A - La Banque de France n'honore pas sa mission industrielle.

Les saint-simoniens accordent une grande valeur au rôle joué par les banquiers et ils estiment qu'ils sont des acteurs privilégiés du développement de l'industrie. Ils sont en particulier très admiratifs envers le personnage de J. Laffitte qui avait voulu fonder en 1820 une caisse de crédit destinée à financer l’économie a moyen et long terme en transformant les dépôts en prêts : ce projet n’avait pas abouti faute de l’accord du Conseil d’Etat mais il représente pour les saint-simoniens le modèle d’une banque dynamique propice à favoriser le développement de l’industrie. Comme ils accordent une place aussi importante à la fonction économique de la banque, ils regrettent d'autant plus que la plus importante d'entre elles, la Banque de France, ne se mobilise pas efficacement au service de l'industrie.

La Banque de France créée en 1800 détient le monopole d'émission pour la région parisienne. Or les saint-simoniens critiquent beaucoup la Banque de France pour vouloir échapper à la responsabilité que ce monopole devrait lui imposer à l'égard des travailleurs. Cette Banque est avant tout un organisme de réescompte et la quantité de monnaie émise dépend en fait de la quantité de papier réescompté, c’est dire que la que la politique de réescompte de la Banque de France est très importante pour la bonne marche des affaires et pour le dynamisme de l’économie. C'est pourquoi, aux yeux des saint-simoniens il est d'autant plus regrettable que la gestion de la Banque de France soit aussi malthusienne et aussi peu dynamique : qu'elle n’escompte que des "effets portant trois signatures" 159 pour une durée de trois mois maximum ; que son taux d’escompte soit fixé à 4 % immuablement à partir de 1817.

La Banque de France, disent-ils, refuse de jouer un rôle actif dans l’économie du pays et elle a une lourde responsabilité dans la lenteur du développement économique en refusant d’établir des comptoirs en province et en empêchant même la fondation d’autres établissements qui pourraient exercer la fonction monétaire qu’elle délaisse : en 1825, en effet, on trouve seulement trois banques départementales qui pourraient émettre des billets dans leurs villes respectives : Bordeaux, Nantes et Rouen.

Ils regrettent que le système bancaire français ne dispose pas d'une banque centrale efficace et que les entreprises soient obligées d'avoir recours, vers 1825, aux "grandes banques d’affaires parisiennes" 160 qui constituent le principal facteur du dynamisme financier du pays.

Et encore, le recours à cette Haute banque représente-t-il une opportunité assez rare dont seuls les industriels importants peuvent bénéficier. Le système bancaire, en effet, est encore très dualiste : à côté de ces établissements parisiens de la Haute banque très dynamiques et qui brassent des sommes importantes, la plus grande partie du territoire et la plupart des habitants vivent en dehors de toute relation avec les établissement bancaires. Comme l'écrit M. Lévy-Leboyer, "Dans beaucoup de régions le crédit n’est [vers 1830] encore qu’un vain mot." 161 . Dans la réalité, ce sont des notaires ou des prêteurs à gage qui distribuent l’essentiel du crédit et "qui prêtent à taux usuraires" 162 , et les saint-simoniens plaignent beaucoup le sort des petits industriels contraints de recourir à leurs services.

Notes
159.

C’est à dire qu’elle exige une triple garantie.

160.

Voir B. Gille, La Banque et le crédit en France de 1815 à 1848, PUF, 1959, p. 52-57. Cette "Haute banque parisienne"se compose d’établissements qui existaient déjà sous l’ancien régime, auxquels sont venus se joindre quelques maisons de banque supplémentaires dans les années 1810 et 1820. Les banques Mallet, Delessert, Perrégaux en particulier sont fondées sous l’ancien régime. Viennent s’ajouter à ce groupe les banques Carette et Lefebvre, entre autres, sous l’empire, puis les banques Rothschild, d’Eichtal , Thurneyssen après 1815.

161.

Cité par F. Caron, op. cit., p. 52.

162.

Idem.