Le débat relatif aux finances publiques suscite un très grand intérêt chez les économistes de la première moitié du XVIIIe siècle. Les impôts étaient en général très mal acceptés dans le public et leur prélèvement était un exercice toujours plus difficile pour les gouvernements de l'ancien régime. Enfantin exprime bien cette difficulté rencontrée par les ministres des finances successifs de Louis XV et de Louis XVI.
Pour satisfaire les revendications populaires, la Première République (1792-1804) met en place un système fiscal foncièrement égalitaire reposant essentiellement sur le prélèvement de quatre impôts directs, les impôts indirects étant supprimés à l'exception de l'enregistrement du timbre et des droits de douane. Ces impôts directs sont désignés sous le nom des quatre vieilles : il s'agit des impôts fonciers, des impôts mobiliers, de la patente, et en dernier lieu d'un impôt sur les portes et fenêtres qui fut rajouté aux trois autres. Mais ces impôts directs se sont vite révélés insuffisants pour financer les guerres de la Révolution et de l'Empire et les gouvernements successifs rétablirent les impôts indirects. La part de ces derniers augmente alors régulièrement : d'un pourcentage proche de 0 % en 1790, elle passe à 36 % du total des recettes fiscales en 1801 et elle atteint 76 % en 1851. 236
Cette évolution provoque, bien évidemment, un grand mécontentement dans les mouvements populaires et les saint-simoniens, vers 1830, mêlent leur voix à celle des mécontents pour réclamer avec insistance "la suppression des impôts sur le sel, le pain et les boissons" 237 qui frappent la consommation populaire.
Decourdemanche, en particulier, qui publie dans le Globe une importante série d'articles sur la législation fiscale, critique avec virulence une telle organisation de la fiscalité reposant essentiellement sur les impôts indirects.
La suppression des impôts sur la consommation populaire (sel, pain, boisson) est demandée avec beaucoup d'insistance par les républicains et les socialistes de cette époque. Les saint-simoniens prennent une part importante dans l'expression de cette revendication. Aussi sont-ils tentés de porter à l'actif de leur propagande le fait que cette mesure soit réclamée par des courants d'idée de plus en plus larges et qu'elle suscite de l'intérêt dans de nombreux organes de presse, jusque dans les journaux départementaux comme le Journal du Cher qui écrit : "les objets de première nécessité, ceux dont le pauvre fait une consommation populaire sont soumis à des taxes énormes : la taxe du sel par exemple[...]" 239 .
On peut consulter sur ces questions l'ouvrage de M. Marion, Histoire financière de la France depuis 1715, V, 1819-1875, Rousseau, 1928.
Cette revendication est formulée avec beaucoup d'insistance dans les colonnes du Globe : c'est un mot d'ordre martelé inlassablement dans tous les articles relatifs aux finances publiques et à la question fiscale.
Article cité dans Le Globe, 29 septembre 1831. Le Globe entretient une correspondance suivie avec la presse de province. Chaque jour presque, il reprend un de ses articles dans la rubrique "Presse départementale". Au fil des numéros, on peut apercevoir la diffusion des idées saint-simoniennes dans la France de 1830. Le Journal du Cher, parmi d'autres, recourt à une dialectique et à une phraséologie typiques des saint-simoniens, qui peuvent ainsi conforter ces derniers dans le sentiment de leur influence profonde et durable : "plus d'un législateur s'est laissé entraîner à cette pente irrésistible de l'intérêt personnel. Propriétaire, il ne voyait que l'intérêt des propriétaires : il oubliait qu'en dessous de lui existe un peuple de travailleurs et d'industriels qui ont aussi droit aux avantages sociaux [...] C'est là un fait qui s'observe spécialement dans les lois sur l'impôt" (Journal du Cher, in n° du Globe cité)