b - La baisse du taux d'intérêt à l'époque moderne renforce le pouvoir des travailleurs et accroît leurs revenus.

Une nouvelle étape dans le développement du prêt à intérêt survient en France sous le règne de Louis XIV, alors que "les opérations industrielles s'étaient [déjà] multipliées" 188 . Le rôle joué par les banquiers est décisif dans cette évolution : "grâce à l'intervention des banquiers, le prêt à intérêt devint général" 189 . "Les barons qui avaient transformé une grande partie de leur propriété immobilière pour en disposer plus facilement, déposèrent […] leurs capitaux chez ces banquiers" 190 : cela fut possible parce que "le passage de la noblesse dans les villes était entièrement accompli" 191 . De ce point de vue, le développement du prêt à intérêt est, dans une optique saint-simonienne, symptomatique de la décadence morale de la société féodale : les seigneurs acceptent d'abandonner le rôle militaire lié à leur statut traditionnel et de troquer leur fonction militaire contre une fonctionfinancière assez vulgaire : dans la société du Moyen Âge, ils assuraient la cohésion sociale du groupe, en incarnant ses valeurs morales et en assurant sa défense armée ; dans la société moderne consécutive à l'avènement de la monarchie absolue, ils se satisfont d'une existence oisive inconsistante, et ils confient aux travailleurs le soin de faire fructifier une fortune qu'il tiennent, par héritage, de leur naissance et non de leur mérite : l'ordre féodal était assez désintégré et "la foi chrétienne assez affaiblie pour que les seigneurs consentissent à leur tour à prêter leurs richesses à intérêt" 192 .

Les aristocrates détiennent ainsi une épargne financière qu'ils désirent placer afin qu'elle leur rapporte. Une telle disposition est propice au développement des banques dont l'activité, qui jusqu'alors stagnait, connaît un essor rapide.

Notes
188.

Ibid. L'activité commerciale se développe très rapidement à partir du XVIe siècle et cette croissance des échanges rend nécessaire une augmentation très sensible des activités de crédit. Les titres de crédit, sous forme de lettres de change, circulent continuellement entre les différentes places commerciales d'Europe. Dès lors les activités financières sont complémentaires des activités marchandes. Voir sur ce sujet, J. Bouvier et H. Germain-Martin, Finances et financiers de l'Ancien Régime, PUF, 1964.

189.

Ibid.

190.

Ibid.

191.

Ibid.

192.

Ibid. Isaac Pereire illustre les contradictions, apparues au sein de la société féodale, qui ont entraîné sa chute : il exprime, à travers l'étude de cette situation historique particulière l'idée plus générale que les conflits se développant à l'intérieur des systèmes économiques, entraînent le déclin de ces systèmes et leur disparition. On voit aussi que les contradictions du système, se retrouvent dans le comportement des individus appartenant à la classe dominante : ces derniers alors ne sont plus en situation de justifier l'existence du système social et de valider son fonctionnement aux yeux de tous à partir d'actions exemplaires. On trouve ici clairement exprimés, chez I. Péreire les germes du matérialisme que Marx développera de façon plus explicite quelques années plus tard. L'influence du saint-simonisme sur la formation de la pensée de Marx semble très apparente ici encore : elle peut s'explique aisément, du reste, par le fait que Marx avait fréquenté les cercles saint-simoniens, lors de son exil parisien, dans les années 1830.