Subitement les saint-simoniens opèrent un revirement stratégique radical : ils vont recentrer toute leur propagande sur la mise en œuvre exemplaire de la perfection religieuse. Quarante apôtres se retirent à Ménilmontant dans la maison d’Enfantin, léguée par sa mère, et ils vont mener une existence entièrement réglée par un rituel minutieusement établi. Ces apôtres doivent former une communauté à l'écart du monde et du bruit, vouée à une discipline ascétique : la maison de Ménilmontant doit être le temple de la religion nouvelle et le phare de la pensée de Saint-Simon 144 . Le groupe se consacre à la vénération du travail sous toute ses formes : la distinction entre les tâches intellectuelles et les tâches manuelle est abolie et le recours à la domesticité est supprimé ; la journée se déroule au rythme des travaux domestiques équitablement partagés entre tous, entrecoupés par les célébrations rituelles du culte saint-simonien.
Avec la retraite à Ménilmontant, les saint-simoniens s’abandonnent à un mysticisme de pacotille qui pourrait être celui de n’importe quelle secte religieuse. Ce faisant, le caractère sectaire de la religion saint-simonienne s’aggrave : le groupe impose des contraintes très strictes à ses membres qui doivent respecter des règles très rigides ; chacun doit faire don de sa personnalité à la communauté tout entière. Très vite dans ces conditions les disciples vont perdre tout contact avec la réalité. Le monde extérieur ne leur parviendra plus que comme une réalité hostile et leur comportement va présenter les signes pathologiques d’une paranoïa collective 145
La retraite à Ménilmontant sonne la fin du saint-simonisme militant. Les saint-simoniens pourront se manifester à nouveau de manière épisodique, mais jamais plus ils ne constitueront un courant de pensée aussi soudé, dynamique et novateur.
Sur le nom des disciples de Ménilmontant et sur l'organisation de la vie du groupe, on peut lire S. charlety, op. cit., p. 161-175.
Le sociologue allemand G. Simmel a démonté les mécanisme psychologiques qui frappent le comportement des groupes sectaires : leur impuissance à transformer le monde qu’il voudraient réorganiser suivent leur propre dogme leur fait percevoir celui ci comme un ennemi irréductible et leur isolement provoque l’apparition de délires obsessionnels. La propension des disciples à susciter des psychodrames continuels illustre bien cette analyse des groupes religieux parallèles : la mort dans de grandes souffrances d’Edmond Talabot a ainsi donné lieu à une mise en scène macabre.