue Monsigny où les saint-simoniens par hasard ont loué un logement au début de l'année 1830. Pierre Leroux, son fondateur gérant, se retrouve seul à la tête du journal après la désaffection de ses anciens co-rédacteurs. Or il s’était déjà montré sensible aux idées des saint-simoniens de telle sorte qu’il a l'idée de s’adresser à eux pour assurer la poursuite de la parution. Avec la reprise du Globe, ces derniers vont disposer d’une tribune politique de choix : cette revue va occuper une place stratégique dans leur propagande ; chaque jour Le Globe s’attachera à faire connaître la religion de Saint-Simon au prix d'efforts colossaux déployés par les disciples.

Aussi les missions fleurissent-elles de plus belle en France et à l’étranger : elles sont appuyées par le journal qui annonce à l'avance leur arrivée dans une ville et qui rend compte par la suite de l’enthousiasmesuscité par les réunions publiques organisées par les missionnaires 134 .

Le Globe se fait ainsi régulièrement l’écho des prédicateurs parisiens, Barrault, Charton, Laurent, Reynaud, Retouret, Transon… et il reproduit nombre de leurs discours prononcés en public 135 . Surtout, il fait connaître le travail de réflexion théorique des saint-simoniens en publiant des essais d’analyse économique ou en diffusant les leçons et les conférences données par les disciples à la salle de la rue Taitbout ou encore à celle de l’Athenée, place de l’Odéon. Il rend compte également d’une correspondance fournie avec ses lecteurs.

Tout au long de cette période missionnaire, le souci de convaincre des saint-simoniens est très fort. Il s’applique à tous les aspects de l’action et de la réflexion humaine mais les trois points d’ancrage privilégiés de leur propagande visant à persuader leurs lecteurs de leurs chances de bonheur futur sont : l’épanouissement religieux et spirituel sous l’égide de l’enseignement de Saint-Simon ; le progrès technique gage du bonheur matériel indissociable de la vie spirituelle ; le développement économique qui doit consacrer la victoire du travail et de l’énergie créatrice.

C’est à ce dernier aspect de leur propagande que nous nous intéressons plus particulièrement et nous verrons comment dans l’ordre des idées économique, ils développent une conception originale de la monnaie et de la banque et quelle représentation du taux d’intérêt ils essaient de faire partager.

Notes
133.

Le Globe était un hebdomadaire fondé en 1824 par P. Leroux. De 1824 à 1830 il avait servi de tribune aux libéraux pour combattre le régime absolutiste de Charles X (1824-1830). Une fois celui ci renversé, un grand nombre d’entre eux a pensé la tâche achevée et ils ont voulu participer directement aux affaires sous la Monarchie de juillet.

134.

En 1831, de nombreuses missions sont envoyées en France, dans le midi, dans l’Est et dans l’Ouest, et à l’étranger, en Belgique surtout et aussi en Angleterre. Elles ne sont pas toujours bien reçues : c'est le cas à Bruxelles, par exemple, où l’arrivée de Carnot, Dugied, Laurent, Leroux, Margerin déclenche l’hostilité de la population à leur encontre, si bien qu’ils durent s’enfuir précipitamment sous la protection de la police. Voir au sujet de ces missions, S. Charlety, op. cit., p. 92-94. Jean Terson raconte dans ses Mémoires comment il a dû au cours d’une mission se cacher dans les montagnes du sud de l’Aude pour échapper à la colère d'une population mal intentionnée à son égard.

135.

S. Charléty dénombre 51 prédications parisiennes publiées dans Le Globe ou L'Organisateur : Barrault en fit 23, Laurent10, Transon 9, Retouret 4, Reynaud 3 , Chartron 2 (S. Charlety, op. cit., p. 85).