b - Tous les travailleurs sont des salariés : ils ne peuvent être des exploiteurs.

L'exploitation, dans cette optique, ne relève pas d'un conflit direct sur le marché du travail entre le salarié et celui qui le paye, mais d'un antagonisme beaucoup plus général entre ceux qui travaillent d'un côté, et ceux qui vivent sans rien faire de l'autre. Le phénomène de l'exploitation ne prend pas naissance lors de la signature du contrat de travail entre l'employeur et l'employé, mais lorsque les propriétaires oisifs prélèvent un intérêt sur les industriels en contrepartie du capital prêté. Cet intérêt pèse lourdement sur la rentabilité des instruments de travail et son poids se reporte sur les revenus des travailleurs : sur le profit de l'industriel comme sur le salaire de l'employé.

Dans un article du Producteur, Enfantin regrette le manque de lucidité politique des manufacturiers qui, ne percevant pas l'origine réelle de l'exploitation de leur travail veulent reporter sur les salaires des ouvriers leurs propres difficultés supportées à cause du paiement d'un intérêt.

Un tel aveuglement idéologique des manufacturiers est catastrophique car ils crée au sein de la classe des travailleurs une scission qui les empêche de présenter un front commun face aux véritables exploiteurs, les oisifs qui profitent du travail des autres sans travailler eux-mêmes : "Qu'un rentier, capitaliste ou propriétaire, qu'un oisif enfin, s'effraie de la hausse des salaires, rien de plus naturel, sa considération sociale y est attachée ; mais les industriels devraient rougir de leur ignorance, lorsque confondant leur intérêt avec celui des oisifs, ils partagent leur opinion et se liguent, pour ainsi dire, avec eux, pour s'opposer à un ordre de choses qui assurerait au travail la prééminence sociale." 218

La répartition des revenus repose pour les saint-simoniens sur un fondement moral. Le salaire représente la rémunération du travail en général, et à ce titre, ceux que nous appellerions aujourd'hui les travailleurs indépendants reçoivent un salaire. Quant au profit, il ne s'oppose pas nécessairement au salaire : chacun cherche à valoriser les avantage que sa place dans la société peut lui procurer ; il cherche autrement dit à mettre cette situation à profit. C'est son travail qu'un travailleur voudra mettre à profit, c'est au contraire son capital que le propriétaire oisif, au contraire, voudra de son côté mettre à profit : c'est le profit du capital qui seul est moralement condamnable ; ce revenu parasitaire prospère grâce au mécanisme de la concurrence entre les personnes qui exerce une pression à la baisse sur les prix des produits et qui a "pour résultat de diminuer les profits du travail ou salaire" 219

Notes
218.

Idem, p. 388.

219.

Ibid. p. 388.